Les mânes du vin.


En fait, c'est un peu la suite de la chronique d'hier où je pleurais une histoire d'amour trop tôt terminée. Nous sommes toujours dans la Loire. Pas très loin de Chinon, d'ailleurs, seule la Loire nous sépare du Véron. Nous voilà au mont Sigou, le modeste Everest de Bourgueil, point culminant de l'appellation. Je ne vais pas vous re-raconter l'histoire des bottes crottées de Gargantua, je l'avais fait ici.


Dehors, il fait chaud, on rêve d'eau, de piscines, de plages. Pourtant, pour pratiquer le sport national ligérien, il ne faut pas oublier, en plein après-midi, de se couvrir: la petite laine est obligatoire. Sous la montagne rabelaisienne, il fait onze degrés Celsius, pas un de plus.


Eh oui, vous l'avez compris, nous sommes de nouveau tombé dans un guet-apens. Comme ça, bêtement, au sortir de table (et quelle table! Je vous en parle bientôt!). Chez un vigneron qui ne fait pas de bruit, un vigneron-paysan dont les vignes recouvrent le mont Sigou: Philippe Boucard, actuel dépositaire du domaine familial et de sa fantastique collection de muids antiques*, Lamé-Delisle-Boucard


Oh, je sais, je vais me faire un peu plus mal voir des mondainvineux "Parisiens", et pire chez ceux, petits snobinards, qui, avec un naturel inquiétant, jouent aux "Parisiens": ce domaine ne figure pas dans la courte liste de ceux avec une bouteille desquels on peut/doit se faire un selfie dans la branchitude pinardière, cousine de l'univers de la confection. Tant pis pour les vendeurs de blue-jeans, ils ne savent pas ce qu'ils perdent…


Comme chez Lenoir, de l'autre côté du fleuve, nous voilà donc partis à la rencontre des mânes du lieu. Car, vous le savez, ne l'oublions jamais, dans le vin sont dissoutes les âmes des ancêtres. Des fantômes gais, bienveillants, protecteurs, pas tristes pour un sou, comme le souvenir guilleret du voisin, Jean Carmet.


Quitte à me répéter, le vin n'est rien sans le temps. On peut bien sûr se régaler d'une gentille macération carbonique de gamay de l'année, y prendre un grand plaisir. Mais ce n'est rien à côté de celui d'aller serrer, le cœur étreint par l'émotion, la louche de nos chers disparus, être présenté de façon posthume à ces valeureux guerrier de la vigne, les tutoyer, écouter leur sage message, l'espace d'une après-midi d'été qui éteint le soleil.


Oui, je radote: une des grandes différences du vin avec le Caca-Cola, c'est qu'on se dit que parfois, il n'a pas de date de péremption. Qu'on le croit parfois, quand tout va bien, que le Ciel et la Terre s'unissent, éternel. Hier après-midi, armé de son tire-bouchon, Philippe Boucard, "athée pratiquant", nous a presque fait croire que Dieu était encore vivant. J'en ai rêvé cette nuit. Mon esprit vagabondait de Trafalgar à Madère (j'ai une histoire de 1795 en stock) en passant par une vieille vigne royaliste.


Je vais pas tout vous raconter, les efforts des uns et des autres, les histoires familiales, les souvenirs ressentis dans ces bouteilles exceptionnelles. La caresse du jeune 76, l'énergie du 71 aux accents de rioja, le clin d'œil du 69, la force du 64, la classe du 59, la profondeur du 49, les larmes du pinotant 1921. 


Amis, frères, compagnons, je vous souhaite à tous de partager un moment pareil. Faites-en un des points de passage obligés de votre itinéraire vinique. À Bourgueil ou ailleurs (c'est plus facile en Loire), enclenchez la machine à remonter le temps**, venez boire le coup, sous terre***, avec les mânes du vin. Vous verrez, ils ont tout à nous apprendre.




* On ne peut pas vraiment dire qu'on soit ici au pays de la barrique, bois neuf et de la pipe-à-Pinocchio
** La mienne, celle du Minervois, vous le savez peut-être, je la ré-enclenche le 15 août.
*** En l'occurrence, sous la roche, sous le calcaire dur.


Commentaires

  1. Nous, c''était en 2012 et je caillais comme une vieille feuille suspendue à sa branche. Heureusement que les vieilles bouteilles étaient là...On s'en souvient encore... https://les5duvin.wordpress.com/?s=Lamé-Delisle-Boucard

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    1. Tu n'avais pas eu droit à la veste polaire réglementaire?

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  2. Je n'oserais pas dire que les "grands esprits se rencontrent"......mais quand même, je suis de moins en moins étonné d'aimer lire les articles de ce cher Monsieur Pousson :-)

    http://vinscoeurs.over-blog.com/2015/04/et-si-bourgueil-m-etait-conte.html

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