Cherche buveur (de vin), désespérément…


C'est dire si la situation est grave! Avec l'aide de leur gouvernement et de la Communauté européenne, les producteurs de vin espagnols et leurs consejos reguladores, leurs syndicats d'appellations, montent tous ensemble sur le pont. Et, à l'approche des fêtes de fin d'année, lancent une campagne qui ressemble presque à un SOS: "Quien sabe beber, sabe vivir" clame le slogan, "qui sait boire, sait vivre". Un site Web vient d'être inauguré, pas plus sexy que ça, mais qui explique à un peuple qui l'a oublié que le vin est une part de sa culture, de son identité, qu'il a contribué à forger son histoire, son économie et ses paysages. Même si, encore une fois, on aurait peut-être pu faire ça d'une façon un peu plus attrayante, moins institutionnelle, il est agréable de voir des pouvoirs publics prendre conscience du rôle du vin dans la société, de son rôle positif, moteur. Bravo!
D'un autre côté, il est largement temps d'agir. Les chiffres de la consommation du vin en Espagne sont catastrophiques, tellement mauvais qu'il pourrait même, je crois, susciter un léger début d'érection chez les bonnes (molles) âmes subventionnées qui tentent de le prohiber de l'autre côté des Pyrénées. On parle désormais de neuf litres et demi par habitant et par an, à rapprocher des plus ou moins cinquante litres des Français ou des Italiens. Même les Anglais font mieux! Ces chiffres sont d'autant mauvais que l'Espagne, comme l'Italie et la France, est un pays éminemment touristique et que dans ces statistiques sont comptabilisés (sans être différenciés) les hectolitres consommés par les visiteurs étrangers. Dans ces conditions, il n'est pas exagéré de dire qu'on ne boit presque plus de vin en Espagne. Ce qui est un comble dans le pays qui possède la plus vaste vignoble au monde! 


Comment en est-on arrivé là? Sans tomber dans la sociologie de comptoir, je crois qu'il y a d'abord un phénomène historique. En devenant "riches", c'est-à-dire en intégrant l'Europe, les Espagnols ont voulu, consciemment ou pas, couper le lien avec leurs racines, se "décrasser les ongles" et donc tourner le dos à ce qui les connotait comme méditerranéens, latins. Le vin, c'était pour les pauvres, pour les gens du Sud. Les "riches", eux, on le voyait bien à la télé, il buvait du whisky, du gin, de la bière aussi, et ils roulaient dans des grosses voitures, ils étaient "modernes".
Le reste n'a été qu'une longue suite d'erreurs. La communication du vin, son usage, sa production, même, a été accaparée par des bourgeois qui ont voulu en faire une sorte de Rotary où l'on se retrouve entre soi, dans des masterclasses, des meetings, des expériences où l'on s'emmerde à cent sous de l'heure, où l'on joue aux Anglais, à l'opposé de l'ambiance du bistrot français ou italien. Ce qui a encore brisé le lien, donnant l'image d'un produit distant, froid et cher. Il faut ici rappeler que la figure du petit vigneron, indépendant, doit être considérée outre-Pyrénées comme une exception; on compte huit fois moins d'exploitations en Espagne qu'en France, dix fois moins qu'en Italie. Au passage, les vieux démons hérités du passé ont la peau dure, les vins se sont américanisés, caricaturés. Sucre, bois, lourdeur… De concours en concours (l'Espagne est championne du Monde des concours), à force de jouer à c'est-moi-qui-ai-la-plus-grosse, on a fabriqué des machins qui triomphait chez Parker mais auquel il est arrivé ce qui arrive toujours aux vins imbuvables.


