Le bon temps des colonies.


Il a été de bon ton de s'émerveiller sur la "cuisine-fusion", sur ces "traits de génie" de chefs "inspirés" qui, dans leurs assiettes, sous les yeux ébahis de "journalistes" complaisants mêlaient des influences venues des quatre coins du globe. Pourtant, quoi de plus vieillot que le melting-pot gastronomique. Je pourrais par exemple évoquer une vieille connaissance, le cassoulet, cette merveille de tolérance qui, en un mode de cuisson arabe, sublime des légumes sud-américains dans une poterie à l'italienne. Influencé par un de mes points de passage gourmands obligés à Paris, c'est du pho dont je vais vous parler.


Car, loin des adresses snobinardes, c'est aux Olympiades que je réserve un de mes premiers repas dans la capitale. J'adore ce Chinatown à la française, avec son rythme si particulier, ses avenues parfumées au nem ou au basilic thaï. Et j'adore commencer par un bol de l'emblématique soupe indochinoise dans le grand classique du quartier, le Pho 14. Cette adresse, comme plusieurs autres de ce coin du XIIIe arrondissement, est tout sauf anecdotique. Car, à mes yeux, elle symbolise bien le talent de la cuisine du Tonkin, d'une cuisine du peuple, d'une cuisine familiale, économique, réaliste. Les foodistas me tancent souvent, m'expliquant d'un air coincé qu'on déjeune divinement à Stockholm et qu'on dîne admirablement à Londres. C'est exact, ça peut arriver, surtout si l'on casse sa tirelire. Mais dans ces contrée-là, je ne peux m'empêcher de trouver la haute gastronomie un peu "hors-sol", au regard de ce qu'on mange dans la "vraie vie", chez les gens "normaux". Que de nourritures immondes ai-je du me forcer à ingurgiter sous l'œil inquiet de la maîtresse de maison, en Angleterre ou en Scandinavie! Que d'horreurs quotidiennes, parfois préparées avec bon cœur mais qui (je suis désolé de cette condescendance très française) démontrent que nous ne sommes pas là dans des territoires "naturels" de la culture gourmande.


Rien de tout cela dans une bonne partie de l'Asie, et spécifiquement dans l'ancienne Indochine. J'insiste sur ce mot d'Indochine, car le plat que j'évoque plus haut, cette soupe d'herbes et de bœuf cru est un glorieux héritage du colonialisme. Les Vietnamiens n'ont évidemment pas attendu les Français pour manger du bouillon, peut-être même du bouillon d'os de bœuf (ce n'est pas évident du tout pour ce dernier point) mais cette cuisson de la viande rouge, en pot-au-feu, voire "à la ficelle" est un apport hexagonal, vieux d'une grosse centaine d'années. Et ce mariage est, à mon goût, une merveille gastronomique, une explosion en bouche que rehaussent les multiples herbes aromatiques locales, le piment et le citron. Je ne suis pas, en revanche, persuadé du caractère indispensable des pousses de soja; il paraît que c'est également l'avis des habitants d'Hanoï.


J'insiste, donc, pour ceux qui ne connaîtraient pas encore, foncez au Pho 14, à la jonction de l'avenue de Choisy et de la rue de Tolbiac, fichez-vous comme de votre premier nem du côté cantine de l'établissement, acceptez le fait que la déco n'est ni starckienne, ni scandinave, préparez-vous à l'idée qu'il est possible que, passé midi et quart, vous ferez la queue sur le trottoir, lamentez-vous d'avance (pour les plus snobs) du ridicule montant de l'addition. Et régalez-vous d'un pho au bœuf cru (et pourquoi pas aux tripes) en pensant au "bon temps des colonies."



Commentaires

  1. Et donc, t'as bu de l'eau. D'où l'addition. Tout se comprend.

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  2. Encore un que les Barcelonais n'auront pas !

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    1. Le vietnamien ne se traduit pas en catalan. Déjà parce que bœuf n'a pas de traduction.

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  3. Manque peut-être un petit Pinot Gris d'Alsace pour accompagner le tout...
    En échos à ce message et à celui de hier sur la malbouffe à Barcelonne, j'ai eu l'occasion de tester la cuisine Catalanne lors d'un rapide voyage à Barcelonne la semaine passée. Trop rapide car sinon je vous aurais contacté pour des conseils, voire une rencontre... Donc, j'ai déjeuné au bord de la plage, à Barceloneta au restaurant Can Majo. Terrasse extérieure au décors simple avec le soleil en bonus. Service précis, efficace et sympathique. Cuisine de qualité où les poissons et fruits de mers sont à l'honneur. Carte des vins variée et de qualité où nous avons sélectionné un Cava de chez Codorniu plutôt bien fait. Le tout pour un prix convenable. Un repas agréable et une table à conseiller. Qu'en pensez-vous ?

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    1. Bonjour Pascal, je ne connais pas Can Majo, pas pour y avoir mangé en tout cas.
      Quant au mousseux, les vacances rendent tolérant…
      Pour ce qui est des adresses, j'ai mon mini-guide (à peu près mis à jour) des restaurants de Barcelone:
      http://ideesliquidesetsolides.blogspot.fr/2012/07/le-mini-guide-des-restos-de-barcelone.html

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  4. Le quartier de mon lycée, il y a déjà pas mal d'années.

    Tu as une idée de la dose en glutamates, Vincent ?

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    1. Dans le pho? Infiniment moins que dans n'importe quel menu moléculaire ou "tecnoemocional". Mais attention, Laurent, on ne dit pas glutamate, le mot, c'est umami…
      ;-)

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  5. Je connais des gens qui ne ne supportent pas.

    Vois dans notre bonne ville rose le militant dossier de presse de l'empereur d'Hué pour dénoncer cet état de fait.

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