Le doux désir de durer…
Au temps du marketing et de l'instantanéité, il faut que ça pulse! On a à peine commencé à aimer quelque chose qu'il faut s'en défaire: démodé, obsolète, ringard… Et malheureusement, ça ne vaut pas que pour la fringue et les bagnoles, le vin lui aussi paye son tribut au culte écervelé de la nouveauté à tout prix. Qu'il est rassérénant, pourtant, de pousser la porte de ceux qui savent faire, de ceux qui font bon depuis longtemps, dont la démarche s'inscrit dans le temps. De tourner le dos aux fashionistas et, sans honte, de réviser ses classiques, comme on ressort un vieux cashmere ou des richelieus patinés.
Loin des crus qui pétaradent, Pierre-Jacques Druet fait partie de ces indémodables. Hier, après avoir par erreur mis le nez sur quelques drouilles, sur quelques vins de supérette qui vous rappellent (c'est utile parfois) que le pinard n'est pas mort, ce vigneron intarissable aux allures de jovial professeur Nimbus nous a remis sur le chemin du bonheur de boire.
Et pourtant, nous n'étions pas dans les entrailles de sa cave de Bourgueil, éblouis par ce folklore ligérien fait de tuffeau et de vieux bois mais au Parc des Expositions d'Angers, pas plus laid que les autres parcs d'expositions de France et de Navarre, mais sordide quand même, plus adapté à la vente de matelas ou de pavillons clés-en-mais qu'au culte de Bacchus. Par parenthèse, lorsque s'ouvrira (très bientôt) le débat sur l'avenir des salons viticoles régionaux (et du pourquoi de leur atomisation) devra se poser l'incontournable question du lieu, techniquement complexe mais je crois fondamentale.
Ça se passait donc à la lumière des néons, sous des bouches de métal dégueulant de l'air surchauffé, sur des tables de frêne synthétique*. Le bonhomme nous a souhaité la bienvenue avec son rosé de l'année, enfin, avec son 2010. Regrettant d'ailleurs de ne pas nous en avoir apporté de plus vieux… Je ne vais pas vous détailler la médiévale méthode du "guillage" que Pierre-Jacques Druet a remis au goût du jour pour créer ce vin de gastronomie, c'était simplement délicieux, nous étions projetés l'été, au confluent de la Loire et de la Vienne, au pays de Rabelais, sous une tonnelle, plus rien ne pouvait nous arriver.
Mais, bien sûr, on ne va pas chez Druet pour se taper des agace-culs. Le breton, le cabernet-franc, on veut le voir chez lui dérouler sa trame, le fouiller de la langue, le regarder vieillir. Il nous fait donc goûter ce qu'il vend actuellement au domaine, à commencer par ses bourgueils "de soif", ceux que Carmet buvait en très grands formats. Les cent Boisselées, du 2009, 2008, du 2007, du 2006, des vins qui déjà se donnent, tous différents, sans aucun stéréotype, comme des témoins de chaque millésime, qu'on a envie de poser sur sa table qui vous parlent de finesse, de terroir et d'équilibre, des vins qui chantent la Loire et dont on se demande pourquoi leur notoriété n'est pas plus grande encore.
Puis, arrivent, sans roulements de tambours (ça le mériterait pourtant), les vins de garde, Grand Mont et Vaumoreau. Pierre-Jacques Duet a une faiblesse pour Vaumoreau, j'ai une tendresse pour Grand Mont. Évidemment, quand ça a sept ou huit ans, c'est bon, mieux que ça même, mais on reste encore un peu sur sa faim, parce qu'on a des souvenirs, on se dit que la patience s'impose (le Temps, toujours…). On a envie de voir évoluer ces tanins chics, tellement différents de la vulgarité de ceux des drouilles évoquées plus haut. On touche alors le tiercé dans l'ordre, sortent de nulle part un 90 et un 89, Vaumoreau, 90 excellent, et 89, sublime, jeune mais assagi, d'une longueur qui vous envahit, un vin qui submerge, qui fait rêver de cuisine vraie. Le luxe, c'est ça!
C'est bien beau, mais le luxe, me direz-vous, ça a prix. Et les grands classiques sont devenus inaccessible au commun des mortels. Oui, sauf que Bourgueil, ce n'est pas Saint-Et-Millions, les nouveaux Russes et les Chinois débridés ne se sont pas encore offert la Michelin n°317, Maine-et-Loire/Indre-et-Loire: chez Druet, on vous vend le vin au prix du vin, pas à celui du "rêve" en sac Vuitton. À moins de dix euros, on peut commencer à se faire très très plaisir. On sait raison garder.
