Quand le Guide des Pneus ne dérape pas…


La sortie du Guide des Pneus, dans un pays, quel qu'il soit, c'est toujours un évènement attendu avec impatience et angoisse par la majeure partie des professionnels de la profession. L'Espagne, friande plus que toute autre, de concours, de notes et de classements ne déroge pas à la règle, bien au contraire. Je ne vais pas vous commenter en détail la remise des prix de l'édition 2013 qui vient d'être effectuée à Madrid, évoquer les nouveaux "génies" du tecnoemocional et tout le tintoin cocaïno-fayoto-médiatique qui entoure cette cuisine de dégénérés, mais juste saluer deux évènements qui me font extrêmement plaisir.


D'abord, le fait qu'à Barcelone n'ont pas pris des vessies pour des lanternes. Sur un point en tout cas. J'ai récemment lu avec effarement qu'un des critiques influents outre-Pyrénées, le vieux monsieur Capel appelait de ses vœux l'attribution d'un premier macaron à Tickets, le McDo' moléculaire des Adria brothers où j'ai fait deux des pires repas de ma vie (et encore j'ai la gentillesse de pas évoquer le torchon qui y sert de carte des vins). El señor Michelino, lui, en tout cas, ne s'est pas fourvoyé, il n'est pas tombé dans le panneau aussi "spectaculaire" fut-il, et Tickets est, comme il se doit, revenu bredouille de la guerre des étoiles. En revanche, dans le même temps, le charmant petit Dos Palillos, moderne mais respectueux du produit, a lui accédé à la première marche du panthéon gonflable. Comme quoi, je me répète, il y a une vie après El Bulli.


L'autre évènement, c'est l'octroi à Enoteca d'un second macaron. Là, deux macs, dans le Guide des Pneus, ça commence à faire sérieux. Je ne vais pas vous dire ce que j'en pense parce que franchement, je n'ai pas encore mangé dans ce restaurant, intégré au très chic Arts (l'une des deux Twin Torres de Barcelone sur lesquels je vois le soleil se lever). Je ne suis jamais très fan des cuisines d'hôtel, mais ça fait longtemps que je me dis qu'il faudrait que j'y aille, pour, au moins, une bonne raison: à Enoteca, officie un garçon que je considère comme un des meilleurs professionnels de la salle à Barcelone, Albert Escofet Coca. J'ai connu Albert à Monvínic, "l'espace culturel du vin" de l'Eixample (dont il m'est difficile de parler pour des raisons conjugales…) et je dois dire que j'ai adoré l'humanité que ce sommelier apportait à ce lieu, au bar qu'il tenait avec une espèce de classe décontractée, faussement nonchalante; les autres couraient, claquaient des talons, lui vous donnait simplement envie de boire un coup, comme dans un vrai bistrot.


Ça n'a rien à voir, mais Albert est un des seuls types à m'avoir donné envie d'apprendre le catalan. Malheureusement, il a quitté Monvínic, mais je l'ai retrouvé avec le même bonheur au Blanc, la brasserie gourmande du Mandarin Oriental. Toujours la même gentillesse, la même humilité, le refus du vin commun (celui qu'on apprend en récitant les bêtises des encyclopédies boiteuses) et un authentique respect pour les vrais canons. Albert Escofet Coca, qui a pris du galon, est maintenant directeur à Enoteca, tout en restant sommelier, un métier qu'il fera toujours parce que lui, c'est du vin qu'il boit, pas du Coca! Que son installation au restaurant de l'Arts soit saluée par un deuxième macaron me remplit de plaisir. D'autant que j'avais cru entendre des besogneux de seconde zone remettre en cause ses qualités professionnelles, alors même qu'ils feraient mieux de prendre exemple sur lui. Bravo, donc, Albert, et merci au Guide des Pneus, dans les critères duquel le service, l'accueil tiennent une place de choix de saluer ainsi son travail.


Seule petite déception barcelonaise, à propos de cette édition 2013, que les inspecteurs aient oublié Gresca, ma table de l'Eixample. Mais, on en revient là aux critères michelinesques: par ses dimensions notamment, le lieu n'est pas dans les normes qui permettent d'obtenir un premier macaron. Je trouve ça parfaitement stupide, mais c'est leur grille de lecture* de la gastronomie, donc respectons là, admettons que c'est comme le vent et l'arbitre…


Un mot enfin, puisqu'on parle du Guide des Pneus, d'un commentaire sur les commentaires qui m'a bien fait poiler. Ça nous ramène à ce cher monsieur Capel que j'évoquais plus haut, ancien critique gastronomique d'El País et blogueur prolixe. Ce brave homme s'est livré à un savant calcul qui nous ramène au joyeux temps du comique troupier, il s'est du coup rendu compte d'une "énorme injustice" dont était victime l'Espagne: au nombre d'habitants, on y décerne moins d'étoiles michelinesques qu'en Italie, en France ou en Suisse… Ben oui, M'sieur Capel, mais il faut revenir sur Terre! Modulons notre enthousiasme. Vous qui êtes aguerri, ne cédez pas aux impostures. Parce qu'autant j'adore la cuisine populaire qui reste forte, présente dans la péninsule, autant il faut que vous compreniez qu'il est difficile de monter en gamme dans un pays dont l'agriculture a été détruite par le productivisme et le capitalisme sauvage. Oui, on ne trouve plus guère en Espagne les produits naturels qu'on trouve en France ou en Italie. Et ça, pour faire de la grande gastronomie, même avec de la dextérité, avec des chefs télégéniques coiffés comme des footballeurs, même avec l'aide de "fantastiques" expédients chimico-industriels, de Texturas® et autres saloperies, ça ne fait pas vraiment la maille.


* à cet égard, il faudra qu'on parle un jour de la grille de lecture pinardière du nouveau "classement" de Saint-Émilion où l'on s'est aussi mis  à intégré aussi la qualité du papier-cul dans le jugement des vins…


Commentaires

  1. Je suis absolument d'accord avec tres trois observations: bravo pour Dos Palillos et la vie nouvelle après El Bulli. Attention, surtout, à la petite sélection des vins de Tamae! J'ajoute, avec ta permission, un bravo personel pour LLuerna, de Victor Quintillà (ex-Bulli lui-même!) et Mar: j'adore. Bravo pour Albert qui je regrette très souvent, comme tois, par des raisons monnetaires: son Enoteca est dans un hôtel que je ne peux pas frequenter (budget...). Et bravo final pour ta revendication de Gresca, Rafa Peña et Mireia, qui sont toujours un soutien pour ceux qui aiment bien manger et boire sans liturgies.
    Allez, mon p'tit,bon jour!

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  2. Ah ah ah ce billet a le mérite d'élever le débat au dessus de la sempiternelle queja "Mais pourquoi les Français sont-ils aussi méchants avec notre gastronomie"?

    Ah ce cher Capel! Tout en virulence très "corporate"... j'ai hélas testé beaucoup de restaurants de cuisine créative en Espagne, j'ai même testé des KilometroCero, et combien de fois l'audace se ramassait lamentablement sur la qualité des produits de la horta.

    En même temps, ce dernier détail est très espagnol. Comme on dit sur les réseaux où sévissent Capel et confrères (mon préféré c'est Ignacio Médina quand même): #JDRJDT

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  3. Le techno-émotionel m'a rendu malade plusieurs fois. Vraiment malade, pas juste du dégout. Ce n'est pas de la cuisine espagnole, ni de la cuisine tout court. Si je veux ma dose d'additifs, je peux aller chez Alcampo ou Auchan. C'est moins cher.

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