La bouffe, le photomaton et la branlette.

En matière de photographie, même si l'iPhone fait mes délices instantanés (n'est-il pas l'Instamatic d'aujourd'hui?), je suis resté assez vieux jeu. Pour le très haut-de-gamme, je m'offre encore parfois le plaisir de l'argentique. Quitte à me ruiner en pellicules de plus en plus compliquées à trouver, à devoir batailler pour dénicher des labos qui connaissent encore le sens du mot "agrandisseur" et à m'armer de patience.

En matière de cuisine, vous le savez, c'est du même tonneau. La grasse perfection d'une vieille côte de Parthenaise, l'extravagante douceur d'une tête de gamba de Palamós, la précision d'une moungetade de tarbais d'avant l'INRA m'émeut davantage que le maniérisme pompier du Nouvel Ordre Gastronomico-chimique sponsorisé par Nestlé évoqué ces derniers jours. Tant pis si vous trouvez ça grossier, je mange, et j'aime ça. J'aime aussi voir et savoir ce que j'ai dans mon assiette, sentir dans le produit l'intelligence du paysan qui l'a créé. De surcroît, la mode m'indiffère. Bref, je n'ai rien contre les plumes au cul, mais ça ne me va pas au teint.

J'apprends, par le biais du blog Atabula, extrêmement bien connecté aux dernières nouveautés de la consommation gastronomique, qu'une entreprise belge a mis au point une sorte de photomaton de la bouffe, destiné à tous les cuistots atteints d'hypertrophie du melon. On insère une assiette dans cet appareil baptisé ApicBox, "de la taille d'un micro-onde" (sic), clic-clac, merci Kodak (RIP), et le plat géniaaaaal est immortalisé. Au passage, Atabula estime que ce photomaton permettra à n'importe quel chef de "contrôler en direct, sur son ordinateur, chaque plat qui sort de sa cuisine alors qu’il est à l’autre bout du Monde."** On me dit que le moléculaire Thierry Marx fait partie des premiers acheteurs; tu m'étonnes, John…

Je tairai ce que je pense du mépris une nouvelle fois manifesté vis-à-vis de la création photographique et les photographes, mais il me me semble que nous voila donc arrivés au bout d'une démarche, d'un système. Un système où la forme a supplanté le fond, où l'esthétique prime sur le goût. Il ne reste plus que l'ultime étape, ce sera peut-être la version 3.0 du Nouvel Ordre Gastronomico-chimique: se masturber devant des photos de plats plutôt que de les manger.

* Il est également suggéré de profiter de ce gadget pour distribuer des photos des plats aux clients (une façon habile de contrôler sa communication) et, "en échange" d'interdire qu'ils prennent eux-mêmes des photos des plats. Ce qui, par parenthèse, risque de s'avérer complexe d'un point de vue juridique…