Face à cette machine à perdre, peu ou pas de contre-pouvoir. Entre une Presse disciplinée, un système de distribution monolithique et des restaurateurs trop occupés à détruire leur patrimoine gastronomique méditerranéen pour le mettre à la norme chimico-moléculaire, on est allé bravement dans le mur. Sous les applaudissements de la critique anglo-saxonne et de ses wine educators formés au pinard d'usine et qui font avaler aux maîtres à penser de l'intelligentsia locale l'idée saugrenue que l'apprentissage du vin, humain, sensible, peut se condenser dans quelques manuels à la scolastique douteuse.
La cerise sur le gâteau, j'en parle souvent, ce sont les sommeliers, plus loufiats que sommeliers écrivais-je il y a quelques jours. Sans curiosité ni personnalité, sans amour du vin non plus. Il me semble que dans le cadre de cette campagne lancée en Espagne, ils pourraient être les premiers à rééduquer comme se plaisent à dire mes petits camarades maoïstes. L'un d'entre eux (de sommelier, pas de maoïste), Josep Roca, du Celler éponyme, figure justement sur une des affiches de la campagne de communication.
Mais, rien qu'un exemple, pas très vieux, puisqu'il ne date que d'hier, un exemple pour vous montrez à quel point il y a du travail. Ça se passe après un de ces nombreux évènements autour du vin que tentent d'organiser ici et là des courageux, dans tout l'Espagne. Là, c'est à Sabadell, dans la banlieue de Barcelone. Eh bien, savez-vous en quoi consistait un des temps forts de cet évènement? Comme souvent (presque toujours), une "masterclass de gin-tonic"! Présentée comme il se doit par un "sommelier". Un de mes copains vignerons, Ivo Pagès, un peu choqué, s'est permis de dire ce qu'il pensait de cette intrusion de l'alcool de multinationale dans une fête du vin, d'expliquer que le vin, ce n'était ni snob, ni honteux. On l'a pris de haut, on l'a traité de mal-élevé. Le "sommelier" à bulles l'a vertement remis en place. En catalan, bien sûr, parce qu'il faut défendre son identité, sa culture. Un verre d'alcool de bois à la main… Eh oui, Ivo, tu t'es fait remettre en place! À ta place de pauvre type. De vigneron, quoi…



Commentaires

  1. bonjour,
    la culture des alcools fort pré-existait à l'avènement des masters classes de " gintoni' ". la copa de aguardiente, le ponche caballero, le DYC, le Larios ne datent pas d'hier. Ce qui a changé effectivement ce sont les habitudes et leurs corollaires : on trouve des bars à gin ( attention, un gin tonic ce peut être délicieux )mais va dégoter un anis seco pour faire un chico/chica comme les aime tant Toni Romano dans les polars de Juan Madrid ! même le dulce , la plupart du temps, c'est de la marie Brizard !
    ce qui est paradoxal c'est que comparé à chez nous le vin est super abordable tras los montes. mais la crise n'arrange pas les choses et au Puerto Santa Maria cet été dans le beau bar à vins "la cata ciega" où on vous reçoit parfaitement il valait mieux que le dueño ait pensé à mettre des tireuses à bière, à part nous famille française et un autre couple d'autochtones tout le monde était à la caña, qui est fort bonne, pas servie en verre trop important et donc qui ne réchauffe pas.et moins onéreuse. Boire des cañas à Madrid est un plaisir, s'enfiler des bocks de mauvais houblon à bordeaux n'est plus supportable au-delà de deux verres et encore !
    et tout à fait d'accord sur le morceau de planche sucrée qui a remplacé le tinto de la casa. Et le tinto de verano qu'on faisait soi-même avec son litron et sa limonade servie séparément éh bien on l'achète sous bouteille plastique en hipermercado , bien dégueu, bien sucré, bien chimique.
    dernier pb , qui a pt-être aussi à voir avec la crise : 9 l de vin, ok ça a fortement diminué, mais qd même qd on compare aux cinquante litres franco-italien...c'est tellement énorme ! d'où mon interrogation : tout est absolument déclaré en Espagne ? J'en doute.Je ne dénonce rien, c'est juste pour modérer ce que sous-entendent les chiffres officiels ( je ne minimise pas la baisse de conso, je pense qu'elle est moindre qu'indiquée par les consejos reguladores et l'état).
    Bien à vous,

    Ludo

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    1. Non, malheureusement, Ludo, cette baisse de la consommation est palpable. La scène que vous décrivez, de tables sans vin au restaurant est une réalité quotidienne, ça semble même parfois assez incroyable. Et imaginez si le vin, qui est donné ici au restaurant, était au prix français!
      Et même sur les tables familiales, on le constate: alcool fort, puis bière pour les adultes et Coca ou Pepsi pour les enfants.

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