Quechua, tongues, pantacourts et bananes.


Ça sert aussi à ça un blog, à raconter ses impressions personnelles, brutes de décoffrage, au jour le jour, avec une liberté de ton qu'il est difficile d'imaginer dans la Presse traditionnelle. Où pourrais-je donc ailleurs qu'ici narrer cette balade imprévue dans une Barcelone très exotique pour ceux qui y vivent, dans la Barcelone du tourisme de masse?


En fait, j'étais venu rejoindre mon beau-frère, Christophe Brunet, qui offrait quelques caisses de ses vins MÁS AMOR et humilitat* à l'occasion de la traditionnelle paella de la Barceloneta. Emporté par son succès, ce repas de copains était pour la première fois cette année "décentralisée" à quelques centaines de mètres de l'adorable quartier prolétaire et portuaire et se tenait dans les jardins du Musée maritime, sous la statue de Christophe Colomb qui comme chacun sait est catalan**. Excellent riz, al dente, nourri d'un fumet riche, terrien, impeccables buñuelos de bacalao (pas un galimatia graisseux de morue et de farine, de vrais beaux morceaux d'une chair immaculée!), desserts de mamie à la crème, vin frais et orchestre de jazz, le tout sous un magnifique soleil… de février. La paella de la Barceloneta est organisée à l'origine par Quim et Manel Marqués, les deux frères qui tiennent le Suquet de l'Almirall, exception confirmant la règle dégueulasso-touristique des restaurants du passeig Juan de Borbón. Bref, belle ambiance, bonne rigolade, surtout quand (private joke) Christophe répond aux questions de fin de repas au micro d'une rigolote TV Barceloneta montée pour l'occasion.


Tant qu'à digresser, n'oubliez pas, si vous passez par Barcelone, d'aller visiter le Musée maritime. Le hall principal est absolument superbe; ce sont en fait les anciens chantiers navals royaux de Drassanes dont on assure localement qu'il s'agit des plus grands bâtiments gothiques civils au Monde. Ce hall est en cours de restauration, mais plusieurs expositions temporaires sont ouvertes. Les gamins vont adorer.


Et, là, par les hasards de la vie et les envies passagères, nous voila de l'autre côté de la statue de Colomb, direction Mare Magnum, une espèce d'île artificielle qui héberge un des centres commerciaux qui servent à écluser la quincaille et la fripe produites en Chine et étiquetées dans la banlieue de Barcelone. Avant de s'engager dans cette grande aventure qui tient pour nous de la découverte des Amériques, nous faisons quand même une petite pause au marché aux puces du quai de la Douane, pour admirer quelques merveilleuses pochettes de 45 tours rescapées de l'Espagne des années soixante.

Mare Magnum est comme il se doit une horreur, un temple de la consommation vulgaire. Difficile de voir la différence entre ce qui est vendu à l'intérieur, dans les boutiques officielles, des contrefaçons grossières que vendent les dizaines de vendeurs à la sauvette qui vous font une haie d'honneur pour y accéder. Fausses Rolex, Vuitton de contrebande, Gucci de pacotille, toute la panoplie s'étale sur les pontons de bois, sous le regard patelin des nombreux policiers locaux, davantage mobilisés par la menace omniprésente des pickpockets, autre spécialité barcelonaise.


Bienvenue au pays des sac-à-dos Quechua (les pickpockets évoqués plus haut adorent!), des pantacourts, des tongues et des bananes. Je ne suis pas le premier à m'interroger sur ce mystère, mais pourquoi faut-il que des gens ordinairement très bien se déguisent en beaufs dès qu'ils partent à l'abordage d'une destination nouvelle? On va bien sûr me parler des Anglais en vacances et des Hollandais qui rougissent au soleil tels des homards, je vous rassure, les Français ne sont pas en reste.
Il faut d'ailleurs, quitte à passer pour un vieux con, que je vous raconte cette petite scène qui m'a frappé dans le métro. À une station entre dans la rame un groupe d'une vingtaine d'ados français, encadrés par deux jeunes adultes; on crie, on parle fort, il faut bien que jeunesse se passe… Mais immédiatement, on décide que dans le métro, il faut "se poser": comme, il n'y a pas de sièges libres, on se met parterre, assis, couchés, vautrés, bloquant le passage d'un wagon entier, sous l'œil noir des usagers locaux et celui étonné des étrangers. Je décide donc de féliciter ces jeunes gens pour la remarquable image qu'ils donnent de la France et là, immédiatement, intervient un des "accompagnants", muet jusqu'alors, qui s'offusque: "quoi, comment, que se passe-t-il? vous ne comprenez pas, ils sont fatigués, ils arrivent de la plage!" Les pauvres petits…


J'en finis avec cette revue de détail des joies du tourisme en vous signalant le nouveau sport pratiqué par les gardes municipaux barcelonais. Vous n'êtes pas sans savoir que l'Espagne et singulièrement la Catalogne dont le déficit est abyssal connaissent depuis quelques temps de sérieux problèmes de fins de mois: il faut donc au plus vite faire entrer de l'argent frais dans les caisses! Dans ces cas-là, l'automobiliste, entre autres, tient le rôle de la vache-à-lait. Mais là où le système du contrôle routier vient d'être amélioré à Barcelone, c'est que plutôt que d'arrêter des autochtones qui, peut-être, un jour, si tout va bien, régleront l'éventuelle amende, on intercepte les voiturettes de locations, ces drôles de caisses à savon jaunes qu'on dirait échappées d'une fête foraine. L'idée n'est pas idiote, le touriste, lui, s'il a bu un coup de trop, où s'il s'est adonné à la Marlboro-qui-rigole, doit acquitter sur le champ le montant de la contravention. Il n'y a pas de petit profit…
Allez, vivent les vacances!



* en ces périodes où, à juste titre, on reproche aux blogueurs ou à certains pseudo-journalistes d'avancer masqués et d'ignorer le sens du terme "conflit d'intérêts", il me semble assez sain de dire qui est qui. J'assume d'autant mieux cette "séquence publicitaire" pour les vins de Christophe Brunet que j'adore humilitat, vin qualifié (pas par moi!) de "bourgogne du Priorat" en raison de sa grande buvabilité.
** c'est évidemment une plaisanterie, il est communément admis que Cristoforo Colombo est Ligure, né à Gênes mais, nombrilisme oblige, les Catalans soutiennent mordicus qu'il est Catalan. Je les renvoie à cette phrase de l'amiral Samuel Eliot Morison, marin, universitaire et historien américain qui remet la balle au centre: "Personne du vivant de l'Amiral ou pendant les trois siècles qui ont suivi sa mort n'a eu le moindre doute quant au lieu de sa naissance. Par la suite, des hypothèses audacieuses ont fait de lui un Castillan, un Catalan, un Corse, un Grec, un Arménien. Il ne reste plus qu'à un patriote américain de déclarer que Colomb était en réalité un Indien que le vent a poussé loin des côtes de son pays et qui connaissait donc le chemin du retour."



Commentaires

  1. Bon, encore une belle promenade entre pinard, connards et French attitude. A ce propos, je me suis souvent posé cette question de l'accoutrement des touristes. il me parait raisonnable d'être décontractée en vacances mais pourquoi être beauf ? Bof, je n'ai pas de réponse sauf la connerie humaine passagère et ponctuelle, le connard dans les tribunes de foot qui la semaine est derrière un guichet de banque, mon inspecteur de TVA qui près de moi au rugby, gueule sans arrêt après l'arbitre c'est le 7, c'est le 7, c'est le 7 sans préciser la couleur du maillot...tout est exutoire et la connerie est la chose la mieux partagée au monde et en disant cela je ne me prends pas pour un génie, mais simplement pour un type respectueux ouvert et pas réac. Ces petits dans le métro, fatigués par la plage, je comprends leur détresse dans un pays étranger, ils n'ont pas encore réalisé que la mondialisation est synonyme de banalisation des comportements où quand le libéralisme se fait éducateur. Ils l'ont vu faire dans quelques banlieues et là ils se prennent pour des lascars avec des ingénus qui leur servent de référent. Ils pensent encore dans leur extrême naïveté que "l'ovairdose" est un trop plein d'amour. Bref, dans le 93 quand on a des casquettes vissées à droite et que l'on chante en parlant on est un groupe folklorique de quartier, à Barcelone assis par terre dans le métro on est de nouveaux aventuriers? Pour le pinard pas de soucis, ton conflit d’intérêt ressemble à mon Conflit de canard. Au prochain post électoral.

