"Le téléphone-fleur"…


"Le téléphone-fleur!" Ça m'est sorti comme ça, alors qu'on faisait notre "tour de cave", hier. La dernière fois que je suis venu voir Élian Da Ros, l'appareil fonctionnait encore. Pas fantastiquement bien, certes, mais au grésillement de la sonnerie (façon court-jus dans un pataquès de fils électriques hors d'âge), on savait que quelqu'un appelait pour dire sa soif de vin pur du "Mont des Coucous". Là, plus rien! Kaputt, le combiné Socotel S63 ivoire. Rongé, le téléphone vintage, mangé par la fleur qui recouvre les parois du chai, avalé par un Outre-Noir peut-être cousin de celui qu'on ira à la fin de ce joli mois de mai goûter à Rodez*. Avec ou sans "téléphone-fleur", le Sud-Ouest, taiseux et profond, bâti sur des souvenirs communs, bien plus fidèle qu'il n'y paraît, regorge de connexions insoupçonnées.


Élian Da Ros n'a pas changé depuis le premier jour que j'ai goûté son vin. Son vin, si, car il n'y a que les idiots… Bien sûr, avec l'œil d'un fonctionnaire vétilleux, on va lui trouver ici et là un ou deux signes extérieurs de richesse: des jambons de Patrick Duler** pendus dans le cuvier, un Fendt (en panne), une machine à café italienne (vintage comme le téléphone-fleur)… Il ne s'emballe pas, il a cette tranquille assurance du campagnard du nord de la Botte, de celui qui, comme Soulages laboure le noir, se régale de mordre dans la belle terre à l'accent calcaire de Cocumont.


C'est vrai que je ne suis pas revenu depuis quatre ou cinq ans à Cocumont. Pour le coup, c'est presque moi qui lui joue L'Italien. "Ouvre-moi, ouvre-moi ta porte… Je reviens au logis / J'ai fait tous les métiers / Voleur, équilibriste / Maréchal des logis / Comédien, braconnier / Empereur et pianiste / J'ai connu des femmes, oui mais / Je joue bien mal aux dames, tu sais / Du temps que j'étais chercheur d'or / Elles m'ont tout pris, j'en pleure encore / Là-dessus le temps est passé / Quand j'avais le dos tourné"


On se le rappelait hier en déjeunant, c'est justement à table qu'on s'est connu. À L'Horloge, à Auvillar. En mangeant du toro de combat de Vic sous différentes formes. Comme on avait bien bu, on a alors décidé, en hommage à Ernest et à l'afición, que "le vin était une fête" (ça a porté son fruit), juste avant de penser que son prochain blanc autogéré s'appellerait Ainsi soit-il. C'était vers l'an 2000, un peu avant, un peu après, je ne sais plus (seule l'Horlogère est maîtresse du Temps), Sua Sponte est né, son dernier fils, le 2011, est splendide: frisante, vénitien, vivant.


Mais là, si j'ai appelé le "téléphone-fleur", c'est parce qu'on devait venir goûter le rouge. Le "rouge clair", le "presque-rouge" auquel il faudra bien finir par trouver un nom (essayons le toro, Élian, ça nous réussit!), Le (gouleyant) vin est une fête qu'on siffle au comptoir, Le gentil abouriou beaujolesque des Parisiens***, le Vignoble d'Élian, parce que c'est un régal…
Et, bien sûr, parce qu'il n'est pas question de faire le voyage à vide, de se frotter au pays des tanins, aux bouteilles pour ceux qui préfèrent s'assoir à table plutôt que de grignoter debout, du bout des doigts. Les vins d'Élian Da Ros ont changé, disais-je. Oui, ils se sont incontestablement affinés. Plus besoin d'éclats de voix, de taper du poing sur la table pour convaincre, pour affirmer tout l'intérêt de ces coteaux du Marmandais, mitoyens de la Gironde à Cocumont. Plus besoin de parler fort, la belle trame tannique de ce qu'on aime bien, en Ovalie, appeler "les vins de garçons" est toujours là, mais l'élevage a été dompté, la précision l'a emporté, tout est enveloppé, millimétré.


J'adore les derniers Clos Baquey, je l'ai écrit ici-même. Pour autant, ce n'est pas les déprécier que de dire que la lecture que Chantecoucou donne des croupes fessues de ce pays me ravit. Le tempérament gascon du 2010, la promesse des 2011, cette sensation que le temps fait sagement son œuvre. Sans oublier le miracle en cours des 2013. Quand je pense aux conne généralités qu'on a pu lire sur ce millésime. Ceux d'Élian Da Ros montrent, que, même à la lisière du Bordelais, avec du travail, de la vista et un peu de chance, on pouvait faire de ce millésime un cadeau pour les francs-buveurs, ceux qui connaissent le numéro du "téléphone-fleur".




* Car, c'est le 31 mai 2014 qu'ouvre le Musée Soulages, renseignez-vous, c'est ici.
** Il faudra vraiment que je me décide à vous raconter ma merveilleuse visite chez cet illuminé du cochon, que l'on parle gras, un peu.
*** Pas de contre-sens! En aucun cas je veux évoquer là le court escadron des mondainvineux, des gandins du goulot qui hantent les pince-fesses parisiens. Mais, c'est une réalité, ce cépage abouriou (autrement nommé beaujolais en Marmandais) vinifié comme du côté de Fleurie prend des accents très différents, moins tanniques, plus souples, plus faciles qui lui assurent un grand succès dans agréables débits de boisson de la Capitale.


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