Le dernier vigneron de Gauche.


Je suis amoureux de Jeff Coutelou. C'est clair, c'est net, c'est dit. Il possède cette espèce d'élégance désinvolte des rockers qui ont fait la jointure des seventies et des eighties (excusez l'anglicisme, ce n'est pas pour faire coiffeuse branchée, mais si souvent, à cette époque-là notamment, le rock français, c'est comme le vin anglais*). Un mélange de discrétion, cette manière de ne pas hausser le ton, tout en hurlant avec grâce ses idées dans le micro. Joe Strummer, par exemple, celui qui, quelque soit la ville dans laquelle tu te trouvais, t'expliquait qu'elle était en train de brûler. Et on se consumait.


Joe, la comparaison me va bien pour Jeff. Parce que dans le micro de Jeff, il n'y a pas que de la musique, il y aussi des idées. Et le respect finalement d'une trajectoire, d'une histoire, d'une filiation, ce dernier concept étant un des plus merveilleux mais aussi un des plus complexes que nous, les garçons devenus hommes, ayons à décrypter.
La trajectoire, justement, au Mas Coutelou, elle est sous la maison du père. Cette cave, non, ce reliquaire qui porte le témoignage de la foi précoce des anciens. Oui, parce que nous sommes à Puimisson, à une une quinzaine de kilomètres de Béziers, là où le vin s'aime au kilo, enfin, à la tonne. Mais où certains, à l'image du père et du grand-père, l'aimaient d'amour tendre. Dans leur jardin secret. 


Oh, bien avant de pousser sa porte, je savais que Jeff avait des trésors. Une fois que je cuisinais chez le minot, à Narbonne**, il m'avait porté trois vinaigres sublimes. Pas la crème de balsamique que les tocards te balancent en traînées artistiques (façon expo des peintre-cheminots) dans la grande assiette vide. Du vinaigre précis, de cépage, encadré, maîtrisé. Bien plus finalement que les vins nature (heureusement de plus en plus rares) de bricolos, de néos, probablement destinés à des clients dignes de Jean Gabin dans Archimède le clochard***.


Dans la cave de gauche (on y vient…), on débarque à Jerez de la Frontera, ou à Madère comme vous voulez. Il y a cette odeur de vieille futaille qui sue plus qu'elle ne suinte. On voyage d'amontillado en palo cortado, dans les arômes de noix et de havane, dans une douceur sans sucre.
Essayez de pousser cette porte, c'est un privilège. Jeff vous expliquera comment on a récupéré le bois d'une antique barrique pour fabriquer la première, minuscule (ci-dessus), dont il a eu la responsabilité à peine arrivé à l'âge adulte. Il vous montrera peut-être les anciens livres de cave des ancêtres, celui par exemple, émouvant, des vendanges de 1918, ce "Vive la Paix", soigneusement calligraphié dans la marge, le lundi onze novembre.


On parle là d'un Languedoc d'avant les coopés**** qui ont transformé les vignerons en viticulteurs, accessoirement gros consommateurs de chimie lourde. On faisait le vin, on distinguait les crus, leurs qualités propres, on traitait le client, on lui expédiait le produit fini. C'était un métier, avec ses travers bien sûr, mais pas pire, loin s'en faut, que toute la mollesse intellectuelle apportée par le kolkhoze.


Ce temps d'avant est heureusement revenu, il est des tyrannies qui se fissurent. Et Jeff Coutelou est un des représentants distingués, classieux, de ces nouvelles générations de vignerons. Dans une région qui, en pantacourt et gourmette, à l'ombre des colonnades néo-romaines en béton désarmé, cultive le goût de chiottes comme un des beaux arts, il s'applique à chercher le sens, l'idée, et éventuellement le beau.


Le beau, pour ceux qui s'arrêtent aux apparences, avec des étiquettes où l'on sent poindre son amour de l'affiche et de la réclame du XXe siècle. Où l'on sent que, malgré une pointe de nostalgie, il n'a pas le vin triste.
Le revers de la médaille (pour ceux qui à défaut de l'avoir vraiment triste ont le vin trop sérieux), c'est qu'on pourrait croire qu'on est là face à ces pinards-gadget dont on connaît trop la recette: un jus bâclé à l'arrache, tordu si possible (malheureusement, c'est souvent possible…), un coup de tòca-manètas dans les salons qui vont bien, un peu d'entregent médiatique à Paris, le tout "orné" d'une étiquette plus ou moins "cool" avec jeu de mot débile en option.


Sauf que là, y'en a dans le moteur, que le beau est aussi à l'intérieur*****. Je pourrais bien sûr vous parler des 2015 qu'il est en train de sortir, de ces bombes de fruit (Classe…), de son 5J aussi, spécialement conçu pour enrober le jambon. Mais j'ai envie de rester sur le souvenir (ému) de cette syrah 2010, La vigne haute, dont on a bu une ou deux bouteilles la (longue) soirée précédent le ban des vendanges chez Jeff. Mettez ça dans une carafe, ouvrez la boîte à images et il y a peu de chances que vous partiez dans les environs de Béziers. Ça vous a un air de syrah septentrionale (pour ne pas dire un air de cornas chic) qui donne envie de retenir la nuit.
Ce n'est d'ailleurs pas la première syrah dont je me régale à Puimisson, j'avais bu des litres et des litres de Paf, cette cuvée que cet amateur de grands formats aurait du produire en melchisédech******, ça nous aurait économisé des tire-bouchon-elbow. Enfin, surtout à Benoît Valée, le taulier de L'Ànima del Vi à Barcelone qui, on le sait moins, à fait ses classes (facile…) chez Jeff Coutelou.


