À Barcelone, un restaurant très à l'écoute…


Ça n'a pas encore franchi les Pyrénées, mais un restaurant barcelonais est en train de crever l'écran en Espagne. La Camarga avait pourtant tout de ces établissements banals du morne quartier de l'Eixample, inodore et sans saveur, anonymement posé dans ce genre de rues autoroutières qu'on imagine mal emprunter autrement qu'en voiture. La cuisine, comme celle des deux autres succursales du groupe La Provença, fait un clin d'œil (sans génie dit-on, je n'y ai jamais mangé) à la gastronomie du Sud de la France, le décor est propret, bref rien qui ne justifie a priori cette soudaine et éclatante renommée.

En fait, c'est une autre tambouille, un rien malodorante, qui vaut cet énorme coup de projecteur national au restaurant de la famille Vidal Blanco: ici a débuté il y a quelques jours le Camargate, une sorte de de Watergate à la sauce catalane qui crée un scandale politique retentissant en Espagne.
Une élue de Droite, Alicia Sánchez-Camacho venait y déjeuner avec une ex-maîtresse de Jordi Pujol Ferrusola, fils de Jordi Pujol, le vieux parrain nationaliste barcelonais, figure symbolique de l'indépendantisme. Une ex-maîtresse encombrante qui a commencé de dévoiler devant la Justice ce que tout le monde "sait" en Catalogne, à savoir que les leaders locaux, moralistes en diable, sont, comme tant d'autres élus espagnols, les rois de la valise de pognon et n'ont pas leur pareil pour piller le pays. Par ailleurs, le frère de Jordi Pujol Ferrusola, Oriol, héritier du parti familial, a lui aussi pas mal de casseroles au cul (on frise la batterie de cuisine) sur lesquelles la justice locale, si respectueuse et patiente, met du temps à mettre un nom. L'héroïque famille Pujol est soupçonnée de régner sur un eldorado financier interlope dissimulé comme il se doit en Amérique latine.


Le problème, c'est que le déjeuner à La Camarga d'Alicia Sánchez-Camacho et de María Victoria Álvarez, l'ex-maîtresse de Jordi Pujol fils, a été truffé… de micros! Les deux femmes auraient été enregistrées par une officine barcelonaise, Metodo 3, une agence de détectives liée comme par hasard à de hauts responsables socialistes et nationalistes (par l'entremise semble-t-il du Barça). Et voila qu'on découvre au passage que plus de mille écoutes de ce genre ont été réalisées par les "plombiers" de Método 3; dans la liste, figure des politiciens, des hommes d'affaires, des diplomates, ils en arrivaient même à s'espionner entre eux… Un fumet qui nous, de l'autre côté des Pyrénées, évoque le souvenir la France barbouzade de la fin du gaullisme et de l'avènement du mitterrandisme. Et bien sûr, aux États-Unis, la chute de Robert Nixon. Pour dire l'ampleur du scandale, même le journal local La Vanguardia, aussi respectueuse que la Justice régionale du parti au pouvoir en Catalogne, s'indigne à la Une du Camargate, lequel fait éclater de rire les commentateurs nationaux.


Le plus amusant, c'est que tout ça, cette société en état de décomposition avancée, l'écrivain de Barcelone, Manuel Vázquez Montalbán l'avait décrite en détails dans l'un de ses derniers polars, L'homme de ma vie. Ce roman, paru en 2000 mettait au prise le célèbre Pépé Carvalho avec les sbires et les nervis de la maffia locale dans une ville aux allures de cloaque. Une rocambolesque guerre de l'ombre, pleine d'agents pas très secrets, de demi-sels fascisants et de de politiciens véreux, une grande crise d'espionnite aigüe favorisée par la folie nationaliste nourrie de mythomanie, de paranoïa et de conspirationnisme. À l'époque, on avait trouvé ça complètement délirant. C'était en fait soit visionnaire, soit très bien informé. Va savoir, le détective de Montalbán fréquentait peut-être lui aussi La Camarga

Commentaires

  1. La camarga...Casa Leopoldo , Can Solé ou 7 Portes mais pas ce genre d'endroit, enfin !
    sinon,je vois que le "nacionalpujolismo" (ainsi le nommait MVM)n'en finit toujours pas de se dégrader.

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  2. Carvalho aurait sûrement évité ce genre de resto, d'après votre description!

    Antoine C.

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    1. Comme je l'ai écrit plus haut, il l'aurait peut-être fait, en maugréant, pour les besoins du métier. Mais c'est vrai qu'il avait le même amour que moi pour le triste quartier de l'Eixample et ses restaurants de pijos…

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