Légume du jardin.


Non, nous n'irons pas dîner dans le charmant relais de chasse niché dans les arbres. Je n'ai pas pu m'empêcher de passer par là en allant jeter un coup d'œil au potager. Parce que pour le menu de ce soir, on en a besoin de ce potager ! Même si les patates, le céleri-rave et les épinards proviennent du marché de Vendôme, il nous faut des herbes, j'adore la finesse du cerfeuil de ce parc humide, encerclé de douves ; on y ajoutera un peu de ciboulette, verte et drue. En cuisine, les échalotes sont en train de fondre dans le beurre. Pour un peu, on dirait les préparatifs d'une soirée végétarienne…


L'activité principale de la belle propriété dans laquelle nous cuisinons, sorte “d'île forestière” de plus de cinq cents hectares au milieu de la Petite Beauce, c'est la chasse. Un travail à temps plein. Sous le contrôle de la Fédération du Loir-et-Cher, on a droit ici, annuellement, à vingt-deux bracelets, des chevreuils. Ils pullulent dans les bois environnants ; à plusieurs reprises, en arrivant en fin de journée, il nous est arrivé d'en croiser un ou une dans l'allée, alors qu'il ou elle revenait de faire leurs “commissions” au jardin. Pour ce qui est du sanglier, pas de contingentement, on peut le tirer à vue : comme dans de nombreux départements français, il a été classé nuisible. Un souvenir de l'époque où les khmers verts du ministère protégeait cette pauvre petite bête qui depuis a dévasté tant de cultures, les champs de blé, ici, les vignes dans d'autres terres plus au sud.


Aujourd'hui, pour notre "soirée végétarienne", c'est donc d'un légume du jardin dont nous allons nous nourrir. En toute simplicité. Une gigue de chevreuil. Un brocard de deux ou trois ans. “Il a pris une balle de cul", précise Momo le garde-chasse, moquant gentiment le piètre coup de fusil du chasseur qui a tiré dans le dos de l'animal ; ce n'est pas qu'une question d'honneur, tirer par derrière, ça implique que l'on abîme la viande d'une des parties les plus nobles du gibier.


La gigue est du coup taillée en deux. Peu importe, ce sera peut-être même plus intéressant à cuire. J'opte pour une manière simplissime. Dans une sauteuse, comme je l'ai dit précédemment, les échalotes ont fondu dans le beurre, je mouille avec du vin rouge (une bouteille de gaillac d'un jeune producteur dont on n'arrête pas de me dire le plus grand bien mais dont j'ai une fois encore trouvé le jus un peu lourdaud, épais, idéal pour la sauce). Je brûle le vin, je réduis de moitié et verse ça au fond d'un plat à four. Le grill du four, justement, est chauffé au taquet, sans ventilation. Les deux jolis bouts de gigue, beurrés, y passeront quinze minutes, tourne et retourne. Ils reposeront ensuite une heure en dehors du four, sous du papier d'aluminium. On les réchauffera au service, la sauce surtout, et on parsèmera la découpe de cerfeuil et de ciboulette frais.


Nous sommes toujours en Val de Loire et le maître de maison, Pierre, a ses (bonnes) habitudes à Chinon (même si une nouvelle fois, il vient de me faire découvrir une pépite dont je vous parlerai, un pineau d'Aunis du Vendômois). Trois bouteilles de chinon pour faire glisser la gigue, après s'être agacé au ch'nin. Le feu crépite, mon copain Bambou, le labrador chocolat pose sa tête sur ma cuisse.
Quelle merveille que cette appellation rabelaisienne, je fais moi aussi partie du fan-club. Quelle diversité en si peu d'hectares, avec un seul cépage! Entre l'énergie suave, un rien atypique désormais, du Beaulieu 2010 de Corbineau, la rusticité très hautement torchable du Lenoir 2007 et la finesse du Coteau du Noiré d'Alliet… Et il y en a d'autres, à Chinon, tant d'autres dont les flacons nous régalent à l'occasion, dont les beaux tanins du cabernet-franc me parlent, dont l'élégante sincérité me touche*.


Je ne suis pas chasseur ; la tradition familiale, côté ariégeois, était plutôt au braconnage, aux collets, aux cages et aux truites à la main. Mais j'aime le gibier, j'adore le gibier, ces épousailles d'amour avec le grand vin, cette sensualité. La chair fondante du brocard, celle du chinon…
J'ai également du respect pour ces gens qui, contre vents et marées, à l'encontre de la mode et de la pensée CanalPlussienne, font partie des mainteneurs de ce qui permet aux campagnes de conserver une âme. Qui nous rappellent, si besoin en est, que loin de la sensiblerie waltdineysque, de la bien-pensance écolo-citadine, de la foodisterie et de sa culture Nutella,  pour manger de la viande, il faut préalablement tuer un bête. Que la mort est souvent violente.
Et, en cette matinée brumeuse, alors qu'à travers la Sologne nous filons vers Sancerre et la cave des Vacheron, je dis merci à celui qui a appuyé sur la détente, qui nous a offert une beau moment de bonheur, d'éternité gastronomique, de pureté, de cuisine paléolithique, “nature”.



* Et quelle façon de préparer son palais aux merveilles qui suivent, car le maître de maison a aussi ses habitudes dans le Jura. Vin jaune seventies / vieux comté devant la cheminée, c'est un accord qui ne lasse pas, après la gigue…


Commentaires

  1. Quel condensé de pépites ! Tu as le sens du résumé, tu sais aller à l'essentiel (de la vie). Tu fais mouche à chaque salve. Et je suis jaloux parce-que mes plus vieux jaunes des amis Rolet sont de 1990.

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    1. Jean-Jacques Salvat11 mai 2014 à 18:35

      Delteil se serait regalé...

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  2. Merci pour ce moment authentique. Bien que sortant de table, l'idée de cette gigue accompagnée de vins lui faisant honneur me donne l'eau à la bouche.

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