Puisqu'on parle de format et de contenants, j'adore la nouvelle idée de Jeff, le litron que ses distributeurs devront réglementairement vendre moins de dix euros. Goûté et approuvé.
Oui, parce que c'est bien de tenir de grands discours, la Gauche, les canons, les potes… mais à un moment donné, sauf à ses payer de mots, il faut mettre ses actes en conformité avec ses paroles. Le vin populaire, le Peuple doit pouvoir se le payer. Et c'est en ça, notamment, dans cette idée de ne pas se regarder pédaler, de tracer son chemin sans s'éloigner de ses valeurs, de rester généreux malgré le succès, de ne pas se la péter, que Jeff Coutelou est le dernier vigneron de Gauche*******.




* Merci John Lennon, même si on t'a plus souvent vu faire de la pop…
** Le minot, c'est Xavier Plégades (ci-dessous), Célestin, à Narbonne, je vous en ai déjà parlé, un des seuls types de la ville à être assez con pour cuisiner les produits des paysans du coin, les poissons des pêcheurs voisins. Un anarchiste, quoi. Foodiste, dingue de métronomie, passe ton chemin: chez lui, ça va te piquer les yeux, ça a du goût, le goût d'ici, celui qu'on a noyé dans les zones commerciales et pavillonnaires, dans les vignes rincées au Round-up.


*** Vous ne vous souvenez pas de la scène avec Blier, le Tapanel supérieur?
**** Les premières vous vous souvenez, ce n'était pas loin de Puimisson, d'un autre côté de Béziers, à Maraussan, où, au son de Jaurès, l'on devait libérer, émanciper les vignerons. Belle idée, à défaut d'être bonne, avant que tout cela ne finisse en kolkhoze largement arrosé de Roundup
***** À l'extérieur aussi, dans les vignes que Jeff Coutelou travaille comme un jardin, fleurit et arbore. Ce qui en choque plus d'un chez les décérébrés de la vigne. À l'image du crétin amateur de laideur qui a détruit, rasé ses plantations cette année. Les cons, ça n'aime pas les arbres, c'est aussi à ça qu'on les reconnaît.
****** Pensez au roi de Salem qui pèse le double de son collègue de Babylone.
******* Oui, je sais, il y en a d'autres, mais bon…


Commentaires

  1. Tu lis ça, tu es déjà un peu paf.
    C'est la petite du pic Saint-Loup sur la photo à droite ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Exact, c'est Sophie Clégnac, qui n'est pas si petite que ça d'ailleurs !

      Supprimer
    2. "Petite" pour "Jeune"

      Supprimer
  2. Mr Pousson
    Je préfère directement vous répondre sur votre blog plutôt que sur celui de Mr Lesaint ou c'est vrai mon commentaire n'avait rien à y faire.
    Je n'ai aucun problème avec mon nom n'y avec mes origines. Concernant mon commentaire sur les vins de Mr Coutelou, ils sont certes surement maladroits et impulsifs donc forcement ils peuvent paraitre diffamatoire. Mais comme vous j'ai mon franc parler et je dit cash ce que je pense et ressent. C'est votre droit d'aimer ce genre de vins, vous pouvez avoir la prétention de penser que ce sont les vrai vins, mais c'est aussi mon droit de ne pas y adhérer et même si c'est caricatural de penser que malheureusement la qualité première d'un vin dit nature est de ne pas avoir de défaut et que bien souvent même si l'idée est séduisante le résultat l'est beaucoup moins. Comme je l'ai répondu à Jeff directement ils ont pour moi souvent fini dans l'évier les siens mais aussi beaucoup d'autre. Donc pour être aussi caricatural que vous et votre pousses caddies pour ma part je résume les vins nature par le terme ROV car souvent s'ils n'ont pas un de ces défaut c'est déjà une qualité.
    Pensez donc ce que vous voulez de moi et de mes gouts, je n'est aucun problème avec les vins de Jeff, c'est mon choix de ne pas les boire et c'est très bien s'il les vend et si certain adhère, mais vous ne m'empêcherez pas de penser que pour moi un vin citoyen est un vin accessible qu'il y a des moyens et des techniques modernes qui permettent de faire du vin en respectant les hommes qui travaillent, les vignes et leurs environnements.
    Ce n'est certainement pas assez glamour pour vous et les histoires plus simple sont plus dure à raconter mais tellement plus sincère et réelle.
    Donc je vous laisse à votre idée de la paysannerie dont vous vous voulez le défenseur à chacun son business.
    Vous avez une très belle plume donc pas de soucis pour vous, pour ma part je retourne à ma réalité peut être industrielle mais pour moi beaucoup plus réelle et sincère.
    Pour ma part ce sera mon clap de fin à cette discussion.

    Lionel PUGIBET

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés