La vinification objective. (partie I)


L'avantage des gens intelligents, c'est qu'ils vous poussent à réfléchir. Jacques Berthomeau, un de mes Maîtres en "physiologie du Mondovino", sorte de préfet aux champs déguisé en blogueur rock n' roll, m'a aidé, au petit déjeuner, à mieux approfondir, à mieux digérer ma pensée. Adolescent, j'avais été impressionné, à la lecture d'un exemplaire de Par delà le Bien et le Mal acheté à la kermesse protestante de Lourmarin, par cette incitation de Friedrich Nietzsche à "ruminer" ses idées. Avec le temps, un doute m'étreint, était-ce bien Par delà le Bien et le Mal? Toujours est-il que la lecture matutinale des écrits digressifs de Vin & Cie contribue chez moi à ce processus qui me semble estimable. Indispensable, même, en cette époque, certes passionnante, mais où l'on a parfois tendance à commenter ce que l'on n'a pas encore assimilé.
J'ai lu, donc, avec intérêt, lu et relu la conclusion d'un billet de Jacques Berthomeau qui utilisait, comme accessoire, les bordeaux de Bernard Magrez pour traiter de la "virtuosité" en matière de vinification. Donc, avant toute chose, avant de continuer ici, filez sur Vin & Cie, avalez, ruminez son propos, et on se retrouve juste après.


Bien, c'est fait? Vous avez lu? C'est prodigieux, cette faculté que nous offre Internet de sauter du coq-à-l'âne, de virevolter, de surfer. On le fait tellement qu'on oublie à quel point c'est épatant d'avoir ainsi des centaines de livres ouverts en même temps, autant en tout cas que d'onglets dans son navigateur. Je me demande d'ailleurs jusqu'à quel point ça ne modifie pas les mécanismes de notre réflexion. En bien, ou en mal. Admettons que c'est une gymnastique. Et revenons-en à ce texte de Jacques Berthomeau, à la "virtuosité" du vinificateur. À sa conclusion, très précisément:
"Une certaine forme de virtuosité, le geste pour le geste, produit très vite l’effet inverse à celui recherché: l’uniformité, la répétition, la lassitude. La recherche de voies plus difficiles, moins interventionnistes, où la technique s’efface, se fait discrète, avec une plus grande prise de risque, c’est aussi une forme de virtuosité, discrète, je dirais même furtive. J'aime beaucoup cet forme d'héroïsme du quotidien qui est la marque des esprits forts."
J'adhère. Pleinement. Et, comme je le commentais à Jacques Berthomeau, ça m'amène à parler de ce que j'appelle, au delà de la "virtuosité", des "procédés" de vinification. J'ai même envie de reprendre un anglicisme issu du rock, le gimmick (tout le contraire de Joe Strummer, ci-dessous), synonyme, souvent, de facilité. Et, ne nous méprenons pas, évitons les raisonnements en noir et blanc, souvenons-nous de Friedrich, n'enfermons pas ce gimmick dans une catégorie ou une autre. Par gimmick, j'entends tout ce qui gomme le terroir, tout ce qui lisse l'identité, tout ce qui banalise. Tout ce qui constitue une sorte de supravinification qui passe par dessus (et écrase!) les spécificités de chaque cru.

Car, à mon sens, l'erreur courante consiste à croire que cette banalisation est uniquement le fait des flying winemakers. Erreur tentante. Ils sont si commodes à caricaturer, à l'opposé de l'image virgilienne, rousseauiste, romantique, tellement in the wind, du vigneron-paysan qui rassure et fait rêver le citadin. De plus, trop souvent, il y a leur façon de faire (on renoue avec le gimmick): quelques tonnes de chêne par ci, quelques adjuvants par là, un zeste de "modernité" œnologique, de poudre de perlimpinpin, leur côté j'ai-réponse-à-tout agace. Il faut bien reconnaître que certains (pas tous) de leurs vins, avec le temps, se révèlent eux aussi des caricatures. Genre, à la mode des années 90, "on va vous en donner pour votre argent", "y'a d'la planche, donc c'est grand".
Pourtant, d'autres gimmicks permettent de systématiser la vinification et de standardiser le vin. On pourrait évoquer ces macérations carboniques simplificatrices qui vous fabriquent des beaujolais à partir de tout et n'importe quoi, d'un bout à l'autre de la Terre, de Dunkerque à Tamanrasset. Même si, soyons honnêtes, il existe de grands contre-exemples* que (là je suis assez affirmatif), seul le temps peut révéler. On peut aussi gommer le terroir en jurant ses grands Dieux qu'on a tout mis en œuvre pour l'exprimer. À cet égard, le vin "nature", quand il verse dans le culte du bizarre, devient le fruit d'un procédé technologique comme un autre. "Ah, c'est un coteaux-du-languedoc? J'aurais juré que c'était un loire…" Le gimmick peut être aussi un laisser-faire, un laisser aller. Et le parfum de vernis à ongles, les effluves de poulailler (j'adore cette expression d'Alix de Montille), marqueurs symbolique d'une Internationale-de-quand-ça-foire, sont relativement universels. Et écrasent autant le cru que la vanille et le caramel.


Loin de moi l'idée de dénier au vigneron cette liberté fondamentale qui est la sienne de faire le vin comme il l'entend. Avec sa tête, sa terre et ses mains. Ses tripes et ses couilles (son utérus?), s'il le faut. Et surtout, de faire le vin comme il l'aime. Comme il aime le boire. "Comme il aime le boire", c'est le plus important, ça.
Je me rends compte avec le temps que je préfère les vins où l'homme, discrètement, élégamment, s'efface devant le terroir. Où l'on voit moins les ficelles. Où ses choix, sans gourmettes ni banderoles, ne débarquent pas dans le verre avec des gros sabots. Même si l'on sait que ces choix, fussent-ils discrets ou élégants, ont conditionné ce que nous humons: le mode de culture, la date de vendange… Personnellement, ce que je lui demande, c'est juste d'éviter de vouloir à tout prix être sur la photo. Et plutôt que le gimmick, plutôt que le procédé, préférer rechercher la voie d'une vinification davantage transparente. J'ose le mot (quitte à me faire crucifier), d'une vinification plus objective.

(la suite, c'est ici)


* très clairement, à l'instant, je pense là à une bouteille de cuvée Sylla 95 de Borie de Maurel, bue à l'aveugle et avec respect, avec Maxime Magnon et d'autres, éminents, un peu assis par cette démonstration de syrah languedocienne, distinguée, juteuse et profonde.

Commentaires

  1. candide retient son souffle11 novembre 2012 à 22:51

    Ah oui, il y a aussi ceux qui modèrent à l'anglaise ; dans le genre inactuelle bien implantée ...

    RépondreSupprimer
  2. Encore une fois mon cher M. poisson vous exprimez précisément ce que je pense et cogite depuis un certain temps.
    En passant merci pour les réponses sur Dorsaz et Bass Phillip.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés