Viande profonde.


Quand je passe à la viande, désormais, je pense au marché de Parthenay. Mon boucher de Toulouse m'en parlais déjà, il y a longtemps, situant cette ville alors inconnue comme le point central de l'échange bovin en France. Depuis, j'ai rencontré Parthenay, mais pas son marché, en tout cas pas sous sa forme qui fleurait bon les Trente Glorieuses, cette époque où la France bombait le torse, avant que ne soit méthodiquement instillé le poison du mépris, de la haine de soi.


La sous-préfecture des Deux-Sèvres a d'ailleurs conservé quelques séquelles architecturales des ce temps-là, tel un Palais des Congrès so sixties *qui justement honorait la mémoire de Pompidou et devant lequel stationnait une DS noire intérieur cuir rouge que n'aurait pas renié un ministre gaulliste.
Et puis, même si le marché de gros s'est excentré et a périclité, il reste la culture de la viande, une approche saine, directe, de cette drôle de nourriture qui souligne la schizophrénie de nos pays riches.


À ce sujet, il est des moments où l'on a envie de remercier le bon Dieu (ou celui qui se fait passer pour lui) de ne pas être assez riche pour pouvoir se payer les côtes de bœuf à cent cinquante ou deux cents euros le kilo qui font les délices photographiques des foodistes de la capitale.
C'est assez bizarre d'ailleurs le rapport à la viande aujourd'hui chez les snobs. Des attitudes extrêmes, qui valent évidemment ce que valent tous les extrémismes. D'un côté les prohibitionnistes, les moralistes, ces champions de l'animalisme qui veulent nous faire culpabiliser à la première bouchée de steak ou de bavette; qu'ils s'anémient autant qu'ils le souhaitent, c'est leur droit**, mais surtout qu'ils foutent la paix à ceux qui souhaitent se nourrir normalement, de façon omnivore! De l'autre, les tenants de ce que l'on appelle le food-porn***, qui bandent et mouillent à la vue d'un bout de bidoche plus blanc que rouge. Les uns comme les autres ne sont que des réactions. Les premiers à un univers de malbouffe dont la viande n'est qu'un élément parmi tant d'autres (on parle des tomates hors-sol?), les seconds à un diététisme, à un hygiénisme anti-gras qui, je le reconnais, gonfle plus qu'il ne fait maigrir.


À Parthenay, vous vous en doutez, à deux pas du bocage, des troupeaux de limousines et de parthenaises, on ne trouve guère, comme à la capitale, d'animalistes, et encore moins de "bouchers stars". Le foodiste y est rare lui aussi, l'autochtone goûte davantage la viande à manger que la viande à photographier (viande à selfies?), il se tape comme de son premier bifteck du "Kobé" espagnol, de la "Rouge" de Galice et de l'Angus d'origine incontrôlable.
Pour se fournir, il a plusieurs adresses****, dont une qui me semble la meilleure, en haut de la ville, à deux pas de l'ancien champ de foire (celui de la photo du haut, avec la Dauphine) désormais transformé en morne parking tendance pousse-caddie.


Malgré ses tatouages (discrets, old school, plus enclins à raconter une jeunesse animée, la moto, les bals de campagne…), Jacques Laguiseray n'a rien d'un hipster. Il parle peu, pose les bonnes questions et capte vite le client. Dans sa boutique, il y a peu de viande en vitrine, mais quand il ouvre la porte de son frigo, on sait qu'il a trouvé la solution. Et pas forcément là où on l'attendait.


Chez lui, j'ai ainsi mangé l'an dernier, alors que j'allais chercher une côte de bœuf, un bout de paleron à steak. Divin! De la Parthenaise évidemment, je ne lui ai jamais vu d'autre race que cette héritière (comme l'Aubrac) de ce que les spécialistes appellent le "peuplement arabe du rameau brun". On est loin évidemment de la Blonde d'Aquitaine (celle qu'on teinte en roux dans la Galice de Burgos…) et des vaches anglo-saxonnes.


En apparence, sa viande n'est pas grasse, peu persillée de surcroît, en particulier sur le morceau qu'il m'a vendu la dernière fois à vingt-deux euros le kilo: une pointe de rumsteck, cette pièce qu'on appelait joliment autrefois la culotte. Elle n'est pas non plus maturée vingt-cinq ans dans le blizzard, elle a un petit mois, ce qui dans la plupart des cas, si la bête est bonne suffit amplement. À ce sujet, j'ai parfois l'impression que la mode de l'ultra-maturation joue parfois le rôle de cache-misère, qu'on assaisonne ainsi la fadeur originelle d'une vague odeur de rance, voire de pourri devant laquelle les snobs ne peuvent que s'esbaudir (vu le prix qu'ils ont payé…).


Ce qui frappe après cuisson (idéale à la braise y compris horizontale car on part très peu à la flamme), c'est l'odeur de cette viande. Cet été encore, j'ai vraiment ressenti un petit côté "madeleine de Proust", ce parfum charnu, appétissant en diable, que l'on a souvent perdu, mais que l'on retrouve dans ces viandes moins "spectaculaires, moins photogéniques, à l'image de la Chalosse dont je vous ai souvent parlé. Un parfum et un jus, brun, savoureux, plein de sucs, qui pour toute garniture appelle le pain, l'acidité du levain***** (on ne dira jamais assez à quel point le pain, à la mâche, "révèle" le bœuf).
Du pain, et du vin bien sûr, pourquoi pas issu de cabernet-franc ligérien, un chinon, un bourgueil, un saint-nicolas, dont l'élégante modestie colle bien à cette viande de la France profonde.




* Très exactement livré en 1970, œuvre de l'architecte local Léon Le Sauter. Il est en cours de classement.
** Dans la limite du Droit comme l'a encore montré un fait divers cet été, à Milan, quand un bébé auquel ses parents imposait un régime vegan a été sauvé in-extremis de la mort par les médecins italiens. D'autres ont eu moins de chance comme dans cette triste affaire jugée aux assises de la Somme.
*** Un article intéressant à lire ici, dans Libération, sur l'orgie de food-porn des réseaux sociaux.
**** On retiendra aussi un semi-grossiste, sur la route de Niort, et d'excellents boucher-charcutiers, les Ferru, qui, en plus de vendre de la viande locale, confectionnent une andouille de compétition qui envoie la plupart des Guéméné au tapis, et d'aimables rillons.
***** J'ai ainsi goûté dans les deux-Sèvres, pas très loin de Parthenay, un pain vraiment de campagne, pétri et cuit au fournil de la ferme, par un remarquable boulanger amateur dont la clandestinité m'interdit en revanche de donner l'adresse. Je le regrette…







Commentaires

  1. Pour faire encore plus "locavore", on peut aussi boire quelques cabernets francs du Haut-Poitou...
    Au fait, le charcutier de Terves existe-t-il toujours? Passé au village cet été. Impossible à trouver...

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    1. Oui, Bernier existe toujours mais il s'est déplacé pour s'agrandir.
      On a mangé douze andouillettes cet été…

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  2. Superbe billet Mr Pousson.
    J'avoue que vous réussissez à mettre joliment de mots sur pas mal de trucs qui trottent dans ma tête. Ca me soulage, si vous saviez...
    On devrait les crier aux tentés du véganisme, aux cinglés du L214isme, et dans les salles de rédaction... Parce que ça urge vraiment, c'est une tuerie ici bas, et toutes vos images ne seront bientôt plus que souvenirs, ou pas loin.

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    1. J'espère bien que non !
      Et plus nous serons à résister, moins ces abrutis avanceront.

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    2. oui. Je partage de ce pas donc !

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