Le dopage du vin.


C'est un sujet de conversation récurrent chez certains néo-hygiénistes pinardiers. D'ailleurs, je me demande parfois si leur mission secrète, inconsciente peut-être même, n'est pas de nous faire déserter le goulot. Car il ne s'écoule pas une journée sans que j'en entende un m'expliquer que la plupart des vins que nous buvons recèlent (et donc sont) de terribles poisons. À écouter les khmers verts, chaque bouteille, aussi chargée qu'Armstrong, contient de quoi tuer un troupeau de buffles: nous creusons notre tombe avec notre verre!
Attention! Watch out! Achtung! ¡Cuidado! 注意! внимание! Ce n'est en aucun cas l'agriculture biologique et ses promoteurs que je critique, bien au contraire. Tout ce que nous pouvons faire pour purifier, revivifier nos sols, pour débarrasser nos vins d'encombrants résidus va à n'en pas douter dans le bon sens. Souhaitons, par parenthèse, que la Science nous permette de progresser dans le connaissance du vivant pour le faire de la plus efficace, de la plus propre des façons, en améliorant le bilan-carbone du bio et en gérant le problème de la pollution au cuivre.


Non, les poisons évoqués plus haut que traque la "Brigade anti-dopage", ce sont ces fameux et diaboliques "intrants", à commencer par le soufre, sorte d'arbre cachant la forêt de beaucoup d'autres pratiques œnologiques (qui pour le coup riment avec satanique). Là encore, loin de moi le souhait de défendre les jus sulfités "à l'ancienne"*,  tant mieux si l'on peut éviter de surcharger en SO2. Chaque vigneron fait ce qu'il veut, et ce qu'il peut aussi, en fonction de son climat**, de l'acidité de ses raisins, de l'état de sa vendange, et de son propre goût. Personnellement, le soufre, utilisé rationnellement, ne me pose aucun problème philosophique (pas plus, qu'il n'en pose à la nouvelle réglementation bio). Le Diable n'est pas, en l'occurrence, un concept qui m'effraie, j'ai là-dessus une position gustative, pas hygiéniste, et encore moins politique. N'oublions pas en revanche, si l'on veut se la jouer assistante sociale, que le véritable poison que contient le vin, l'ennemi, je le répète, c'est l'alcool. C'est lui qui fait mal aux cheveux, qui déshydrate, qui fait trembler, qui provoque la cirrhose… 


Quoiqu'il en soit, je ne vais pas à mon tour tomber dans cette recherche, dans ce culte de la pureté, ou, plus exactement, d'une image qu'on s'en fait. L'extrémisme m'inquiète toujours un peu, quand je ne le trouve pas suspect. Pourtant, sans vouloir dénoncer, je m'étonne que les zélateurs du non-interventionnisme pinardier ne se préoccupent jamais d'une pratique assez répandue et qui immanquablement transforme un vin "vivant" en vin "mort". Il s'agit de la flash-pasteurisation. Cette méthode consiste à faire très brutalement monter le jus en température (70° C. maxi en réglementation bio), pendant un laps de temps très court, de l'ordre d'une ou deux minutes puis de le refroidir. Ainsi, on tue toute les micro-organismes (bactéries, levures) présents dans le vin qui devient ainsi une espèce de Caprice des Dieux liquide.

La flash-pasteurisation peut être une sorte d'ultime recours pour sauver une cuve qui "patine" en cours de fermentation, dans le style "on arrête tout et on recommence. Parce qu'il faut ensuite la réensemencer avec un levain pour qu'elle redémarre. Mais certains vignerons (et pas que des industriels!), l'utilisent comme procédé de stabilisation. Dans les campagnes, on dit qu'ils font appel au "petit camion", une unité mobile qui vient discrètement limiter les dégâts. Et vous me direz que ce n'est pas du dopage, puisque, comme l'osmose inverse, l'enrichissement (hors Languedoc-Roussillon, Provence, Corse et Rhône) et pas mal d'autres pratiques, c'est autorisé en dans le nouveau règlement européen qui s'applique au vin bio. Ouais, c'est pas du dopage, mais ce n'est pas très "nature"…



* je sais que c'était forcément mieux avant, mais en cent ans, les doses de soufre ont été divisées par quatre. S'y sont ajouté beaucoup d'autres intrants, stabilisants et autres, parfois plus gênants, parfois non, comme la bentonite, la vitamine C, les enzymes, la gomme arabique…
** il va de soi qu'il est plus difficile de baisser le SO2 sur un rouge sudiste que sur un blanc effervescent septentrional à l'acidité protectrice.

Commentaires

  1. T'en connais beaucoup des blancs effervescents septentrionaux à l'acidité protectrice vinifiés sans SO2? Une poignée de champagnes, quelques crémants d'Alsace ou du Jura, voire de Loire, mais ça fait pas beaucoup. Et un certain nombre de pet'nat, mais ce sont de vilains vins tarés à défaut, par définition. Je ne suis pas sûr que ce soit un bon exemple. Des rouges sudistes bien vinifiés et pas trop chargés (en alcool, en sucre, en soufre), j'aurais pas mal d'exemples à te citer, par contre.

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    1. Je crois avoir écris "baisser", pas "supprimer". Cela étant, oui, c'est plus simple sur un blanc acide et effervescent que sur un rouge tranquille à acidité basse.
      Pour ce qui est des "vins tarés", laisse ça à d'autres…

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    2. Tu en parleras à "Peppone", qui m'a toujours expliqué que faire du sans soufre ajouté sur des rouges du Sud, avec un niveau d'alcool suffisant, était facile...

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    3. Allons, allons!
      "Pour faire du vin sans soufre, il faut un bas pH", ce n'est pas moi qui le dit.

