Le ras-le-bol d'un certain "naturisme".


Vous connaissez Julien Montagnon? Moi pas. J'avais entendu parler de lui et de la belle et mystérieuse appellation nord-rhodanienne de Brézème où il s'est installé en 2012 avec sa compagne, mais j'avoue bien volontiers n'avoir jamais goûté ses vins qu'on me décrit comme «nature». Depuis hier, je regrette de ne pas l'avoir encore fait. Pas à cause de tel ou tel commentaire de dégustation dithyrambique, juste à cause de sa clairvoyance, de son courage aussi, juste à cause d'un texte qui m'a donné envie d'y tremper les lèvres au plus vite.
Julien Montagnon, dans le blog du Domaine Lombard, s'est fendu d'un billet qui a le mérite de remettre un peu les pendules à l'heure dans le NéoMondovino, un billet qui correspond presque mot pour mot aux nombreux messages que je reçois depuis plusieurs jours, depuis que j'ai osé dire ce que je pensais d'une onéreuse «vache sacrée» du naturisme pinardier et de la liberté d'aimer ou de ne pas aimer un vin.


Mais laissons ce jeune homme nous raconter son histoire. "Lors d’une tournée commerciale à Paris, certains cavistes nous ont rétorqué que ça «ne sentait pas le sans-soufre»" D'où la saine décision de goûter les «premiers de la classe», ou en tout cas ce qui se fait. "Et là, poursuit Julien Montagnon, nous nous sommes retrouvés devant un énorme gloubi-boulga de vins.
D’un côté, des vins superbes, expression de terroir, droit, libres avec de belles buvabilités. Des vignerons, souvent pionniers de l’agriculture Bio, qui restent des modèles depuis longtemps pour nous.
Et de l’autre des vins informes, à la limite du buvable et cumulant tous les défauts du monde: acescence, acétate d’éthyle, évent, oxydation non-maîtrisée… Dans lesquels, il est impossible de découvrir un terroir, un cépage. Des vins incompréhensibles et malades à propos desquels le Tout-Paris s’extasie."


Et le vigneron rhodanien d'embrayer sur un sujet que nous connaissons bien, sur un défaut qui, pour moi, est le pendant "naturiste" de l'ultra-boisé espagnol: "les énervés du «nature» parlent souvent de terroir, mais prenons l’acétate d’éthyle comme exemple ; son goût est identique au nord et au sud, le même goût sur un cabernet franc et sur un grenache. Finalement, sa trop forte présence tend à standardiser les vins comme l’utilisation des levures sélectionnées!"
Pour conclure fort logiquement que "tous ces défauts mis bout à bout, et l’utilisation à tout va, de la macération carbonique conduisent à l’inverse de notre vision du vin. Le non-interventionnisme conduit inéluctablement à une standardisation des vins et à une négation du terroir et du rôle du vigneron. Dans notre esprit, nous tentons le moins possible d’intervenir sur nos vins mais «ne rien faire» c’est déjà faire quelque chose, c’est un choix et surement pas un dogme ou une règle.
Nous accompagnons les vins sans les brusquer mais en les préservant des défauts et maladies œnologiques."


Je ne vais pas revenir point par point sur ce qu'écrit Julien Montagnon (qui ne souhaite plus, par réaction, que l'on continue à qualifier ses vins de «nature»), n'empêche que son texte sent le "vécu". Sur le "ça ne sent pas le sans-soufre", par exemple: je me souviens ainsi d'une soirée chez Benoît Valée le précurseur espagnol du vin «nature», à L'Ànima del Vi; alors que je faisais un sort aux dernières bouteilles de ce cher Clos Cristal ligérien pour lequel j'admets volontiers une certaine inclination, un des plus éminents porte-paroles parisiens du mouvement m'expliquait avec un air soupçonneux qu'en fait j'aimais les vin nature "pas trop «nature»" (sous entendu ce Cristal, dans sa droiture tannique, n'était pas clair). Eh bien non, simplement, comme je l'ai écrit cent fois, j'aime les vins qui sont encore du vin, où l'on a encore une idée du terroir, du cépage, du millésime, où le procédé, la technologie (la macération carbonique est une technologie) n'écrasent pas tout.
Et inversement, même pour frôler les galbes de jeunes et charmantes œnophiles branchées, je ne me vois pas piquer une crise de jeunisme, prendre des airs de conspirateur rougissant et m'extasier, comme un gamin fier d'avoir sorti un gros-mot, devant des défauts œnologiques plus banals qu'extraordinaires.


