Banane fatale.
Moi, l'arrivée du beaujolais nouveau, ça me donne toujours envie de réécouter la voix grave, monocorde, improbable, d'une des "madames Delon" les moins connues (en tant que telle). Et surtout, cette chanson qui fleure bon la déjante, Femme fatale, notamment dans les enregistrements publics, où, au delà de la voix de Nico, future madone d'Ibiza, on capte des bribes de cette énergie tellement intérieure qu'elle en devient presque lymphatique du Velvet Underground, période psychédélique. Avec All tomorrow's parties, qui débarque deux trois morceaux plus tard nimbé de tambourins, on se croirait d'ailleurs déjà au lendemain matin de la bacchanale…
Les amateurs de rock l'ont compris, c'est bien évidemment à cause la pochette, célébrissime, "culte" comme on dit aujourd'hui, à cause de cette banane d'Andy Warhol que je pense à The Velvet Underground & Nico. Et à cette image de "vin qui sent la banane" qu'on a collé au beaujolais.
Mais, pour mieux comprendre cette histoire de "vin qui sent la banane", revenons à l'origine d'un phénomène qui dépasse de loin les frontières viticoles traditionnelles. L'histoire a vraiment commencé au début des années quatre-vingts, sur la lancée du truculent bouquin de René Fallet, compagnon de route de Blondin et de Brassens, Le beaujolais nouveau est arrivé. Un hymne aux petites gens, ceux que la télévision qualifie horriblement aujourd'hui d'anonymes, qui font à leur façon font de la résistance passive contre les avancées de la mocheté, le tout dans un café de banlieue, le Café des Pauvres, archétype de ces bistrots populaires français qui ont leur place au Patrimoine de l'Humanité. Un hymne au vin des rues, celui qui ne se hausse pas du col, qu'on avale cul-sec, le "vin de soif", symbolisé par le quatorze juillet des poivrots, l'arrivée du beaujolais nouveau.
La mode démarre, très parisienne, mettant en scène la tradition de ces pièces beaujolaises qui montaient à la capitale au troisième jeudi de novembre. À coup de micro-trottoirs, on en parle même dans le poste! "Vous avez vu? Cette année, il a goût de banane!" Ça c'est original,
la banane! Ça plaît. En plus, c'est facile à reconnaître, ça valorise
le consommateur, car, fut-il bec-de-zinc, il reconnaît ça au premier
coup de nez. Alors, comme le veut cette "modernité" qui chagrine René Fallet et ses copains du Café des Pauvres, on force un peu le trait du gentil vin de soif, de cet arôme de banane. L'INRA sélectionne une levure, la 71B, débarquée d'Allemagne connue sous la dénomination commerciale LALVIN 71B; l'objectif est de faire monter le parfum de banane. Grande réussite. Jusqu'à ce que le consommateurs s'en lasse. Pas grave, les gros faiseurs insisteront par la suite, à volonté, en fonction de la demande, sur le bonbon anglais, de la framboise, de la cerise, enfin bref, tout ce que vous trouvez dans les yaourts de supermarchés (sans parler du rayon beauté avec le vernis à ongles).
Mais il était tellement caricatural, cet arôme de banane, tellement prégnant, qu'il est devenu plus encore qu'un symbole, une légende. Une légende "en creux". Quoi de plus infamant désormais que de dire d'un vin qu'il sent la banane ou, en tout cas, qu'on y a trouvé des notes de banane? Pour le vigneron, ce sera le bannissement, à vie. Quant au vin, il a toutes les chances de prendre la direction de l'évier.
Pourtant, une vinification peut naturellement (si tant est que vinifier ne soit pas plus un acte artificiel, humain que naturel) provoquer des arômes de banane. Sans recourir à la fameuse levure 71B qui avait pour vertu de le renforcer. L'arôme de banane fait partie de la catégorie des arômes amyliques, tout comme le "bonbon anglais", la fraise Tagada, la poire très mûre; il est l'expression d'un ester, l'acétate d'isoamyle. À cause du beaujolais, il est désormais inscrit en lettres rouges clignotantes dans notre mémoire olfactive comme CHIMIQUE. Il apparaît généralement à la suite de macérations carboniques (mode de vinification utilisé notamment en Beaujolais) durant lesquelles les levures, indigènes ou pas, vont le potentialiser, surtout en cas de choc thermique ou de rupture et de redémarrage de fermentation. Ce choc thermique, certains intervenants vont le provoquer, afin d'accroître le côté amylique; chez d'autres, la plupart, il sera accidentel, généralement lié à un processus de fermentation un peu mou, chaotique, du à des levures un peu paresseuses. Au passage, dans le second cas, les arômes amyliques peuvent s'agrémenter de notes de solvant, style dissolvant (le fameux vernis à ongles cité plus haut), liés à l'apparition d'acétate d'éthyle due à la présence de bactéries.