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    4. Ben parles-en avec lui, à moins que comme certains "grands critiques", tu veuilles aussi expliquer aux vignerons comment faire...

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    5. Je n'explique rien à personne, je me contente de citer quelqu'un, un vigneron justement, qui jouit d'une certaine aura (voire d'une aura certaine) chez les inconditionnels du vin sans soufre. C'est Pierre Overnoy qui a dit: "Pour faire du vin sans soufre, il faut un bas pH".

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    6. Je suis d'accord avec Franck et Olif, sans soufre avec un haut taux d'alcool, ça passe super bien, même que c'est parfois très comparable à un "grand vin sulfité" (par exemple sans sulfites, certains Gramenon ou les Sept souris de Lescarret).

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    7. C'est sûr que devant Overnoy, on ne peut que faire chapeau bas...

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    8. Gramenon, La Mémé, La Sagesse, etc, c'est sans SO2 ajouté? Je doute…

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    9. Mais il prêche pour sa paroisse, comme on dit... Je dirais plutôt bas pH ou haut taux d'alcool ou tannins magiques ou raisins dynamiques... Faut passer chez M. Frick, voir ce qui se passe dans ses foudres pour comprendre que le sans-soufre, c'est des années de travail, sur le raisin d'abord.

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    10. Jusque là, Antoine, on y arrive, on ne s'est pas élevé jusqu'à notre âge, Franck ou moi, pour ignorer que le vin, ça ne s'improvise pas. Après, et ce n'est pas non plus Franck qui va me démentir, le vin, c'est aussi de la chimie. Comme tout ce qui nous entoure, comme nos pensées par exemple au moments où nous écrivons et lisons ces lignes.

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    11. Prévost Jerôme19 janvier 2013 à 08:58

      Un bas PH dans le jus de raisin ça aide évidemment à moins de soufre.
      Un travail "délicat" à la vigne ça aide à un bas ph dans le raisin.
      L'alpha et l'oméga...
      Ton regard sur la chimie est trés juste et trés subtil : Michel Serres l'a trés bien écrit.

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    12. Jérôme, le propos complet de Pierre Overnoy va bien évidemment dans ce sens: "le vin sans soufre, il commence à la vigne. Il faut que les racines prennent la potasse qui se trouvre en surface, la potasse se combine alors à l'acide tartrique et fait chuter le pH."

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    13. euh la potasse qui se combine a l'acide tartrique ca fait plutot monter le pH non ?

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    14. Pas de soufre ajouté dans Mémé et Pascal S de Gramenon.
      Et le premier protecteur des vins effervescents, c'est le CO2...

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    15. Sur la Mémé et La Sagesse, j'ai des infos contradictoires: 15 mg/l.
      C'est bien pour ça que j'ai écrit que c'était plus facile sur un effervescent…

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    16. Sur Sagesse ok, jamais dit le contraire. Pas sur Mémé.
      Non, tu disais que c'était plus facile because ph plus bas... Tu n'as pas cité le CO2. Mais bon...

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    17. Ben, en général, quand c'est effervescent, c'est parce qu'il y a du CO2, pas parce qu'on a pété dans la bouteille…
      Sur Mémé, tu m'étonnes.

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    18. Pour La Mémé, j'ai plusieurs sources qui parlent de 10 à 15mg/l dont un mec qui en vend:
      http://lapassionduvin.com/phorum/read.php?16,42158,page=8
      http://www.vinscheznous.com/489-la-meme-ceps-centenaires-2011.html
      j'en ferai analyser un verre à Benoît…

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  2. D'où l'interdiction de la flash-pasteurisation par les règlements de l'AVN et de l'association SAINS.

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    1. Qui est une très bonne chose car il y a vraiment eu de l'abus. Et vouloir vendre des "vins vivants" alors qu'ils étaient montés dans le "petit camion", c'était un peu limite…

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  3. La flash-pasteurisation est un procédé ancien qui, comme son nom l’indique, fait référence à Pasteur. Il fut le premier à étudier ce procédé pour la conservation du vin mais n’en est pas l’inventeur. C’est Nicolas Appert qui le 1er développa cette méthode pour la conservation des aliments. La pasteurisation est dite flash parce que les temps de traitement sont très courts (quelques secondes) avec des températures plus élevées. Elle est très utilisée pour la conservation des aliments liquides (lait, jus de fruits…). Si cette méthode a été utilisée pour le vin dans les années 70, elle a peu à peu disparue grâce à une meilleure maitrise de l’hygiène dans les chais. Elle est réapparue ces dernières années, afin d’apporter une réponse au problème de prolifération de Brettanomycess dans certains chais. Elle a à nouveau été rapidement abandonné, car c’est une méthode non sélective, qui diminue fortement les populations de tous les microorganismes, mais qui n’empêche pas leur redéveloppement après traitement. Je suis consultant dans le Bordelais auprès d’un très grand nombre de producteurs, et je peux vous garantir que c’est une méthode très très peu utilisée.
    Braquer les projecteurs aujourd’hui sur la flash-pasteurisation, me parait vraiment un mauvais procès fait aux producteurs de vin. De plus ce dernier post ne m’apparait pas cohérent avec ce que vous dite dans le précédent : Le #buzz (pinardier) du #siècle !
    Par ailleurs, si je partage votre préférence pour les fromages au lait cru, rappelons que l’évolution du vin en bouteilles n’est nullement le fait des microorganismes (ou alors il s’agit d’une évolution déviante), mais bien de phénomènes chimiques d’oxydo-réduction. C’est d’ailleurs là que le peu de SO2 (qui est chimiquement un réducteur) trouve toute sa justification. Au plaisir de continuer à vous lire.

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    1. Pasccal, merci pour ce commentaire. Juste un point, l'idée est ancienne, mais la flash-pasteurisation, telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui n'a pas trente ans.

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