Nutella, plus sérieux que Noma?


Vous vous en doutez, les commentaires, compliments ou parfois insultes, affluent depuis ces quelques billets (ici et ) où apparait peu à peu le vrai visage de pas mal de restaurants à la mode. Si le fait-divers du Noma, cette affaire d'intoxication collective, a du bon, c'est qu'elle permet par ricochet d'ouvrir les yeux de beaucoup sur l'absence totale de transparence d'une certaine gastronomie haut-de-gamme. Et, en pleine crise de la malbouffe, alors que sur la lancée de la Farce des lasagnes, il ne s'écoule pas une journée sans qu'on ne découvre du halouf dans les saucisses halal ou du mouton à cinq pattes, que l'on ne pêche du cochon mort dans le Huangpu, je ne peux m'empêcher de faire le lien entre tous ces maux alimentaires dont notre société prend brutalement conscience.
Loin de moi les théories complotistes, d'un côté comme de l'autre, c'est tout simplement au résultat d'une guerre pour la prise de parts de marché auquel nous assistons, faussement impuissants. Faussement impuissants, j'insiste, car nous l'avons bien voulu. Comme je ne cesse de l'écrire, nous l'avons choisi, délibérément. À chaque fois que, par facilité ou panurgisme, nous avons décidé de pousser un caddie de supermarché. À chaque fois que, par futilité ou snobisme, nous avons décidé de pousser la porte d'un restaurant branché, "spectaculaire". Ainsi, nous avons fait allégeance à un système odieux devant lequel nous jouons aujourd'hui les pucelles effarouchées.


Ce système, c'est celui de l'industrie agro-chimico-alimentaire, associé à la pieuvre de la grande distribution. Les supermarchés, je n'y reviendrai pas (on va m'accuser de radoter!), j'ai déjà dit ici le fond de ma pensée. Quant à l'impact de l'industrie dans la haute-gastronomie, je vous invite une fois de plus à aller consulter l'emblématique catalogue catalan Sosa, sorte de version moderne de la boîte de jeux éducatifs Chimie 2000 que j'avais reçue pour mes dix ans. Ah, le catalogue Sosa, ses arômes si naturels, si poétiques, de "terre humide", de "lichen", de "moisissure" ou de "fumée", ses sucres "technologiques", ses délicieuses tomates en poudre (oui, j'ai bien écrit en poudre), tout comme l'authentique fromage bleu, le génial vinaigre de cabernet, l'eau de mer, en poudre eux aussi, histoire de s'assortir à l'huître ou à la gamba. Je vous passe les gélifiants, les sphérificateurs, les épaississeurs, les aérants, les stabilisants, les "agents de charge", je vous fais grâce des airbags de porc et des tempuras en pot ainsi que des colorants en poudre et des métaux qui permettent d'élaborer des plats "graphiiiiques" qui finissent par ressembler à des décors de train électrique ou à des crèche de Noël.


L'omniprésence de cette ribambelle de produits dans les laboratoires culinaires d'aujourd'hui soulève plusieurs problèmes. D'abord, celui de la normalisation des arômes. Désormais, tous les cèpes, toutes les carottes, toutes les "forêts de Méditerranée" (si, si, c'est la référence 46109022 en vaporisateur de 50 grammes) auront exactement le même goût de Gérone à Singapour, de Copenhague à La Paz. On est bien loin du parfum des cerises de l'arbre de ma grand-mère qui était très différent de celles de sa voisine. Fini ce fastidieux travail de "garde-manger" qui faisait la gloire des désormais ringards cuisiniers à l'ancienne, les Fred Ménager ou Serge François, ces dinosaures besogneux, démodés, qu'il convient d'éradiquer! Finie l'imperfection, voici venir le meilleur des mondes, avec son odeur de produit WC et sa texture de chewing-gum!


Le second problème, soulevé notamment dans cette recette de truffes sans truffes à laquelle le Guide des Pneus a accordé trois macarons, c'est celui du dosage et des éventuelles interactions. Dans l'industrie, on mesure au centième près, on analyse, tandis qu'en restaurant, on innove, a bisto de nas… Et si le client est malade, on trouvera bien une pirouette. Au prix auquel il a payé, avec ce qu'il a attendu pour obtenir une table, il ne va pas en plus se plaindre!
Troisième problème, puisqu'on parle d'addition. Ces manipulations culinaires présentent l'avantage de "faire prendre des vessies pour des lanternes". Par exemple entre le coût d'une vraie truffe blanche d'Alba ou d'une tuber melanosporum de Lalbenque et celui d'un succédané à base de produits industriels dopé à l'huile synthétique, il n'y a pas de comparaison. Espérons que la note s'en ressentira. J'en doute.


Mais, me direz-vous, chimie de synthèse ou pas, chacun a le droit d'ingérer ce qu'il veut. Je n'en disconviens pas. En revanche, chacun a également le droit de savoir ce qu'il ingère. Quand vous achetez une saloperie de pot de Nutella, c'est écrit petit, mais la composition y figure, plus ou moins précisément. Au Noma*, autant on va vous en raconter sur la pureté des vins qui ne contiennent ni ci ni ça, autant, ce qui manque légèrement de cohérence, la carte solide n'évoquera jamais les additifs contenus, selon Jörg Zipprick, dans certains plats.
Pourtant, je pense que, dans cet établissement comme dans des centaines d'autres, au moins aussi sûrement que face à un pot de Nutella, le client a le droit de savoir à quelle sauce il sera mangé. Le temps est venu de mettre fin à l'opacité du Nouvel Ordre Gastronomique. La Nature, et les consommateurs, et in fine les restaurateurs, ont tout à gagner d'un peu plus de transparence.



* Je ne fais aucune fixation sur ce restaurant, mais en tant qu'actuel number one du classement de la World Company, et mis en lumière récemment, il est normal qu'il tienne lieu d'exemple.

Commentaires

  1. Mon modeste blog que j’essaie de rendre journalier, sauf en déplacement, et même pluri-journalier, a pris le pli de publier au moins une fois par semaine un billet incitant mes lecteurs à déserter la GD. J’ai adopté le slogan, simplissime, de « N’y allez pas ! ».

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés