Osez, osez Joséphine !

J'enfonce une porte ouverte, c'est un classique, chaque fois que vous ajoutez une année au compteur, tout le monde (ou presque) ne vous parle que de champagne. C'est le miracle de la bulle, ce réflexe quasi pavlovien qui associe tel ou tel évènement supposé heureux, un anniversaire, un mariage, une victoire… au bruit d'un bouchon qui saute. Incontestablement, et sans que ça ne gâte le plaisir, il s'agit là d'une des premières réussites, réussite multiséculaire, de ce que l'on n'appelait pas encore le marketing du vin.

Il serait évidemment exagéré de ma part de dire que j'aime "le" champagne. Comme pour toutes les autres appellations, j'adore certains des crus qui y sont produits, d'autres moins… Je racontais encore hier, au détour d'un billet, le bonheur de l'évanescente pétillance d'une cuvée de Françoise Bedel; je pourrais parler des heures des émotions provoquées par des vieux Selosse, par le Saga 94 des Tarlant, par ce Diebolt-Vallois 83 mûr à point, par cette cuvée printanière de Lahaye, par des souvenirs antédiluviens de Salon, par l'équilibre des Hautes Chèvres de Laval, par la réminiscence de l'instant heureux marqué par ce magnum corbiérenc de Vouette & Sorbée, par l'impatience d'ouvrir cette caisse de Boulard, par ces 1959 rescapés du naufrage des frères Schlumpf, etc, etc…

Pour autant, ce dont j'ai envie aujourd'hui, pour arroser mes quarante-huit printemps, c'est d'une Joséphine. Ma Joséphine, celle qui chante à mes oreilles avec la même intensité que celle de Bashung, celle qui naît au dessus de Limoux dans le grand petit village vigneron de Roquetaillade (où l'on n'oubliera pas non plus de goûter les vins de Mouscaillo). Joséphine, désormais mondialement connue grâce au talent de pilote de camionnette de son concepteur Gilles Azam (on raconte qu'il y dort même parfois, dans sa camionnette…). C'est vrai qu'elle est sexy! Pas parfaite, non, mais sexy. Elle a ce côté primesautier, nature, des filles du Languedoc dont la peau sent le pêcher* qui, tout en ne s'en laissant pas conter, se laissent aimer sur une plage, qui offrent encore une chance au hasard, qui vivent sans trop calculer. Sexy, parfois un peu bordélique (de prime abord), mais sa bonne éducation et sa vraie culture lui permettent en général de reprendre le dessus. Un peu à la façon du Mauzac Nature, on ne s'en lasse pas. Parce qu'elle a du fond.

En fait, Joséphine est tolérante. Et ne me dites pas que la tolérance, il y a des maisons pour ça! Elle permet beaucoup, d'en boire beaucoup aussi. Elle accepte même qu'on célèbre des occasions qui sur le papier n'en sont pas. Ça m'est arrivé il y a peu, au Comptoir de Célestin, à Narbonne où nous en avons mis une caisse par terre, juste comme ça, pour la beauté du geste. Et sans dégâts collatéraux. Tant mieux d'ailleurs que j'en ai bu autant, parce qu'on n'en a pas à la maison et, pour en trouver à Barcelone, mes quarante-huit printemps et moi, on peut toujours se brosser. Je sais bien qu'à la place, on va me proposer des mousseux locaux, des cavas. Mais là, c'est moi qui ne suis pas tolérant, disons que dans 99% des cas, je les trouve intolérables… Je m'en fiche, à défaut de Joséphine, j'arroserai mon anniversaire avec son souvenir. En écoutant Bashung.

PS: pour ceux qui débuteraient dans le monde du bon vin, Joséphine est une cuvée de crémant-de-limoux élaborée à partir de chardonnay, mauzac et chenin par Gilles Azam au Domaine des Hautes Terres à Roquetaillade. Gilles Azam, vigneron terrien aux contours fantasques produit également d'excellents blancs de garde (j'aime beaucoup sa cuvée Louis dont le 2007 commence à se goûter, carafé) et des rouges denses (un bémol sur le 2009, bizarre).

* sans faute d'aurtografe…