On tient enfin le coupable de la farce des lasagnes!
C'est un de mes informateurs qui m'a tuyauté hier après-midi. Fidèle à mes principes, je ne vais évidemment pas griller ma source. Mais, avec un luxe de détails, il m'a révélé toutes les informations derrière lesquelles couraient (mollement) depuis la semaine dernière les commissions d'enquête parlementaires, les ministres à l'air courroucé et les fonctionnaires européens. Et, surtout, il m'a donné un nom, le nom d'un des complices du coupable de l'affaire des lasagnes au bœuf qui hennit, de ce scandale alimentaire qui donne une fièvre de cheval à l'industrie agro-alimentaire. Et même sa fonction: il s'agit de Monsieur le Maire de Ginestas!
Car mon informateur m'a tout dit. Son maire à lui qui règne sur un petit village de l'Aude rêve de voir s'installer sur la commune une grande surface à l'enseigne de Super U, ainsi que tous les miasmes qui vont avec, dont l'inévitable franchisé d'une chaîne de fast-foods américains. Le projet est en bonne voie, l'enquête administrative devrait s'ouvrir en juin et, "si tout va bien", ce ne seront pas moins de dix hectares qu'on va bétonner, signant ainsi l'arrêt de mort de l'artisanat et du commerce local. Mon informateur est en colère, je le comprends, redoutant que l'on transforme ce charmant coin du Minervois* en un nouveau bidonville banlieusard. Monsieur le Maire, lui, plutôt que de penser à la poubellisation du lieu préfère se réjouir des potentielles "créations d'emploi", persuadé que tout ça "est bon pour le tourisme". Mais ce qu'il oublie ce brave élu languedocien, c'est qu'au passage, il devient le complice du suspect n°1 de l'affaire Findus.
Ménagère de moins de cinquante ans (mais grâce au complexe anti-âge Revitalif au Pro-Rétinol A+ de L'Oréal on lui en donnerait facilement dix de moins), Véronique Martin est une femme d'aujourd'hui, active et décomplexée. Elle a bien ri en lisant dans Elle l'article sur ces pauvres péquenots qui se sont fait refiler de la viande roumaine, du cheval en plus, dans leur barquette Findus. Véronique est bien au dessus de ça. La viande, elle n'en consomme presque plus, il y a tellement de jolis filets de poissons au rayon frais de son hypermarché: elle aaadore la perche du Nil et le panga, "génialement exotique". Et les poêlées surgelées de légumes bio (même si sa copine Anne-Sophie, cette menteuse, lui a dit que c'était fabriqué en Chine).
Là, au sortir de sa Mini One, sur le parking du Carrefour de Parly2, elle vient de verser son obole, son tribut, une modeste pièce d'un euro (mais c'est l'intention qui compte) au suspect n°1 de l'affaire des lasagnes au bœuf qui hennit, devenant par là même, elle aussi, sa complice silencieuse.
Le coupable, vous l'avez compris, c'est ce chariot de supermarché, ce Caddie dont, par antonomase, le nom devient commun. C'est évidemment lui le coupable de cette farce (dans tous les sens du terme) des lasagnes, une farce dont, je l'écrivais samedi, à quel point je m'en délectais. Et je m'en délecte toujours car le grand numéro d'hypocrisie continue de tous côtés. Les Anglais, comme prévu, excellent dans leur rôle
de pucelles effarouchées: eux qui nous avaient envoyé l'encéphalopathie
spongiforme bovine et qui sont parmi les premiers Européens à avoir
succombé à la junk food (malbouffe en frenchie) défaillent à l'idée d'avoir avalé un bout de viande de cheval (qui donne de la sanquette comme disent les mamies). La plupart des journalistes s'acharnent à éviter les questions qui fâchent et à éluder les problèmes de fond, quant aux hommes politiques…
Alors, bien sûr, on va trouver des coupables de circonstance, des lampistes comme ce trader de bidoche hollandais ou cette entreprise audoise censés porter le chapeau trop large d'un système
huilé qui tord toujours un peu plus ses fournisseurs, un système vicieux si bien décrit hier dans Le Figaro
et sur lequel on ferme les yeux depuis des années, de la même manière
qu'on l'a fait pour les exactions boursières ou bancaires. Mais, ne nous leurrons pas, le brouillard organisé qu'est le marché mondial de la malbouffe, ce marigot opaque où en apparence plus personne ne sait qui fait quoi, ne peut exister que parce qu'il s'appuie sur un mode de distribution qui le génère et le fait prospérer, un mode de distribution symbolisé par ce fameux Caddie.
Le Caddie, et la pieuvre de la grande distribution, Monsieur le Maire de Ginestas, tous ses collègues français et leurs "bonnes intentions", lui donnent un sacré coup de main en lui ouvrant grand les portes de leurs communes. "C'est normal" affirment-ils tous d'une même voix, quel que soit leur parti, s'étonnant même qu'on s'interrogent, trouvant "anormaux" les doutes. Et leurs patrons, les politiciens de métier, d'habitude peu avares en leçons de morale, détournent pudiquement le regard.
