Le Pavillon et la courtoisie.


Narbonne est une belle et vieille ville. "La jumelle de Rome" écrivait-on à l'aube du premier millénaire, alors qu'on donnait son nom à la principale province gallo-romaine. Narbonne est une belle et vieille ville, mais comme tant d'autres, depuis trente ans, elle vit un cauchemar: son cœur (les halles exceptées) est exsangue, phagocyté par d'hideuses banlieues commerciales, autorisées par des générations d'élus (trop?) complaisants.
Pourtant, s'il est un endroit qui sauve Narbonne de la noyade esthétique, c'est La Nautique, glorieux port antique, au tirant d'eau désormais dérisoire et qui n'accueille plus que des coquilles de noix, éventuellement charmantes. La Nautique, au bord de l'étang, avec cette vue imprenable sur le beau village pêcheur de Bages, lieu de fière solitude à quelques encablures pourtant de l'enfer du pousse-caddie, à cinq minutes de la sortie d'autoroute*.


Une bonne nouvelle est venu gentiment réveiller ce lieu un rien décati. La concession de l'unique bistrot du port a été confiée à David Moreno, figure de la gastronomie languedocienne, amoureux transi, romantique, de ce bout de Narbonnaise. Et, en avril dernier, pour fêter le printemps, Le Pavillon (c'est le nom de l'établissement) a réouvert ses portes. Succès immédiat. Il faut dire que l'oiseau n'est pas tombé de la dernière pluie, il sait ce que c'est qu'un beau bouclard, et là, il en a fait un très beau.


Oh, pas dans le style tapageur, provincial à outrance, "déco", qu'on repère si souvent dans les environs. Du modeste, du sentimental, chargé de souvenirs patinés, chinés, comme de vieilles tables de formica. En fait, quand on entre au Pavillon, on a l'impression que le lieu a été conservé intact, comme lors du dernier passage de Lino Ventura et Michel Constantin. On s'y sent bien.


Et, pour couronner le tout, on y mange bien. Carole Peyrichou, aux fourneaux, cuisine. Oui, "cuisiner", vous savez cette pratique démodée à base de feu et de couteaux qui en peu de temps est devenue aussi rare en France que les bons restaurants. Je me suis régalé de sa fritures d'arêtes d'anchois salés, de ses jols** et de croquettes comme je n'en ai jamais mangé en Espagne: loin des pâtes trop fines pour êtres honnêtes, les siennes étaient constituées de pieds de porc désossés; remarquable! Carole, dont j'aime la douceur et l'application, travaille beaucoup les abats, de la langue aux pieds et ne cède pas à la mode locale du poisson congelé. De la même façon qu'on est bien dans la salle ou sur la terrasse du bistrot, on est bien avec ces assiettes qui fuient résolument le clinquant et les gimmicks à la mode chers aux gastronomes en culottes courtes. C'est direct et ça a du goût, de l'entrée au dessert (grande mousse au chocolat!).


En prime, ce qui ne gâte rien, la carte des vin est amicale, du corbières de Philippe Courrian aux tavels de L'Anglore en passant par le rouge du fils de David. 


Une belle soirée d'été, donc. À un détail près. Un gros détail. Un bout de bitume noir comme de vieilles haines recuites, un parking ridicule (et désespérément vide) que les membres de la Société Nautique locale, qui gère le port, sont venus en plein service planter, entre la terrasse du Pavillon et les bateaux, en lieu et place de la gravette d'un boulodrome historique. Un étron de goudron.
Des jalousies de péquenots, vous l'avez compris, une médiocre illustration de cette fameuse "machine à perdre" languedocienne. Le bistrot fonctionne trop bien, ce qui doit causer des aigreurs à cette bande de cacochymes à l'esprit aussi ensablé que leur petit port. Ils se sont donc "vengés", avec cet acte de piraterie minable, mesquin, qui pue des pieds. J'ose imaginer que la mairie de Narbonne, qui possède un droit de regard sur cet environnement, va intervenir intelligemment, remettre les choses en place, éviter de "baiser Fanny" en redonnant ses droits à la pétanque. Et rappeler quelques règles de courtoisie hauturière à ces marins d'eau saumâtre qui se font appeler "Nauticards", ce qui, quand on voit leur pauvre bout de parking, rime forcément avec "connards".
En attendant, rendez-vous au Pavillon, pour soutenir ceux qui bougent et regardent devant.




* Sortie n°38 Narbonne-Sud de l'autoroute A9. Au passage, je vous donne le numéro de téléphone du Pavillon, qui n'est pas évident à trouver: +33 4 68 91 53 73.
** Nom vernaculaire d'une petit poisson méditerranéen (Atherina boyeri) que l'on mange en friture, avec les doigts.


Commentaires

  1. Relayé dans mon blog Vincent : Chronique de Narbonne. Port la Nautique: “le Pavillon et la courtoisie” de Vincent Pousson http://contre-regard.com/chronique-de-narbonne-port-la-nautique-le-pavillon-et-la-courtoisie-de-vincent-pousson/ …

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  2. Langue bien pendue sait gouter, et bonnes photos aussi ...

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