Le bourgogne? Direction Lyon!


On le sait, le "grand" bourgogne, ça va devenir compliqué. Financièrement, j'entends. Il va falloir apprendre à vivre sans. Car, on amorce un cycle qui n'est pas celui d'une petite spéculation plus ou moins orchestrée sur des domaines produisant des quantités industrielles, comme ça a été le cas sur certains domaines médoquins. Le "grand" bourgogne, beaucoup de gens, avec de gros moyens, en veulent sur la planète, notamment en Asie. Et le "grand" bourgogne, par essence, c'est rare. Pour des raisons historiques, culturelles, humaines, pour la complexité de ce puzzle vigneron que sont ces climats, ces micro appellations que, par parenthèse, l'Unesco (et le Gouvernement français), espérons-le, consacrera bientôt. Ce qui est rare et cher…


Ne sombrons pas non plus dans l'excès de pessimisme. Au delà des noms et des marques qu'exhibe la jet-set, il se trouvera ici et là, des familles, des vignerons, des paysans qui nous offrirons l'opportunité de goûter, sans prendre un crédit sur vingt ans, au pinot qui pinote, au chardonnay magique. Je veux le croire en tout cas. Et puis, comme me le disait il y a un bout de temps un avisé connaisseur de la Bourgogne, il va falloir trouver une alternative.


Cette alternative, en fait, est plurielle. Si l'on veut rester fidèle au pinot noir, on peut se montrer infidèle. Tenter l'exil ampélographique. Je vous racontais la Suisse, en novembre dernier (parce qu'en matière d'exil, pour ça, la Belgique, ça ne le fait pas), ces délicieuses bouteilles de Clos des Corbassières, ces pentes valaisanes que nous descendîmes allègrement Michel Smith et moi, lors d'un impromptue bordée barcelonaise. On peut aussi aux antipodes, à l'australienne, fantasmer sur les courbes douces de Leongatha, rêver du pinot pulpeux de Philip Jones. Mais ces phantasmes et ces rêves-là ont aussi le prix de la rareté.
 

Le connaisseur avisé qui nous mettait en garde, en fait un des marchands de vin les plus professionnels d'Espagne, Julien Steinhauser, allocataire de père en fils dans des maisons de tradition comme Ramonet, avait sa petite idée sur l'alternative à notre soif bourguignonne: taper un peu plus au Sud, en Saône-et-Loire, bien sûr, mais aussi et surtout carrément en Beaujolais. Il n'est pas le seul, ni le premier à y penser, me direz-vous. Sûrement, mais trouver de "grands bourgognes" immatriculés 69 ou 71, ça demande un peu de travail, de finesse et d'indépendance d'esprit.
Il faut d'abord tourner le dos à une certaine "bienséance", à "l'incontournable", éviter le politiquement correct et le conformisme, ne pas avoir besoin, comme les faibles et les ignares, d'être rassuré par une étiquette. Bref, accepter l'idée communément acceptée par les fashionistas que le Beaujolais ne se résume pas à Lapierre. Lapierre, je n'ai rien contre, c'est marrant, nous en avons d'ailleurs bu hier soir une bouteille en préambule, la cuvée SS 2011, gentil, un peu banane puis groseille, plus sur le procédé (la macération semi-carbonique) que sur le terroir. C'est coulant, gouleyant, c'est canaille, ça fait pousser la casquette et les rouflaquettes, avec de la cochonnaille, de la tripaille, ça réjouit, mais pour s'inventer la Côte de Nuits, c'est un peu simple et ça ne fait pas le compte.


Non, pour trouver le gamay qui pinote plus qu'il ne gamaite, il faut essayer de "penser différemment". On me signale d'ailleurs qu'en Beaujolais, il y a plein de façons de "penser différemment"*, j'avoue que je suis loin, très loin de les connaître toutes. Marco Bertossi, l'ancien de La Tour d'Argent qui tient boutique dans la banlieue de Montpellier, à Castelnau-Le-Lez, grand pourfendeur du conformisme, m'avait envoyé à Chénas chez Jean Georges & fils, qui fut raconte-t-on un des beaujolais préférés de Jules Chauvet, le théoricien de la vinification sans soufre. Les chénas, les moulin-à-vent et les fleurie de Franck Georges sont de petits trésors d'art modeste, qu'il impérativement oublier en cave dix, quinze ans pour que s'exprime la finesse. C'est inconnu au bataillon et ça vaut une misère, au moins moitié prix d'une bouteille de Lapierre. Parce que, soyons honnêtes, Lapierre, c'est un peu cher pour ce que c'est. Pour autant, ne chargeons pas la mule au vigneron (je vous épargne le "ne jetons pas la pierre"…), encore une fois un mécanisme boursier, c'est le marché, l'offre et de demande.


