La Sainte des Saints. (la Santa de Sants)


Je n'aime pas trop les gares. Ni leurs quartiers, ni les quais, ni les taxis. Et encore moins leur éclairage de lendemain de cuite. Rien. Je n'aime pas leur odeur non plus. Ce mélange de souvenir de fumée, de douches en retard et de détergents bas-de-gamme. Le froid fétide qui y règne l'hiver, la chaleur sale de l'été. Pourtant, j'adore les trains qui arrivent, parfois même ceux qui partent. Et quelques uns des monuments ferroviaires dont les deux derniers siècles nous ont pourvus, cathédrales clochetonneuses ou modestes haltes champêtres, Colmar ou Tessonnières, par exemple.
À Barcelone, la gare de Sants est une sainte horreur, située du mauvais côté des années soixante-dix. Il y a vingt-cinq ans, à peine arrivé, bien qu'épris, j'ai eu envie de repartir par le premier Talgo. Dans ce lieu en perpétuels travaux, on touche du doigt l'architecture catalane que détestait Montalbán, cette architecture de gagneuse qui doit rapporter, sans vergogne et sans délai. Qui ressemble à un machin reconstruit vite-fait-mal-fait, comme après un bombardement. Ça vous tenterait, vous, un soir de Toussaint, d'aller manger un morceau à Sants? 


En fait, ce n'est pas chez les Saints (Sants en catalan) mais chez une Sainte, Santa, que nous allons dîner. Sa petite entreprise (qui, vue l'affluence, ne connaît pas la crise…) se trouve à deux cent mètres de la gare, en remontant une rue pas très folichonne, calle Vallespir. Santa Burg, c'est son nom. Elle est la patronne d'une des confréries les plus en vogue depuis peu à Barcelone; chez elle on célèbre la hamburguesa, ce bon vieux hamburger, comme on dit "en français".


Certains vont se dire qu'un nouvelle fois je perds la foi, comme lors de ma terrible expérience moléculaire, et que j'ai vendu mon âme au diable. Sur ce point, je m'étais déjà expliqué lors de ma précédente "descente aux enfers", lors de ma visite chez Sagàs, l'autre temple barcelonais de la "hamburguesa gourmet*": la crise aidant, s'est développée à Barcelone une mode suivant laquelle les chefs étoilés ouvrent des fast-foods**, tendant de redonner un certain lustre à la préparation du steak haché de notre enfance, que la Loi de l'Uncle Sam, par parenthèse, ne nous obligeait pas à manger entre deux tranches de pain sucré. Puisqu'on parle de sucre, de l'invasion du sucre dans nos habitudes alimentaires, et même si je suis culturellement peu enclin à la "thèse du complot", je vous recommande de lire cet édifiant article sorti par les journalistes du Monde dans leur excellent blog Big Browser.


Mais revenons à notre Santa Burg. Un bistrot tout simple, avec son long comptoir et au fond sa télé qui diffuse des matches de foot. Mises à part les bondieuseries (eh oui, Sants…) ajoutées ici et là et ce slogan marrant sur les murs nous rappelant que "la chair (= la viande) est faible", on pourrait se croire dans un des nombreux bars du barrio. La différence, c'est d'abord le pedigree de ses deux fondateurs, Xavi Pellicer et Alain Quiard, deux chefs qui ont déjà vu passer pas mal d'étoiles. Le second, un Français qui dirige opérationnellement le lieu, a un CV long comme un jour sans pain: Gagnaire, Ducasse, Santamaria, Savoy, Ruscalleda, pour n'en citer que quelques uns. C'est d'ailleurs dans cet univers qu'il a croisé la nouvelle grande cuisinière de la région barcelonaise, Ariadna Julian.


