En faire tout un fromage…


Ce n'est rien de dire que je ne suis pas très fan des "journées internationales" de ci ou de ça. Je sens dans cette bouillie pour agences de com' et scribouillards en panne d'inspiration, un délicat mélange de marketing faiblard, de bien-pensance et de bons sentiments dont on se débarrasse aussitôt après les avoir bruyamment affichés. Mais là, m'est venue l'envie de saluer la Journée Mondiale du Fromage.


Pourquoi? Parce qu'il me semble que le fromage fait aujourd'hui partie des produits gastronomiques menacés. Menacé d'abord par l'industrialisation, par ces multinationales sans visages qui de brain-stormings en brain-stormings cherchent sans relâche des manières de nous fourguer davantage de merde tout en aseptisant, en pasteurisant. Menacé aussi par cet hygiénisme hypocondriaque, mix de pensée écolo radicale et de médecine rigoriste, qui répand de plus en plus le message selon lequel le fromage, enfant du lait, est un poison*. Comme si tous les fromages et tous les laits se valaient… Menacé par des modes délétères où la maigreur du corps le dispute à celle de l'esprit. Menacé enfin par des menus de restaurants où l'on oublie de plus en plus une ligne entre plat et dessert.
  

Et puis, même si je ne sais pas trop si, comme le chantait une ancienne réclame "les produits laitiers sont nos amis pour la vie", ce que je sais c'est que j'adore le fromage**. Il fait partie de mes premiers souvenirs gastronomiques. Ce bethmale des hautes vallées ariégeoises***, qui piquait un peu et me rappelait l'odeur de l'étable d'Honorine à Buzan, où elle m'avait appris a traire sur le trépied, la tête collée contre le pelage chaud de sa vache. Le puissant parfum de la fruitière du Haut-Doubs qui soulève presque le cœur d'un gamin de CE1, puis le grain du comté qu'on apprend à découvrir. Le chèvre de Banon, dont on défait délicatement la gangue de feuilles sur la terrasse de Lourmarin, face au château. Le goût exotique du maroilles de mon grand-père, tartiné, au goûter avec un jus de pomme aux petites bulles rigolotes. Le puissance du roquefort, qu'on se croit obligé de marier à la vache, sous les haut cris des amis aveyronnais qui dénoncent cette union contre-nature. La douceur du vrai munster qui offre l'occasion d'humecter ses lèvres de quelques gouttes de gerwurztraminer…


Du fond de mon cœur, je plains les gamins dont l'éducation au goût, après le lait maternisé et le petit pot, se poursuit avec l'odieux Philadelphia, sûrement un des produits alimentaires les plus infâmes que fabriquent les usines de la malbouffe, produit-poubelle honteusement célébré par les nouvelles starlettes cathodiques de la boîte-à-cons, produit mort et qui sent la mort. Ajoutez à cela ce qu'il faut de Caca-Cola et de ketchup, même le palais le plus sensible ne peut réchapper de ce formatage cataclysmique.


À l'occasion de cette  Journée Mondiale du Fromage, je tenais juste à saluer une initiative, celle de photographes qui ont décidé de créer une bibliothèque visuelle des fromages. Ça se passe sur Wikipedia. Alors, je sais, il est de bon ton de se pincer le nez en évoquant cette drôle d'encyclopédie numérique, et il est vrai qu'on y lit ici et là pas mal de bêtises. Mais s'il n'y avait que là, combien de vérités confortables ou de vrais mensonges sont ainsi allègrement recopiés et colportés, dans des médias photocopilleurs, jusque dans des documents universitaires?
À l'initiative de photographes bénévoles, Wikipedia, donc, recense notre patrimoine fromager fermier, cela s'intitule WikiCheese. Et je crois que c'est utile. Il faut témoigner de cette diversité, preuve de talents, de façons, d'identités. Vive le fromage, le fromage vivant, au lait cru, et pas qu'un jour par an!





* Comme avec le gluten où là aussi on mélange tout de véritables campagnes anti-fromage sont lancées, sur le Web notamment, s'appuyant sur des études qu'on a oublié de lire intégralement. Ainsi ce que dénonce ici le site Hoaxbuster.
** C'est très vilain de généraliser, mais la vie m'a appris à me méfier de ceux, et surtout de celles qui n'aiment pas le fromage…
*** Voilà typiquement un fromage que les coopératives et les groupes industriels ont détruit. Très difficile désormais d'en trouver du bon, qui rappelle l'étable d'Honorine. J'en connais toutefois un, le Phébus, distribué par la Fromagerie Cathare, à Albi.




Commentaires

  1. encore des photographies qui donnent faim

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  2. Vincent, tu sais que, tout en te chatouillant parfois (tu aimes ça, mon salaud), j'apprécie tes excès. Tu manies avec fraîcheur la mauvaise foi, et souvent pour une noble cause. Ici, point d'excès. Le "bon" fromage est en danger, pour toutes les raisons que tu invoques. Je partage le quotidien d'une femme (ça m'est arrivé au cours de mon existence) réellement "caséophile", voire "caséomane". Pour elle, la vie et la table n'existent pas sans fromage. Pour moi, après un très bon repas à plusieurs services, il ne m'en faut PAS. Mais dans toutes les autres circonstances, je reconnais que c'est un grand "petit plus" dans l'existence, un vrai plaisir gourmand Et là, je vous rejoins tous les deux: diversité et délicatesse sont les maîtres-mots.
    Je te signale que j'irai déposer un morceau de feuille de vigne (encore gras du frometon) au pied du tambour, le 2 mai prochain, car ma famille et moi écumerons le triangle Cadenet-Lourmarin-Cucuron ce week-end-là. Et j'irai brûler un cierge pour toi (ou le mettre où tu veux!) sur les fonts baptismaux ....

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