Quand le Guide des Pneus dérape…


Jean-Marcel Bouguereau, une grande signature de la Presse française, versé lui aussi maintenant dans la gastronomie me reprochait hier cette "croisade pour la pureté" culinaire dans laquelle nous sommes quelques uns à nous être lancés. Je lui laisse la paternité de ce terme "croisade" qui ne m'enchante pas plus que ça, mais je voudrais revenir sur les raisons du ras-le-bol de certains gourmands face au tsunami (pas umami…) chimico-industriel qui submerge les cuisines étoilées.
L'histoire commence avec mon billet d'hier où j'évoque la dernière édition du Guide des Pneus, España 2013, plutôt positivement d'ailleurs afin de relater deux nouvelles qui me font plaisir. Et j'annonce en préambule que je fais l'impasse "les nouveaux "génies" du tecnoemocional et tout le tintoin cocaïno-fayoto-médiatique qui entoure cette cuisine de dégénérés". Je dois donc m'expliquer sur ce que j'entends par là.


Cela m'est d'autant plus facile que je vais prendre un exemple simple, facile, clair qui figurait dans un courrier, tombé ce matin dans ma boîte à lettres, et signé d'un autre grand journaliste, Jörg Zipprick, correspondant à Paris du magazine Stern. Dans cet email, il est question de de Quique Dacosta, le grand promu du classement gonflable 2013 puisque son restaurant de Dénia, au sud de Valence, vient d'obtenir, consécration suprême, un troisième macaron. Quique Dacosta, pour ceux qui ne le connaissent pas, est un combattant de la cocina tecnoemocional (anciennement moléculaire), un ultra-libéral du goût qui s'indigne que l'on "censure systématiquement la recherche culinaire".


Dans cette cuisine, que je me refuse d'aller goûter (autant pour des raisons philosophique que sanitaires), il est sans cesse question d'innovation, d'expérience, les plats se doivent d'être "impressionnants", "spectaculaires", "magiques". À l'image de cette recette de "fausses truffes d'Alba", considérée par la critique espagnole (c'est dire des gens dépourvus d'esprit critique) comme "un des plus grands plats du Monde". De cette merveille tecnoemocional, voici ce que je lis dans l'email de ce matin:
"L’Espagnol Quique Dacosta ne ment pas quand il sert des fausses truffes, mais je refuse de l’appeler cuisinier… Voici la recette de sa fausse truffe : 160 grammes de gélatine, 12 grammes d'huile de truffe, 500 grammes de lait de soja, 800 grammes de Mannitol. Pas cher à produire, mais est-ce bon?… 800 grammes, ce n’est pas une faute de frappe. Le fabricant recommande deux grammes par kilo de nourriture, et 4-6 grammes pour des « cas exceptionnels »… Le Mannitol est un Polyol, E 421… C’est aussi un médicament… Il est utilisé après des pertes de sang et d’eau. Les effets secondaires sont des maux de tête, des nausées, des diarrhées, des vomissements, des tremblements. Ceci ne sont pas des allergies, mais la réaction conséquente du corps après avoir avalé un dosage élevé. Il est déconseillé de manger plus que 50 grammes par jour. Si vous avez l’intention de manger chez Quique Dacosta, renseignez-vous auprès de votre médecin ou votre pharmacien".

Encore des élucubrations journalistiques? Les calomnies d'un chroniqueur gastronomique frustré? Une "croisade" naturiste et outrancière pour la pureté? L’auteur de ces quelques lignes sur le Mannitol se nomme Ludger Fischer, le Docteur Ludger Fischer. Et il est conseiller de l’EFSA (European Food Safety Agency), l'Agence européenne de Sécurité alimentaire.


Malgré tout, si vous tenez à essayer cette recette trois étoiles (en n'oubliant pas d'y intégrer la poudre d'or chère à Diane de Poitiers…), ou d'autres, voici des liens (ici et ) qui vous permettrons de vous régaler. À condition toutefois d'aller faire votre marché à l'usine parce que ce n'est pas chez les petits paysans de nos campagnes que vous allez trouver votre bonheur. Il y a, bien sûr, les célèbres Texturas® de Ferran Adrià, mais aussi l'excellent, le "spectaculaire" catalogue Sosa, de magnifiques produits fabriqués notamment dans un polígon industrial catalan, près de Vic* et dont les promoteurs nous expliquent qu'ils triomphent dans le monde entier, de la Scandinavie à la Chine, de la France aux États-Unis. De tout cela, de cette "croisade", mais aussi de ce côté sombre de la gastronomie bling-bling, d'une cuisine qui marche sur la tête, primée par le Guide des Pneus, nous reparlerons demain avec une interview de Jörg Zipprick.


* une des usines Sosa a brûlé cet été.

Commentaires

  1. Très "techonémotionnelle" ta photo retournée du Guide Rouge, très "upsidedown" !

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  2. Je comprends qu en dessous de 50 grammes par jour c est ok mais il en met combien dans sa recette 800 gr ou 2 gr? J ai pas saisi...

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    1. Il en met 800 grammes alors que le fabricant conseille deux grammes.

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    2. La recette est d'ailleurs donnée en lien ainsi que les caractéristiques du produit.

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    3. Salut Vincent!
      Avant le resto s'appelait "Els Poblets" puis Quique Dacosta après...mes beaux parents y ont mangé dans le temps......et n'en gardent pas un souvenir impérissable ( mon beau frère a carrement demandé à sa mère de lui faire à manger après en être sorti!). L'avantage du 3 étoiles? peut être faire connaitre Dénia au niveau international, parce qu'au niveau national, "El Pegoli" s'en est chargé quand il servait una bandeja de gambas de Denia impressionante dans son menu du jour, malheureusement il y a longtemps. Je préfère "Peix i Brasa", Thomas est excellent, point.
      Laurent

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  3. Je ne suis qu'un pauvre "average joe" de la cuisine amateur et je ne peux qu'applaudir cet article !!

    En revanche, une petite précision s'impose : dans la recette, le manitol ne sert que de "glaçage". Chaque fausse truffe est trempée dans ce glaçage et refroidie direct à l'azote liquide pendant 5 sec (si mes pauvres notions d'espagnole ne m'enduisent pas d'erreur :-) ). Comme ce monsieur ne doit servir qu'un "truffe" par personne, on reste dans les clous pour les 50 gr de manitol par jour.

    Quoiqu'il en soit, après le manitol, ce sera quoi ? EPO pour un après-midi de vélo tourisme ou Immodium pour garder plus longtemps cette cuisine technicoemotionnelle en ventre ? Et sinon, une truffe blanche, c'est bon aussi, non ?

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    1. Ce n'est pas faux, mais les 50 gr sont déjà considérés comme une dose énorme administrée sous contrôle médical et avec des effets considérables! On est très loin de parler de gastronomie…

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