Ce cas de figure n'a rien d'extraordinaire, pas plus qu'il n'est exclusif au Beaujolais ou à son cépage, le gamay. Pas plus qu'il n'est la signature d'une vinification dite technologique. Sauf à considérer que la macération carbonique, surtout à la beaujolaise, est une vinification techno; je ne vais pas y revenir, j'ai évoqué ça il y a trois jours. Il n'empêche que ces arômes amyliques, ces arômes de banane (ou de bonbon anglais) parfois très marqués juste après l'ouverture de la bouteille, on les retrouve par exemple sur des cinsaults, des grenaches ou des syrah, à l'autre bout de la France, y compris chez des vignerons dont il ne viendrait à personne l'idée de contester la "naturalité", mais qui pratiquent des macérations carboniques à la beaujolaise. On en trouve même, au sortir de l'alambic, dans des alcools comme la folle blanche d'Armagnac de la meilleure origine.
Ce qui est amusant, c'est que, de la même façon que le marketing a fait ses choux gras de la banane il y a trente ans, il s'en empare aujourd'hui, mais comme d'un épouvantail. Se moquer du fruit diabolique, symbole facile à retenir, constitue une preuve de la qualité de son propre palais, "moi, monsieur, je ne mange pas de cette banane-là!". Et pour le producteur, le gage de l'honnêteté de son travail. Dans l'univers du BojoNouvo (sékomsakondimint'nan), on a même vu apparaître des étiquettes qui en faisaient leur point d'accroche, d'une façon plus ou moins élégante, aussi bien chez des vignerons que chez des négociants.
Donc, soyez-en sûrs, aucun des beaujolais que boirez cette année ne sentira la banane! Et, si le doute survient, si jamais vous croyez en humer ici et là quelques odieux effluves, utilisez la méthode Coué, que diantre, et criez-le bien fort: "la banane ne passera pas par moi!" Ou, sinon, remettez-vous en ce dingue de Philippe Katherine…
Donc, soyez-en sûrs, aucun des beaujolais que boirez cette année ne sentira la banane! Et, si le doute survient, si jamais vous croyez en humer ici et là quelques odieux effluves, utilisez la méthode Coué, que diantre, et criez-le bien fort: "la banane ne passera pas par moi!" Ou, sinon, remettez-vous en ce dingue de Philippe Katherine…
Moi, banane ou pas, j'avoue que je ne vais pas me relever la nuit pour aller boire un coup de beaujolais primeur. J'irai quand même faire un tour chez un des seuls cavistes barcelonais qui en vendent quelques bouteilles, à L'Ànima del Vi, d'autant qu'il me dit que cette année, il a rentré du Coquelet et du Besnier, donc… En plus, on* m'a glissé dans l'oreille que ce millésime 2012 si catastrophique au niveau des quantités était au contraire plutôt sympathique dans le verre (même si les prix!…).
Et puis, c'est aussi un peu ça, le beaujolais, un rendez-vous du vin qui se boit, du vin qui se fête, en France, mais bien au delà. Alors, de la même façon qu'on a inventé toutes ces "journées" un peu couillonnes, celles de la Gentillesse, hier, la Journée de la Femme, la Fête des Secrétaires, on n'a qu'à dire que le BojoNouvo, c'est une sorte de Journée des cavistes, une bonne occasion de se rappeler qu'il est bon de leur rendre visite. Quitte à retourner le voir un peu plus tard pour lui acheter du fleurie, du chenas, du moulin-à-vent ou du morgon, du vrai beaujolais, quoi…
Et puis, c'est aussi un peu ça, le beaujolais, un rendez-vous du vin qui se boit, du vin qui se fête, en France, mais bien au delà. Alors, de la même façon qu'on a inventé toutes ces "journées" un peu couillonnes, celles de la Gentillesse, hier, la Journée de la Femme, la Fête des Secrétaires, on n'a qu'à dire que le BojoNouvo, c'est une sorte de Journée des cavistes, une bonne occasion de se rappeler qu'il est bon de leur rendre visite. Quitte à retourner le voir un peu plus tard pour lui acheter du fleurie, du chenas, du moulin-à-vent ou du morgon, du vrai beaujolais, quoi…
* on qui pour le coup n'est pas un con mais Philippe Lagarde du Tire-Bouchon, à Toulouse, qui lui oscille entre Michel Guignier et le Domaine de Vissoux, de Pierre-Marie Chermette.
Bravo pour le titre ! Je confirme : il est bon d'après les premiers "échantillons" et j'en suis déjà à ma troisième bouteille !
RépondreSupprimerMonsieur Lagarde qui boit et vend aussi du remarquable Bojonouvo de Lapierre, de l'impeccable Muscadet primeur de Jo Landron, du joli "Gaillac" nouvo de Philippe Maffre et du splendide provençal "A Ma Guise" de JC Comor, une bombe de fruit...
RépondreSupprimerJ'ai mis en avant ceux qu'il souhaitait mettre en avant…
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