Bref, je n'ai pas grand chose à ajouter à ce qu'a décrit Julien Montagnon, je déplore simplement que la mode, le conformisme benêt, le marketing, la politique interdisent de trier le bon grain de l'ivraie, ce qui fait souvent le jeu des médiocres alors qu'il y a tant de bons canons «nature» à boire, net et précis, de ceux dont je me régale depuis plus de quinze ans quand j'ai la chance de tomber sur l'un deux..
Évidemment, en relayant le cri du cœur de ce jeune homme, je sens approcher gonfler la bulle d'excommunication; peu m'importe, comme Martin Luther, je continuerai de boire le vin qui me va, et tant pis si ce n'est pas du vin de messe. Car, franchement, les chapelles, les congrégations, les bigots, les gratte-Jésus, les bedeaux, les processionnaires m'emmerdent profondément. Je leur préfère l'intelligence vive et le vin fin. Les deux à grosses gorgées.





Tant qu'on en est à parler d'intelligence et de vin, je vous recommande la lecture du dernier billet de Nicolas Lesaint sur de très intéressants travaux menés pour réduire les dosages phytosanitaires grâce au marc de raisin.


Commentaires

  1. Vincent,

    Ton billet me rappelle que le domaine de l'Anglore réalise aussi de très jolis vins, peu jusqu'au boutistes, sains.

    Hier soir : Tu vin plus aux soirées du Mas del Périé (Cahors) : très lisse avec pas mal d'acétate ... pas ma tasse de thé.

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  2. Vincent, trois connards extatiques ne constituent pas le "Tout-Paris". Et le porte-parole dont tu parles et que nous connaissons tous est plus confus que dogmatique.
    Enfin, bravo pour cette baffe dans la gueule des idéologues du pinard qui nous fatiguent tant ils sont menteurs, voleurs, tricheurs. Beau texte et bel envoi.

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    1. Merci, Nicolas, mais ce n'est pas mon texte, plutôt celui de ce jeune vigneron. Tu sais en revanche que je n'ai pas plus d'indulgence pour les vins ratés de "l'autre bord"...

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    2. Jean-Jacques Salvat3 mai 2014 à 20:20

      Je cite Montagnon: "des vins informes, à la limite du buvable et cumulant tous les défauts du monde: acescence, acétate d’éthyle, évent, oxydation non-maîtrisée…"et me pose ces interrogations:
      -comment ont ils pu passer le filtre des agréments IGP ou AOP?
      -si les organismes de controles ont fait leur boulot efficacement, combien de vins impropes a la conso as t on évité?

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    3. La plupart sont des Vins de France sans indication, Jean-Jacques. Le seul risque est celui d'un contrôle inopiné détectant une volatile supérieure à 0,9g/l, ce qui les rend au sens des Fraudes "impropres à la consommation. Cf décret joint: http://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do?idSectionTA=LEGISCTA000006099616&cidTexte=LEGITEXT000006071657&dateTexte=20030905

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    4. Jean-Jacques salvat4 mai 2014 à 13:37

      Cela n'explique pas tout, le vin "imbuvable "de M.Smith est un IGP.
      Seuls ceux qui ne veulent pas affronter le verdict de la dégustation à l'aveugle des commissions d'agréments , commercialisent sous VDT , et la tout benef pour eux: pas de jugement par leurs pairs, pas de cadre de l'appellation, etc, etc
      Par contre les bons vignerons, font plus attention aux déviances et s'amériolent , tels les gens de Calce

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    5. Espérons que Julien Montagnon prouvera par le verre ce qu'il annonce car a ce jour il ne me semble pas avoir fait grand chose par lui même
      Eric Dumez

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    6. Monsieur Dumez,
      Pour avoir rencontré, vu le travail engagé et bu toute la gamme de Julien Montagnon et d'Emmanuelle Horand, je puis affirmer qu'il se passe quelque chose de grand à Brézème et notamment au Domaine Lombard...
      Voici un petit peu de lecture à ce propos :
      http://abistodenas.blogspot.fr/2014/07/rhone-trip-6-de-lombre-la-lumiere.html

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  3. j' espère juste qu'il ne sabordera pas le domaine comme il a fait dans le Roussillon
    Eric

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