Sardou & Blondin.


Les bistrots sont ingrats, oublieux parfois de ceux qu'ils enterrent. C'est ce que je me dis en poussant la porte du Café des Sports. Là où je m'attends à trouver dans un coin une photo jaunie de "l'ivrogne qui écrivait", une coupure de journal, trône sur le mur principal un grand portrait, tendance art cheminot, de Michel Sardou. 
 
 
En fait, avant qu'il ne vive plus que dans les mots et le papier, Antoine Blondin fréquentait surtout un autre bistrot, à deux cents, trois cents mètres du foirail, le Jadis, planté sur la droite de la grand' rue de Linards, quand on arrive de Limoges. Linards, 87130, Haute-Vienne, c'est ici que le plus tendre des hussards venait se mettre au vert pour tenter d'échapper aux verres parisiens. En passant sur l'autoroute A20, j'ai voulu faire le détour, voir si quelque part on sentait encore l'odeur de ses cahiers d'écolier appliqué, si Monsieur Jadis m'avait laissé un mot.


Pas si oublieux que ça, quelques habitants de ce village peuplé de tractosaures géants lui rendent hommage. Une petite expo dans l'ancien bistrot. Porte close. Fermeture exceptionnelle. C'était peut-être mieux comme ça. Disons que ce n'était pas mon jour. 
 
 
Pas de signe d'Antoine non plus à la maison de la Presse-librairie. Entre les cartes postales des lacs de la Haute-Vienne et le présentoir vide des cartes Michelin, on y trouve les livres normaux (vus à la télé…), ceux que lisent les gens normaux qui élisent des présidents normaux.
 
 
Histoire de faire une photo, il y avait bien sûr, sur un de ces bâtiments dont les "architectes de conseils généraux" ont le secret, la pancarte du Centre d'Animation et de Loisirs. Ah, c'est sûr, en animation et en loisir, il en connaissait un rayon, Antoine. Tant qu'à faire, on aurait pu aussi lui offrir la bibliothèque et le stade.
 
 
Je voulais juste rencontrer de nouveau l'esprit d'Antoine, le sentir, retrouver ce bégaiement qui m'avait impressionné lors d'une troisième mi-temps toulousaine. Fouler ce sol qu'il avait fini par adopter au moins autant que le quai Voltaire, le Bar-Bac de Blanche et les commissariats de la Rive gauche. Me nourrir de bribes.


Alors,  j'ai pris la route de Salas, tout au sud-ouest de la commune (il a toujours aimé le Sud-Ouest), là où il avait la ferme de sa femme, là où Mitterrand vint un jour se perdre, attiré comme toujours par les écrivains de Droite. J'ai salué les limousines, senti l'odeur des haies, admiré les clôtures de châtaignier. J'ai même parlé aux fougères qui comme chacun sait n'ont pas la mémoire courte.
Poliment, sans élever le ton, avec le vouvoiement de rigueur, Antoine m'a fait savoir qu'il n'était plus là. La vie de ce petit bourg rural avait repris son cours normal, les foins s'achevait, on engrangeait les rond'balles. Mais j'étais ému et rassasié malgré ma belle assiette vide.
 
 
Il y a une vingtaine d'années, avec sa femme, des copains du Barreau et Abdelatif Benazzi, je me souviens que nous avions inauguré Le Blondin, rue Voltaire, à Agen, monté par des joueurs du SUA. J'avais même bu du pastis. Beaucoup. C'était un peu pareil. 
Du fétichisme? Peut-être. De l'idolâtrie? Non. Juste l'envie de communier, de respirer le même air. Un peu comme la dame du Café des Sports avec son portrait de Michel Sardou.







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