Pour autant, il est trop facile de rejeter la faute sur Monsieur le Maire. Oui, il est complice, par ignorance, espérons-le, par faiblesse et manque de vision. Mais nous tous, consommateurs, le sommes aussi. Nous tous qui, un jour ou l'autre, acceptons, tels des moutons, d'aller pousser des Caddies sous les néons glauques des grandes surfaces. Nous, les ménagères de moins de cinquante ans, sommes complices et consentants. Il n'y a aucune fatalité dans tout cela. Admettons-le, ne nous dérobons pas en invoquant tel ou tel complot international qui nous arrange bien, tel ou telle entorse à notre confort**, nous sommes complices et non victimes.
Pousser ou non un Caddie, aller ou non se perdre au supermarché, faire ou non la cuisine, montrer ou non à ses enfants qu'un autre Monde existe, accepter ou non un univers qui déifie le moins-disant, refuser les Disneyland de la consommation jetable, ce sont des choix. Des choix personnels, des choix politiques, des choix de société. Des choix qui ont des conséquences économiques, sociales, culturelles et écologiques autrement plus importantes que cette farce des lasagnes qui doit servir d'avertissement sans frais. Je pense même que l'on vote plus efficacement avec son panier à provisions qu'en glissant un bulletin dans une urne. J'ai dit avec son panier, pas un Caddie…
* J'avais déjà évoqué ici cette affaire qui pollue cette charmante petite région littéralement envahie par de hideuses zones commerciales, livrée à la convoitise des promoteurs, alors même qu'elle a la chance de se trouver au bord du Canal du Midi, Patrimoine mondial de l'Humanité.
** "On n'a pas les moyens de ne pas aller au supermarché" entend-on souvent. Oui, si l'on veut manger un steak par jour et du "préparé par d'autres". Vous voulez économiser? Cuisinez! Voyez les bas-morceaux, les cuissons longues, les légumes de saison, achetez en circuit cours, directement aux paysans. Et par pitié, ne vous réfugiez pas derrière le fallacieux argument du "manque de temps". Je le serine sans cesse mais aucune génération avant nous n'a jamais disposé d'autant de temps libre. S'organiser ou non, c'est aussi un choix.
Je rappelle au passage que le steak tartare, emblème d'une génération de bouffeurs décomplexés et modernes, était réalisé à partir de viande de cheval. Et puis, les recettes ont glissé…
RépondreSupprimerTu as raison, le vrai tartare, au rayon garçon de la cuisine, c'est toujours du cheval, pas de la saint-jacques ou du saumon. Et sans trois tonnes de merdes ketchupisantes dedans…
SupprimerEt les côtes d'âne, tu connais les côtes d'âne comme celles que cuisine Marc Valette, à Saint-Chinian?
SupprimerQuand j'étais petit, mon père, qui est médecin, m'achetait du steak de cheval pour me refaire la santé quand j'étais grippé. Je ne sais pas si ça marchait, mais j'ai de ce fait une certaine tendresse pour la viande de cheval, qui il est vrai était plutôt très bonne, pas très grasse, savoureuse. D'ailleurs j'ai mangé récemment du jambon de cheval séché chez Georges Dos Santos, qui était fort savoureuse!
SupprimerCette hypocrisie autour des pratiques de notre industrie agroalimentaire m’en rappelle une autre. Celle concernant la bienveillance que l’on accorde aux sportifs. Rappelons-nous ce vilain cheval (encore !) dont Alberto Contador avait imprudemment consommé la viande, ce qui expliquait son taux anormalement élevé de clenbuterol (un anabolisant). Et puis aussi le naïf Richard Gasquet qui avait oublié de demander un certificat sanitaire à une fille dans une boîte de nuit, avant de l’embrasser…
RépondreSupprimerOn vit une époque formidable. Qu’est-ce qu’on se marre !
Ce n'est pas faux…
SupprimerSupermarches ceci cela, Vincent, moi j'y vais, au supermarche, et aussi chez le boucher, et au marche de Sigean, et aux poissons frais peches de Port la Nouvelle, et même au Lidl (le PQ à 2 balles, c'est nickel a mon avis). Il m arrive de faire gouter à des enfants des produits tres, tres varies, chaque fois que je le peux. Je pense que cela aiguise leur sens critique et les rendra plus forts plus tard, parce que saisir les nuances du gout et la valeur des bonnes choses même simples, ca permet de comparer, de relativiser, on en comprend le sens pour toujours et cela donne de bonnes bases pour la route. Ou ca y contribue. ET je cuisine, beaucoup, et parfois même tres bien, et je suis econome, et je ne suis pas une madonne des temps moderne et ne me sens pas une sainte ni une deviante : je fais ce qui me va bien, et je n'en ai pas plus mauvaise conscience que de ne pas encore avoir aboli moi-meme personnellement la prostitution des enfants de familles "pauvres".
RépondreSupprimerEt devine ce qui me gonfle le plus, dans tout ca ?
Gagné.
Bon allez, je vais me coucher, de toute facon j'etais de mauvaise humeur.
Et il faudra me pardonner cette sortie, cher voisin inconnu.
Il ne s'agit pas de sainteté ou de déviance, Isabelle, il faut juste prendre conscience du fait que c'est un choix, ton choix, et pas une fatalité. Je ne juge pas, je constate.
Supprimerdans l'independant du 19 février en chronique de narbonne un article sur l'implantation de plusieurs commerces au rond point de cabezac........
RépondreSupprimerMerci, mais il serait intéressant d'ajouter un lien afin que nous puissions le lire.
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