Ouvert comme une cave.


Aussi étonnant que cela puisse paraître, je n'avais jamais, jusqu'à présent, mis les pieds à Sancerre. Peut-être la seule appellation française (et pas la moindre!) dont je n'avais pas senti la terre, goûté le vent, tâté la pluie. Comme quoi, on est toujours l'inculte de quelqu'un…


Depuis Vendôme, les brocards et les chinons de la petite Beauce, puis les forêts solognotes et le pélican de Bourges, nous avons filé sur la départementale 955, au milieu des champs de céréales, attendant impatiemment que le sol se plisse, que le relief s'affirme, que la faille apparaisse. Et soudain, alors qu'enfin depuis quelques kilomètres la vigne nous cernait…


Sancerre, ce Mont-Saint-Michel viticole, ce pendant blanc (mais pas que…), ligérien de Saint-Émilion, cousin de Riquewihr, Châteauneuf-du-Pape ou Gevrey-Chambertin, pour ne rester que dans l'hexagone. Le genre de village qu'on dirait dessiné, tel un décor de cinéma, pour l'œnotourisme, cet énorme serpent de mer des discours politiques, pourtant bien réel dans les faits quand il est maîtrisé par les vignerons.


Car si Sancerre est ainsi, c'est parce que des hommes l'ont voulu ainsi. Et l'ont maintenu ainsi. Il suffit de se balader (comme chez les Vacheron où nous avons rendez-vous) dans ce superbe réseau de caves souterraines, dans ce musée vivant pour comprendre que, sous les vieilles bâtisses protégées, ce qui irrigue le cœur de ce village, c'est le vin, son travail, sa culture.


Dans tout cela, il est question de mémoire, bien sûr, d'antériorité, de "tradition" comme disent les brochures touristiques. Et tout cela permet également de vendre parfois, à Sancerre comme ailleurs, des vins "pour touristes", des bouteilles qui n'ont pas grand chose à raconter. Oui, c'est vrai. Mais sans cela, il me semble qu'il n'est pas impossible, mais pour le moins formidablement difficile que s'installe une viticulture durable. Une viticulture qui, de générations en générations, de passages de flambeaux en passages de flambeaux, forte de convictions, conserve et innove à la fois, une viticulture qui ne se contente pas de succès en forme de feux de pailles, de coups d'éclats médiatiques, des foucades de la mode.


Ce que j'écris là ne condamne ni les "jeunes" vignerons, les découvreurs, ni les "nouveaux"  terroirs (vous savez à quel point je les défends!). On sait simplement avec le temps (ah, le temps qui ne se rattrape guère) que pour inventer sur ces terroirs-là, il faut des fous, non, des démiurges, et les démiurges ça ne court pas les rues. Qui plus est, alors que triomphent les fonctionnaires à manchettes de lustrine, la météo ne leur est pas favorable…


Le vin, son travail, sa culture, le respect, la mémoire, l'antériorité, ce mot de "tradition" qui ne me plaît guère… Oui, il y a un peu de tout cela chez cette famille Vacheron qui nous reçoit gentiment en plein week-end prolongé de mai, à l'heure où la France s'endort devant son téléviseur. Il y a cette volonté farouche de faire bon, de chercher, de comprendre, de se surpasser. Les Vacheron ne sont d'ailleurs pas les seuls à se bagarrer dans cette appellation, pas besoin de citer les noms, Vatan, Cotat et d'autres qui portent haut les couleurs du sancerre, d'un sauvignon qui n'est jamais aussi bon que quand les hommes et le terroir lui font un peu oublier sa vraie nature, son côté variétal.
 

Mais en plus de tout le reste, en plus de ces sauvignons vifs, croquants, en plus d'un pinot noir à rendre vert de jalousie les Bourguignons (goûtez impérativement Belle-dame 2010!), ce qui me frappe chez ces gens-là, c'est cette profonde curiosité, ce profond amour du vin et de ce qui se mange avec. Je sais, vous me direz qu'il est plus facile d'avoir les moyens de goûter à tout, de voyager quand on est vigneron depuis plusieurs générations à Sancerre plutôt que dans un coin perdu des Corbières ou du Muscadet. Pas sûr, c'est aussi une question de choix, d'investissement personnel, d'envie. Aussi une question d'amour, j'y reviens.


Quand Jean-Dominique Vacheron nous a reçu ce samedi-là avec son oncle, il arrivait directement, avec quelques heures de sommeil en retard, d'une fête vigneronne en Languedoc sur les contreforts du Larzac, où il avait bu, échangé, chanté avec d'autres passionnés, des gens comme Élian Da Ros avec lequel nous déjeunions quelques jours plus tôt. Et, il s'apprêtait à repartir en Barolo, chez Rinaldi, pour découvrir, goûter, apprendre. Pour aimer.


De la même façon que le type inculte, qui n'a rien lu, peut par miracle, comme une génération spontanée, écrire un chef-d'œuvre, un vigneron ignare, qui n'a rien bu, peut sur un "coup-de-cul", sur un malentendu, élaborer un grand vin. Malheureusement, l'exception ne confirmera jamais la règle.
Car une cave n'est pas un lieu fermé, reclus, mais un endroit d'ouverture au monde, où l'on a soif de ce qu'on ne connaît pas encore, où seul le vin vieillit car les hommes, eux, savants mais humbles, ne pensent qu'à découvrir. Merci aux Vacheron et à Sancerre de me l'avoir rappelé.




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