Désolé de faire mon Pompidou et, en guise de conclusion, de citer Éluard mais le vin de Pierre-Jacques Druet, dans son doux et "dur désir de durer" me donne envie de vous offrir un poème, Notre Mouvement.
Nous vivons dans l'oubli de nos métamorphoses
Le jour est paresseux mais la nuit est active
Un bol d'air à midi la nuit le filtre et l'use
La nuit ne laisse pas de poussière sur nous
Mais cet écho qui roule tout le long du jour
Cet écho hors du temps d'angoisse ou de caresses
Cet enchaînement brut des mondes insipides
Et des mondes sensibles son soleil est double
Sommes-nous près ou loin de notre conscience
Où sont nos bornes nos racines notre but
Le long plaisir pourtant de nos métamorphoses
Squelettes s'animant dans les murs pourrissants
Les rendez-vous donnés aux formes insensées
À la chair ingénieuse aux aveugles voyants
Les rendez-vous donnés par la face au profil
Par la souffrance à la santé par la lumière
À la forêt par la montagne à la vallée
Par la mine à la fleur par la perle au soleil
Nous sommes corps à corps nous sommes terre à terre
Nous naissons de partout nous sommes sans limites
in Le dur désir de durer, 1946, Œuvres complètes t.II © Gallimard, La Pléiade, p.83
Nous vivons dans l'oubli de nos métamorphoses
Le jour est paresseux mais la nuit est active
Un bol d'air à midi la nuit le filtre et l'use
La nuit ne laisse pas de poussière sur nous
Mais cet écho qui roule tout le long du jour
Cet écho hors du temps d'angoisse ou de caresses
Cet enchaînement brut des mondes insipides
Et des mondes sensibles son soleil est double
Sommes-nous près ou loin de notre conscience
Où sont nos bornes nos racines notre but
Le long plaisir pourtant de nos métamorphoses
Squelettes s'animant dans les murs pourrissants
Les rendez-vous donnés aux formes insensées
À la chair ingénieuse aux aveugles voyants
Les rendez-vous donnés par la face au profil
Par la souffrance à la santé par la lumière
À la forêt par la montagne à la vallée
Par la mine à la fleur par la perle au soleil
Nous sommes corps à corps nous sommes terre à terre
Nous naissons de partout nous sommes sans limites
in Le dur désir de durer, 1946, Œuvres complètes t.II © Gallimard, La Pléiade, p.83
*Mais grâce à Michel Smith, très ligérien roi du carignan.
Merci Vincent de me rappeler une visite chez lui datant de 1997 ou 98. Passer sous les calcaires comme par surprise pour entrer dans sa cave à peine éclairée et découvrir des vins qui râpait la langue ce qui me valut d'apprendre le terme d'astringent. Un joli souvenir pour des vins que j'ai pris beaucoup de plaisir à goûter les mois qui suivirent. Je n'en ai plus...
RépondreSupprimerDommage…
SupprimerFort joliment narré, Vincent. J'en profite pour enfoncer une porte ouverte en conseillant à tout amateur de vin digne de ce nom de se procurer sans attendre le Grand Mont 2007 (une montagne que l'on escaladera volontiers), possiblement en magnum. On y retrouve la beauté des petits fruits rouges chers à Bourgueil... Bonne vie !
RépondreSupprimerLe GM 2007, mais pas seulement. Je compte bien le visiter cet été.
SupprimerC'est vraiment sympa d'avoir remis le lien dans ton bel article du 27 déc. vers celui-ci que j'avais loupé à l'époque .... Merci !!
RépondreSupprimerEt je suis heureux de lire ces belles lignes sur l'ami Druet !
La disparition de son ami de toujours Joël (Taluau) lui a été très pénible, et je ne trouvais pas les mots pour le consoler. Depuis bientôt 25 ans, j'adore défendre les vins de Loire de cette trempe, et ouvrir quelques fois, des "Vaumoreau" '89, '96, comme des "Vieilles Vignes" des mêmes années de Taluau, ou bien encore des "Varennes du Grand Clos" en Franc de Pied '89, '90 du grand Charles...... Et alors, montrer aux "p'tits jeunes sommeliers" d'aujourd'hui que la Loire.....avec certains artistes, peut donner des trésors de très grands vins et de très longues gardes ! :-)