La chanson d'Hélène.


Ce vin, je l'ai tant aimé. Je l'ai bu à grosses gorgées. Ici, dans la Loire où un jour, il y a deux ans, il a fait chanter un morceau de paleron à griller, de la Parthenaise, du petit boucher en haut de la ville, celui qui ne paye pas de mine, ne parle pas de dry-aged, de blonde de Galice ou de conneries du genre mais fait parfaitement son métier. À Candes-Saint-Martin aussi, dans ce village qu'on dirait dessiné par des professionnels du marketing touristique, là où la Vienne finit en beauté avant d'aller se soumettre au fleuve. 
J'aimais son côté joueur, spontané. Même en Corbières, un soir, il m'avait fait croire que j'y croyais encore, que les mensonges n'étaient que des malentendus. "Avant, dans la maison, j'aimais quand nous vivions comme un dessin d'enfant". 


Ce vin que j'ai tant aimé, j'en ai déterré une caisse ce matin. Et je termine gentiment la bouteille, forçant à peine mon entrain, tentant d'oublier que ses sœur et cousine de Chinon et Saint-Nicolas-de-Bourgueil*, plus âgées, mêmes issues d'années difficiles flamboyaient, qu'on les a bues avant, qu'elles l'ont mise sous l'éteignoir. Ont insisté presque avec cruauté sur son côté fané, patiné telles ces femmes recuites par le soleil, un peu mâché, comme s'il était passé dans le tambour d'une grosse machine-à-laver. Stone-washed, à l'image des jeans et les blousons de cuir qui ont fait la fortune du Sentier et des vendeurs de fringues au début des années quatre-vingts.


"Je regarde le soir tomber dans les miroirs": vous connaissez La chanson d'Hélène, dans Les choses de la vie? Romy Schneider, Michel Piccoli. Beau et déchirant.
"L'histoire n'est plus à suivre et j'ai fermé le livre". Oui, c'est vrai, avec ces cinq bouteilles, il va falloir en finir, les expédier au plus vite. Mais avec un peu d'élégance si possible, en t'inventant, à table, une fin heureuse.
Nous nous sommes tant aimé, mais je ne crois pas que je ne sache plus t'aimer. Je n'oublierai jamais le bon côté. En ne pensant jamais, contrairement aux paroles de Jean-Loup Dabadie, que "le soleil n'y entrera plus". Tu n'est pas un vin de garde, tu as vieilli trop vite, mais je te prends comme tu es, avec ton côté sudiste, volage. Et je t'écrirai encore.





*Les Perruches 2009 de Gérald Vallée, ample et profond, décidément un grand canon ligérien, malgré son terroir réputé "modeste", et un "petit" millésime du Clos des Roches, 2007, le vin de casse-croûte idéal sur de la langue en gelée ou des rillons.


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