La vie en rosé, ça a un prix…
La tiédeur de l'air printanier qui flotte cet après-midi dans les rues de Barcelone n'est sûrement pas étrangère à cette soif soudaine. Ça désole évidemment les quelques amateurs de vin "sérieux" que je fréquente encore (ou qui me supportent encore), ceux qui s'ennuient aux masterclasses et qui "étudient" au lieu de boire, mais, moi, je suis vraiment un amoureux du rosé. C'est peut-être parce que j'ai été baptisé en Provence, à Lourmarin. À cause du pistou de madame Benzi avec ce petit muscat à deux balles, incolore, qu'on achetait à la cave de Cadenet, des tomates de monsieur Giampaoli… Je ne sais pas vraiment comment je le goûterais aujourd'hui, ce muscat; il y a parfois des parfums qu'il vaut mieux soigneusement laisser prendre la poussière dans la bibliothèque de nos souvenirs. Je me souviens aussi vaguement, en Luberon, de La Canorgue qui se la jouait déjà chic, comme tous les gens de Bonnieux., Ou de ces bandols qu'on buvait en allant se baigner à Sanary. Et de Château Simone, mon premier rosé de garde, impossible de revoir cette étiquette sans repenser à une matinée au marché d'Aix, place Richelme, à cette pancarte promettant des alouettes sans têtes*.
Il est en tout cas inconcevable d'envisager l'arrivée des beaux jours sans avoir fait provision de ces vins aux couleurs tendres (eh oui, les snobs, c'est un vin, pour de vrai!). Alors, bien sûr, comme sécurité, j'ai mon truc, un cubi dans le frigo, généralement celui de ma bonne vieille coopé de Castelmaure; plus qu'un rosé, c'est un gris, un vin de table de grenache gris et de cinsault qui coûte à peine plus cher que le prix de l'essence (douze euros soixante les cinq litres) et qui colle merveilleusement bien avec la cuisine d'été. La contrepartie, le défaut, c'est que ça se boit comme de l'eau, mais je m'en fiche, comme je me soigne aussi du thé vert, la Faculté est d'accord**…
Pour tous les jours, j'ai bien essayé de boire de l'espagnol, mais c'est tragique! Il est d'ailleurs assez sidérant de constater qu'un pays au climat chaud, gros producteur viticole, dédaigne ce vin qui semble inventé pour le pays. J'imagine volontiers un rosé ibère, à base de sumoll, de grenache d'altitude, de bobal, de graciano, conjugués aux accents ensoleillés de la gastronomie traditionnelle locale (celle qu'ont épargnée les vandales du moléculaire et du tecnoemocional, promoteurs du Coca-Cola et de la bière industrielle). L'ambiance ici est aux rosé de routiers, amyliques en diable, épais dont on sent bien qu'ils ont été traités comme la dernière roue du carrosse dans les usines pinardières du coin du Penedès ou de La Mancha. Quel dommage! Un peu moins de mépris aiderait peut-être à faire remonter les statistiques de consommation de vin, chez les autochtones et chez les touristes étrangers. Deux exceptions qui confirment la règle: le bon vieux Tondonia, un rosé qu'on boit âgé d'au moins dix ans (le 99 était superbe, le 2000 m'a un peu déçu) et le Caminito de Marc Bournazeau, muy seco, sur des poissons de la Costa Brava.
Heureusement, le buveur de rosé que je suis peut demander l'asile éthylique à la France. Pour revenir au Languedoc-Roussillon, je vous ai confessé mon inclination pour le rosé (vieux) des Clos perdus en Corbières. J'y ajouterai aussi mon amour le le Rosé Trémier du grand Alain Chabanon, marqué par le mourvèdre. On peut bien sûr filer en Provence, pour faire comme tout le monde; les vins du Var, des Bouches-du-Rhône et d'une minuscule partie des Alpes-Maritimes continuent de susciter un engouement mondial, les tarifs sont donc au diapason, le rosé provençal ne s'est jamais vendu aussi cher (plus de deux cents euros l'hecto en vrac!) avec même des coups de frics retentissants comme le Château d'Esclans de Sacha Lichine, taillé sur mesure pour les nouveaux Russes qui peuvent boire ça à Saint-Trop' en regardant des demi-mondaines se trémousser sur l'air de "L'été s'ra cher, l'été s'ra cher, dans les T-shirts, dans les maillots"…. Tant qu'à faire dans cette forme de bouteille, pour le prix d'une demie d'Esclans, autant se taper un magnum de Rosé d'une nuit du Château La Coste en Coteaux d'Aix, c'est vinifié par le Cadurcien Mathieu Cosse (dont j'évoquais le cabernet-franc hier) et ça tient la route.
Il faut bien sûr aussi s'intéresser à Bandol (où l'on vend cher de pères en fils), au sud de la vallée du Rhône, paradis du cinsault, au Sud-Ouest (Fronton notamment où la négrette sait faire et, en Marmandais, Elian Da Ros qui nous mitonne une surprise), à la Loire (vous vous souvenez, le "guillage"?) et même au gris-de-toul de Lelièvre qui constitue, car il est importé, une de mes poires pour la soif estivales en Espagne.
Dans ma quête du rosé de l'été, celui qu'on sort pour les grandes occasions, qui se boit à même la peau, je me suis même lancé, impavide, à l'assaut des tours cerclées de schiste du château d'Angers. Et ce n'est pas un mièvre, un doucereux cabernet-d'anjou, ce n'était pas un vin-à-mémère que je m'en allais chercher dans ce krak ligérien. Non, une star, le désormais célèbre rosé de L'Anglore, vision naturiste du tavel gardois concoctée par Éric Pfifferling. Le 2011 était délicieux, bu et pissé depuis longtemps, et, là, au pied des murailles, c'est le 2012 que j'avais dans le colimateur.
Je me suis d'abord fait la main avec le gris, Le chemin de la brune, dont j'ai de loin préféré le (joli) nom au jus d'aramon, de cinsault et de grenache, un peu alcooleux. Quant à l'idole des jeunes, le rosé "normal" de L'Anglore, l'étiquette bleue, on ne peut pas dire qu'elle se soit fait porter pâle, compte tenu de sa couleur, mais elle m'a semblé un peu absente: soit ce n'était pas mon jour, soit ce n'était pas le sien. J'opterais plutôt pour la deuxième proposition, entre le voyage et une météo mouvementée. Laissons-lui un peu de temps (pas trop quand même parce que les beaux jours approchent!) et on le re-goûtera.
En revanche, le rosé de L'Anglore que j'ai trouvé épatant, c'est son "tavel à l'ancienne", un 2011 élevé en demi-muids, comme on le faisait jadis dans le Gard pour ce vin de gastronomie. C'est riche, solaire et frais à la fois, long, ça a de jolis petits tanins, on hésite un peu sur la couleur, ça égayerait joliment un banquet de hussards, ça illuminerait un souper fin parfumé de dentelle noire… Bref, on en veut! Sauf qu'apparemment le prix de cette perle rare s'annonce assez terrifiant puisqu'il devrait se retrouver chez les cavistes aux environs des vingt-sept, vingt-huit euros, ce qui fait quand même beaucoup plus cher que mon petit muscat de Cadenet. Pour ceux (comme moi) qui ont du mal à concevoir le rosé en dessous d'un litre par repas, il faudra aller voir son banquier avant de passer à table. Ce qui nous éloigne un rien de ma conception de base, méridionale et généreuse, du rosé. C'est la vie…
* Pour les non-provençaux, l'alouette sans tête n'a rien à voir avec cet oiseau (par ailleurs délicieux). Il s'agit de sortes de paupiettes sudistes au petit salé, à l'ail et aux herbes, roulées dans du bœuf (et non dans du veau comme les paupiettes), servies dans une sauce tomate courte, avec du vin et des olives (noires selon moi).
** Je carbure au thé vert japonais le matin et au vin le soir, avec ça, je suis sauvé, si j'en crois cet article lu récemment dans les pages Santé du Figaro où on m'explique que "le vin et le thé vert sont réputés être bons pour lutter contre la maladie d'Alzheimer. Ces deux aliments contiennent chacun un polyphénol, respectivement le resvératrol et l'EGCG (pour «épigallocatéchine gallate»), des molécules aussi connues pour leurs propriétés antioxydantes et leurs actions bénéfiques contre le diabète, l'obésité ou le cancer."
Je n’avais pas encore pris le temps de lire cet article. Peut-être est-ce le soleil revenu sur le Bordelais depuis ce weekend qui m’en a donné envie… Je suis moi-aussi un vrai amateur de rosé et partage votre propos. Pourtant, vous citez la Provence, la Loire, les Corbières, Bandol, Tavel, Fronton… « et même le Gris de Toul »… mais pas le Bordelais.
RépondreSupprimerBordeaux, 4ème région de France productrice de vins rosés, recèle de vraies pépites ! Il faut goûter la fraicheur et les notes de pêche et d’agrumes d’un CHATEAU HAUT GARRIGA ou d’une cuvée MISSION SAINT-VINCENT. Le fruité aux notes d’abricot et de framboise d’un CHATEAU BELLE GARDE ou d’un CHATEAU DES ARROMANS. Ou encore la complexité vineuse de nos meilleurs clairets du CHATEAU PENIN ou la cuvée MARQUIS de la Cave Coopérative de GENISSAC. De vraies pépites je vous dis ! Et à un prix de l’ordre de 5 € la bouteille en moyenne ! De quoi faire son ordinaire pour toutes les journées ensoleillées de l’année.