    RépondreSupprimer
  2. J'aimerais tellement que le soleil s'impose enfin cette année dans mon petit coin du Sud pour pouvoir passer à la saison tongues, qui dure normalement 9 mois. Les tongues, quel pied !

    RépondreSupprimer
  3. Les tongues c'est en effet le pied. En ville c'est par contre un peu bof bof.
    Les jeunes Français sont juste le produit d'un système éducatif (et plus généralement de notre société) qui ne les responsabilisent jamais (ou uniquement dans la contrainte) - "Fait pas ci, fais pas ça"... c'était un titre d'un de vos billets, non ? Dès qu'ils sont "libres", ils s'ont incapables de s'auto-gérés et ça devient vite le bronx. Je dis ça sans animosité aucune mais quand on a connu un autre système éducatif (je suis en Allemagne) la différence est frappante. Pas de système parfait de toute façon...

    Merci encore de nous ouvrir une petite fenêtre sur votre perception de cette Barcelone "de l'intérieur". Chaque post est un plaisir.

    tom B.

    RépondreSupprimer
  4. Cela n'enlève en rien la qualité de vos récits et comme vous le dites en préambule, un blog ça sert surtout à raconter ses impressions personnelles mais juste une chose,ça devient un peu lourd et surtout monomaniaque ces critiques incessantes sur les catalans...
    Les catalans sont mal-aimable, prétentieux, endettés,m'as-tu vu...mais est-ce vraiment différent d'une autre capital;les parisiens(pour ne citer qu'eux) sont-ils plus polis ou moins chauvins,moins branchés que les barcelonais??
    Argument aisément transposable, à mon sens, à de nombreuses ville de France, de Navarre et de bien plus encore...
    Alex B.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci de ce commentaire, Alex.
      Qu'il y ait en Catalogne une tendance générale au complexe de supériorité, tendance savamment et politiquement entretenue, oui, c'est mon avis; à cet égard, n'hésitez pas à lire ou relire le grand écrivain barcelonais Manuel Vázquez Montalbán, il est bien plus virulent que moi… Mais ne craignez-vous pas que ça nous éloigne un peu du sujet de ce billet? Il me semble que ce n'est pas des habitants de cette région espagnole dont on rigole ici mais plutôt des étrangers qui viennent la visiter…

      Supprimer
    2. La seul chose que je voulais dire c'est que les catalans n'ont rien inventés sur le thème du complexe de supériorité;j'en reviens à mes parisiens (pourtant bien qu'expat' je suis parisien...). Et oui je suis peut-être un peu hors sujet par rapport au sujet principal du billet mais j'ai simplement réagi à une énième critique sur cette ville et son peuple;cela dit en passant je n'ai jamais entendu un catalan prétendre que Colomb fut catalan (et j'en connais un paquet).

      Alex

      Supprimer
    3. Encore une fois Alex, je vous renvoie à Montalbán…
      Mais je comprends que c'est l'allusion à la la catalanité revendiquée de Christophe Colomb qui pose problème, je suis très très étonné que vous n'en ayez jamais entendu parler, en voici un petit florilège: http://ca.wikipedia.org/wiki/Catalanitat_de_Crist%C3%B2for_Colom

      Supprimer
  5. Pas vraiment d'accord avec Alex.
    D'une part, c'est le blog de Vincent Pousson et il a le droit d'exprimer son ressenti sur cette ville et cette région, entièrement personnel (et c'est aussi le but d'un blog et le charme de celui-ci : très personnel, avec du caractère et avec ses qualités et ses éventuels défauts), celui d'un Français "immigré" dans une ville qui lui est étrangère et qui a donc une grille de lecture forcément influencée par son altérité.
    D'autre part, les critiques sont argumentées et le ton du blog est aussi humoristique.
    Enfin, il y a, aussi, des nuances et de nombreuses éléments positifs dans le propos de V.Pousson.

    On ne peut pas reprocher à "l'auteur d'un blog à la recherche du vrai vin" de ne pas vouloir se travestir...

    Cordialement,

    Tom B.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés