L'infaillibilité des nouveaux papes de la cuisine.


Qu'on le veuille ou non, il y a des coïncidences troublantes. D'ElBulli au Noma en passant par le Fat Duck, il est difficile de trouver normal qu'un repas dans des restaurants de luxe, multi-étoilés, célébrés par un classement baroque, s'achève au mieux le nez dans la cuvette des toilettes, au pire chez le médecin. Bien sûr, dans la gentry des foodistas, cela fait bien longtemps qu'on ne mange plus, c'est bien trop vulgaire. Pour reprendre le vocabulaire en vogue des vendeurs de bagnoles, on va dans ce genre d'établissements "faire une expérience". J'ai déjà eu l'occasion de dire ce que je pensais de ce mot "expérience", mais il est évident que si l'on accepte d'être un cobaye, on accepte du même coup d'éventuels effets secondaires. Et cette nouvelle épée de Damoclès du norovirus qui permet d'expliquer l'inexplicable.


N'empêche que pour mieux comprendre comment "l'expérience gastronomique" peut virer au cauchemar, il est intéressant de revenir sur les ressorts de cette nouvelle cuisine-spectacle avec celui qui fut un des premiers à la dénoncer, Jörg Zipprick (ci-dessus). Nous avons pas mal échangé ce week-end, après l'affaire du Noma, avec le journaliste de Stern, qui a déjà raconté dans ce blog les dérives de la chimie étoilée.
Ce qu'il en ressort, c'est que nous ne connaitront probablement jamais, même si les versions ont abondé, les causes exactes de l'intoxication alimentaire qui a mis au tapis soixante-trois clients de ce restaurant sacré "Best of the World" selon le classement anglais sponsorisé par Nestlé, via San Pellegrino, que j'évoquais plus haut. Par parenthèse, ce classement qui avait consacré les démonstrations moléculaires d'ElBulli et qui privilégie la "magie", le "spectaculaire", le graphisme au goût n'est sûrement pas pour rien dans les malheurs actuels de certains de ses poulains.
En revanche, méthodiquement, Jörg Zipprick pointe une série de causes probables aux intoxications à la chaîne dont sont victimes les nouveaux grands du MondoGastro.


D'abord, explique-t-il, "les « nouvelles » méthodes de cuisson et « nouvelles » préparations (connues en fait dans l’industrie alimentaire depuis des décennies) ont besoin d’un très haut niveau d’hygiène, car il n’y a plus de cuisson proprement dite ou très peu. Et, ce niveau d’hygiène semble plus difficile à atteindre au restaurant qu’en industrie, notamment en raison des contacts physiques entre la nourriture et les employés, bien mieux contrôlés en usine." Il va de soi que dans ces conditions, la multiplication des germes est un risque réel, norovirus ou pas.
Parallèlement, poursuit Jörg Zipprick, "la majeure partie du personnel est insuffisamment formée, même en ce qui concerne des questions élémentaires d’hygiène alimentaire qu’on respectait avant dans le cercle familial : se laver les mains, ne pas préparer de la nourriture quand on est malade ou adapter la préparation, par exemple en cuisant davantage."
D'un autre côté, même si c'est contesté par René Redzepi, le chef du Noma qui prétend avoir rangé au placard ce qu'il avait appris à ElBulli, "la teneur en additifs et arômes est impressionnante! Les doses n'ont strictement rien à voir avec ce qui est toléré en usage industriel. Ça me met à plat quand j’en mange", reconnait Jörg Zipprick qui est d'ailleurs en train d'enquêter sur ce sujet.


Dans le rapport d'enquête* sur l'autre norovirus gastronomique, celui du Fat Duck où Heston Blumenthal avait du fermer son établissement après avoir empoisonné quatre cents clients, à aucun moment on n'arrive à trouver la cause de ce fait-divers. Car ce rapport ne s'intéresse pas, justement, à la montagne d'additifs et de procédés chimiques mis ouvertement en œuvre par le chef londonien qui n'hésitait pas alors à se faire photographier en apprenti-sorcier devant cornues et éprouvettes. "La fonctionnaire en charge de l'enquête, Wendy Foster, avait interdiction stricte de parler à la Presse pendant la fermeture du Fat Duck, les conclusion finales sont bien minces. Les autorités britanniques m’ont avoué ne pas avoir cherché à comprendre les recettes et n’ont pas fouillé du côté des additifs"
Soutenus par de puissantes multinationales alimentaires, la plupart de ces restaurants disposent désormais d'appuis sûrs. Sans parler des subventions publiques qui alimentent les nouveaux montages financiers de Ferran Adrià, mis sous perfusion par la région catalane, mais aussi ceux de Claus Meyer, le vrai patron du Noma, promoteur des produits nordiques mais aussi désormais de ceux de Bolivie et de Trinidad et Tobago, une des futures "destinations de rêve" pour les foodistas. Ces symboles que sont devenus ce genre de chefs-d'hommes d'affaires sont désormais intouchables.


Intouchables et, conclut Jörg Zipprick, "invulnérables". "Sur le plan psychologique, entre l’engouement médiatique, voire des titres de Docteur Honoris Causa décernés par des universités en mal de visibilité et de financements (Ferran Adrià a ainsi été récompensé par l'Université de Chimie de Barcelone, secteur Ingéniérie chimique), ils finissent par penser que leur génie les met à l'abri de tout accident. Et c’est justement là que ça arrive." Sentiment d’invulnérabilité, "infaillibilité" célébrée dans ces conclaves que sont les rencontres du MondoGastro, sponsorisées par les grandes firmes de de l'agro-alimentaire dont les évêques ont proclamé les nouveaux papes de la cuisine internationale.



* que j'ai pu consulter grâce à Jörg Zipprick, comme nous avons tous eu en main celui des autorités sanitaires danoises à propos du Noma.

Commentaires

  1. Merci pour ce papier hyper instructif qui laisse songeur !

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  2. Bravo pour cette présentation complète de choses qu'on ne sait pas forcément. Travail remarquable : merci !

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