Avant d'attaquer les hamburgers, ce qui est frappant à la Santa Burg, c'est que la vin y a sa place. Même si on sait y tirer lentement les bières ("comme à Madrid" me précise la barmaid), il y a la possibilité de boire un ou deux canons. Nous n'étions pas là pour ça, mais, franchement, à vingt-quatre euros le bourgogne 2008 (encore un peu jeune) de ce bon Régis Rossignol, c'est tentant. Étonnant dans ce décor, mais tentant! Ça tranche en tout cas avec les tristes cartas de vinos des hamburgueserias et autres sandwicheries branchées, totalement étanches aux bonnes bouteilles. C'est d'ailleurs un sommelier qui officie derrière le comptoir, sympa, enjoué (il est passé par le Cal Xim et Villa Más); voila une autre caractéristique du lieu, le service n'obéit pas à la norme catalan-constipé-peine-à-jouir, on se croirait en Espagne. Bravo!


Et la viande, alors? Franchement bonne, j'ai pris un Re-Santa, cent-cinquante grammes de vache vieille, "de race Frisonne***, en provenance de Hollande" m'a-t-on indiqué. Avec une jolie garniture végétale, des salades pleines de fraîcheur. Cette viande est dry Aged, suivant une méthode américaine de maturation sous-vide dont on nous dit qu'elle permet de développer des arômes "plus nobles" que le bon vieux mûrissement en chambre de nos bouchers de métier. Voire… Il y en a deux trois ici, des "connaisseurs", que j'enverrais bien en France, ne serait que chez le bon Dedieu à Toulouse, histoire de se faire dépuceler; ils en reviendraient comme on revient de Lourdes, touchés par la graisse! Mais bon, la viande est bonne, parfaitement grillée. J'avais demandé bleue, elle est arrivée vraiment bleue. Seul petit reproche, la texture, un poil trop collante, j'attribue ça, soit à un couteau de hachoir insuffisamment aiguisé, soit à un choix de hachis un peu trop fin****.  À ce niveau, celui de la texture, on est peut-être un léger cran en dessous du bœuf galicien de Sagàs. On est battu aussi au niveau du pain, plus orthodoxe, moins campagnard, à Santa Burg. Et des frites, excellentes, mais les patatas bravas de Sagàs sont imbattables! Et des ketchups et autres sauces décadentes mises à dispositions sur le bar, plus industrielles. Remarquez, moi, je m'en tape, je n'en mange pas… Toujours est-il que pour la qualité de la viande, et celle de la garniture, on est sur le la première marche du podium barcelonais, sûrement à égalité avec Sagàs, pour des raisons différentes.


Santa Burg, un gentil fast-food artisanal, donc, pour manger à l'américaine, à deux pas du Mc Donald réglementaire de la gare de Sants. Bonne viande, bon service sans génuflexions, bons canons. Plus que recommandable! Pour information, on y vend également des hamburgers à emporter.

* Ce mot "gourmet", utilisé avec l'accent espagnol, m'effraie toujours un peu car sous ce vocable on a souvent tendance à vous faire passer des vessies pour des lanternes, à vouloir vous refiler à prix d'or des produit guère moins industriels que les autres, juste un peu bling-blings.
** Je suis bien conscient que réduire la restauration rapide au hamburger, c'est un peu couillon, il existe d'autres voies, plus méditerranéennes, notamment, mais n'oubliez pas qu'à Barcelone, la culture dominante est avant tout américaine, d'importation en tout cas, j'en avais parlé ici, à propos du vin.
*** Frisonne, c'est une "façon polie" de dire Holstein. La Holstein, pour ceux qui ne connaissent pas, c'est la machine à lait des Bataves, j'en ai déjà mangé en entrecôte; bien mûres, ce n'est pas pire, au contraire, que certaines races à viandes, plus volumineuses que goûteuses.
**** Hacher trop fin, c'est d'ailleurs une maladie locale. Ici, les farces ont souvent une allure ravioli Buitoni, genre comme-ça-vous-ne-saurez-jamais-ce-qu'on-a-mis-dedans. Moi, ça me la coupe un peu…

Commentaires

  1. Il à l'air bien ce petit burger... Du moment qu'on peut le manger avec les doigts.

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  2. Obama adore les vins doux qui aiguisent les sens... croisons les doigts
    http://www.youtube.com/watch?v=5rbUH_iVjYw

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  3. Combien il faut manger pour n'avoir plus de faim?...

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  4. Y en todo caso, muchas felicidades por permitir comentarios sin filtros de ningún tipo: chapó!

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