Peut-on vivre sans riesling allemand?


La mode est une horreur. J'en suis convaincu. Ça me pousse à préférer l'intemporalité des souliers de Northampton ou des chemises de Jermyn street à la cyclothymie (organisée) des falbalas du Sentier, à continuer de me régaler des volailles de La ferme de La Ruchotte plutôt que de la malbouffe tecnoemocional, à trouver encore et toujours Histoire d'un amour* plus poignant que les romans de gare de Marc Levy. Je suis un vieux con. Et depuis longtemps.
Pour le vin, c'est exactement la même chose. Non pas que je boive tous les jours les mêmes crus, issus de la même région. Surtout pas. Je suis au contraire d'une versatilité extrême, virevoltant de syrahs rhodaniennes en pinots australiens, de carignans languedociens en braucols gaillacois, de merenzaos galiciens en bretons ligériens. Avec moi, le changement, c'est maintenant, pourvu que ça me plaise.


Mais ce que je ne supporte pas, c'est qu'on me dise ce qui est in ou ce qui est out. Qu'un abruti avec un QI d'huître, une coiffure branchée et une culture vinicole proche du néant m'explique que c'est ringard de commander un frontignan** de bordeaux*** et complètement tendance de se faire photographier à côté d'une bouteille de côtes-du-jura. Ou l'inverse. Dieu qu'il faut être benêt pour avoir besoin de quelqu'un, de la mode, d'un pseudo-assentiment collectif pour savoir ce qu'on a personnellement envie de boire. En fait, dans ce cas-là, ce qui compte, ce n'est pas ce qu'on a "envie" de boire mais ce qu'on "doit" boire. Pour être à la page, comme une midinette, comme un marchand de fringues. Comme un zombie.


Chaque pays a ses modes, souvent aussi crétines les unes que les autres. Même si, par la grâce du Web et des réseaux sociaux, les choses ont tendance à s'uniformiser. Ici, en Catalogne espagnole, la mode pinardière du moment, c'est le riesling. Et pas n'importe lequel: le riesling allemand. Servi très jeune, évidemment, afin de bénéficier pleinement de ses caractéristiques les plus désagréables, un sulfitage brutal, des arômes primaires et une sucrosité résiduelle pénible. Pour peu qu'on ait soi-même une histoire personnelle du riesling, allemand ou pas, la plupart du temps, on se rend compte que ça ne cadre pas du tout avec la cuisine locale. Au contraire. Parfois, même, comme par exemple quand une rascasse de Begur, arrosée d'huile d'olive, méditerranéenne en diable, se fait percuter par les arômes typés d'un rheinessen de Wittmann, ça me fait penser à ces chers Dupont et Dupond, dans Tintin, qui débarquent en Turquie habillés en Grecs, "pour se mêler à la foule"… Encore une fois, c'est personnel, je trouve ça généralement ridicule. Et je n'oblige personne à détester ça, mais qu'on ne me force pas à l'aimer! Ce qui est embêtant, c'est qu'au nom de la mode, de ce-qui-se-fait-et-de-ce-qui-ne-se-fait-pas, les "Moutons-Rothschild de Panurge****", ces sommeliers dont je vous parlais hier, vous en collent à toutes les sauces, comme une espèce de réponse universelle, de panacée. Jusqu'à vous en dégoûter, ad vitam æternam. Alors, je vais essayer de ne pas être aussi couillon qu'eux, moins systématique en tout cas, et répondre à la question qui fait titre:
– peut-on vivre sans riesling allemand?
– oui, bien sûr, surtout au bord de la Méditerranée, dans les effluves d'ail et d'olive. Mais, de temps en temps, sur un plat adapté, sans castagnettes ni coblas, un petit verre de d'Egon Müller, un gorgeon du pfalz de Rebholz, pourquoi pas? À condition, à une seule condition: qu'on n'oublie pas que le riesling, ce n'est pas forcément allemand, et qu'on le fasse parce qu'on en a envie et pas parce que c'est à la mode! Collons!



* de Roger Nimier, pour ceux qui n'ont pas eu la chance de le lire.
** vieux terme médoquin désignant la bouteille de 75 cl.
***  Il est vrai que les "Bordelais" médiatiques sont tellement puants qu'on peut comprendre qu'ils aient généré cette "mode anti-bordeaux". N'oublions pas toutefois que la plupart de ces "Bordelais", en particuliers les épiciers, n'en sont pas, que la Gironde, c'est vaste, son vignoble également, et qu'il y a des dizaines de vins à boire, des vins merveilleux, fins et digestes, qui n'ont rien à voir avec les gros rouges vanillés et les sirops contre la toux dont on parle trop.
**** Un joli mot, rendons à César ce qui appartient à César, qu'on doit à Egmont Labadie qu'on peut lire notamment dans le portail d'informations viticoles Vitisphère.


Commentaires

  1. Il y a une quinzaine d'années j'avais goûté un bon riesling catalan. Que devient-il dans ce "trend"?
    Norbert

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    1. Il y en a toujours. Dans le Penedès, d'abord, donc d'origine incontrôlée, bidouillé "hard", plutôt le genre de breuvages que j'évite, pour des raisons de sécurité. Sinon, Raül Bobet, l'ex-patron de Torres, associé à Ferrer-Bobet en Priorat, en produit dans son domaine d'altitude (1000m), au fin fond des Costers del Segre, à Castell d'Encus. Ce n'est pas mauvais quoiqu'assez techno; en fait, j'en ai goûté deux versions, une avec 10% d'albariño ajouté, que je n'aime pas bien, ça "tariquète" un peu, l'autre, pure, bien meilleure à mon goût, plus franche.

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  2. On peut goûter le Riesling docil de Dirk Van der Niepoort, en esprit mosellan.

    Il y a du très bon en Australie (Henschke) et Nouvelle-Zélande (Domaine Mont Difficulty : Target Gully Riesling Central Otago).

    Trouvé superbe le Morstein Grosses Gewächs de Wittman 2010 (sec).

    L'Aspic de Falset propose plus de 15 grands domaines allemands à la carte.

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    1. Moi, en Australie, nous avions (avec Marc Valette) pris un grand pied avec ça, un superbe 2001 de Grosset en Clare Valley:
      https://www.facebook.com/photo.php?fbid=2324218937830&l=b1cb0926e8

      En Allemagne, ce qui est terrible, c'est qu'ici on boit ça jeune et j'ai HORREUR de ça, même chez Toni…
      http://ideesliquidesetsolides.blogspot.com.es/2012/11/logre-rigolard-du-priorat.html

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  3. Pas facile de se dégoter un beeren 1970 (Wehlener Sonnenuhr) ou Beeren 1976 (Graacher Himmelreich) de Prüm, magnifiques aujourd'hui.

    Carl Von Schubert Maximin Grünhauser Riesling Kabinett Abstberg 2007
    Mosel-Saar-Ruwer Heymann Lowenstein Uhlen “R” Roth Lay 2002

    Parfaits pour accompagner un splendide Barolo de Gaicomo Conterno 1999 (on a "ignoré" Egon Müller, bu la veille à Vila Mas).

    Granato 2006 m'a un peu déçu en 2009.
    Bu trop jeune ?
    Pas assez aéré ?

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    1. Granato 06 a toujours ÉNORMÉMENT besoin d'air, ça reste un vin très jeune, mais doté d'une telle force intérieure.

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    2. Évidemment, on s'éclate plus actuellement avec la finesse du Dujac…

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