Car, à un prix comparable avec Lapierre**, et infiniment moins cher que les grands bourgognes, ma dernière énorme sensation en matière de "gamay qui pinote", c'est le fleurie Cuvée vieilles vignes du Domaine de La Grand'Cour millésime 2010. J'avais goûté et bien aimé il y a deux ans un autre fleurie du même Jean-Louis Dutraive, le Terroir Champagne 2009, en provenance de la cave du précieux Georges Dos Santos, à Lyon; le vin était assez dense, infiniment trop jeune, encore sur l'élevage et mon seul regret avait été notre impatience. Il n'empêche qu'il s'agissait là, à mon goût, d'un des meilleurs beaujolais que je n'avais jamais eu dans mon verre.


Hier, donc, un peu par hasard, le fleurie VV 2010 de La Grand'Cour est arrivé sur la table d'une soirée débridée. Dire que, de l'avis général, il a mis sous l'éteignoir le SS 2011 de Lapierre relève de l'euphémisme. Peu importe d'ailleurs, ce n'est pas un combat de coqs, et il y a un temps pour tout, pour de sympathiques vins de soif et pour des crus d'une noblesse davantage affirmée. L'essentiel, c'est que ce délicieux, ce distingué jus de gamay aux tanins délicats a révélé une lumière intérieure, une tonicité et une chair à faire pâlir de jalousie certains des "grands" bourgognes que nous ne pourrons bientôt plus nous offrir.  Le genre de vins qui, en tout cas donnent envie de pousser un peu plus au Sud, vers Lyon, vers le Beaujolais.


* Et pas mal de nouvelles recrues dont je vous parle parfois, Coquelet, Besnier, pas mal de vins où je remettrais bien le nez après de longues années de garde, comme Thivin, par exemple et les grands classiques, toujours au rendez-vous du plaisir, comme Chermette.
** Ici, à Barcelone, le fleurie 2010 de Dutraive se trouve à La Part dels Angels, tout comme le morgon SS 2011 de Lapierre (également disponible à L'Ànima del Vi).


Commentaires

  1. Dutraive a fait très bon (sur 2009 et 2011), avec peu de soufre, sur son Fleurie VV, VV terroir champagne, Clos de la Grand'Cour (superbe 1991 aujourd'hui).

    Fleurie VV terroir champagne 2011 est la bouteille qu'il ne faut pas rater à la maison de l'Aubrac.

    De quoi ne pas laisser le terrain qu'à Janin (magnifique Clos du Tremblay 2009, 1991 aussi).

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  2. Haaaaa!!!!
    Vincent, ami Fb à qui j'ai donné ma voix il y a peu pour te voir en finale à Angers, toi dont la plume enchante mes (courts) instants de détente devant mon écran, entre 2 contraintes Franco-françaises et/ou asiatiques ( Je crois que les maitres de l'administration ne sont plus Européens; ai je mal compris ou serais tu à 2 lignes de me décevoir...
    Ne tombe pas dans ce travers du Bourgogne inaccessible, et même si je les adore, ne parle pas uniquement des Beaujolais qui "pinotent" comme seule alternative...
    Comme tous les Blogueurs, ne tombe pas dans le panneau des grands noms Bourguignons sans même jeter un regard aux myriades de "petits" noms, animés par des vignerons qui "ont faim". Tous ces gens qui se dépensent(et qui dépensent)sans compter pour promouvoir et amener leurs petits noms à la place qui leurs est due, ni trop bas ni trop haut, juste la bonne...
    Et enfin, je crois que ce qui pinotera toujours au mieux ça sera toujours le Pinot...
    Amicalement
    Antoine OLIVIER

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    1. Antoine,
      deuxième paragraphe:
      "Ne sombrons pas non plus dans l'excès de pessimisme. Au delà des noms et des marques qu'exhibe la jet-set, il se trouvera ici et là, des familles, des vignerons, des paysans qui nous offrirons l'opportunité de goûter, sans prendre un crédit sur vingt ans, au pinot qui pinote, au chardonnay magique. Je veux le croire en tout cas."
      What else?…

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    2. très juste et bon article.
      Dutraive ça peut être très bon mais c'est irrégulier et pas top question hygiène (surtout quand on travaille sans soufre).
      Pour toucher au graal, faut aller chez bouland, janin, desjourneys et parfois burgaud, mais il faut surtout être patient pour quitter le varietal si on ne l'apprécie pas.

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