Le vin "nature", nouveau gadget espagnol?


Voila, on a passé le cap, nous sommes en 2000! Le nouveau millénaire a été célébré avec un an d'avance et nous venons de passer au travers du bug informatique. La France descend aux trente-cinq-heures, Poutine pousse la porte du Kremlin, José María Aznar reste à la Moncloa, Georges W. Bush ne sait pas encore qu'il va se faire élire péniblement, entre autres. Dans les airs, un stupide accident a signé l'arrêt de mort de Concorde, sur le Web on parle encore d'AOL tandis que sur terre, on mettra en circulation près d'un million de Ford Focus.


Dans nos portemonnaies, le franc, le mark, la peseta, le drachme et la lire continuent de briller, au cinéma, Sautet, Autan-Lara et Vadim vont tirer le rideau. Côté sport, le Tournoi des cinq nations augmente d'une unité alors que l'Australie met la dernière main aux préparatifs de la XXVIIe Olympiade, à Sydney. Dans les librairies, on ne sait pas encore (et on l'a déjà oublié…) que Jean-Jacques Schuhl obtiendra le Goncourt pour Ingrid Caven. Et dans les bistrots parisiens, pendant que Bordeaux et la Champagne s'apprêtent à annoncer comme prévu un millésime "du siècle", c'est un auteur chti qui commence à faire florès, Jacques Néauport dont mon copain Jean Laforgue vient de publier Les tribulations d'un amateur de vin.


Néauport est "le fils spirituel" d'un négociant-éleveur disparu onze années auparavant et dont on a, en l'an 2000, finalement encore assez peu entendu parler, Jules Chauvet. Il est allé travailler chez Lapierre notamment (qu'il surnomme Raminagrobis), en Beaujolais, et parle à qui veut bien l'entendre d'un concept "fumeux": le vin "nature"! Et, peu à peu, le bistrotiers de la capitale succombent à la "buvabilité" de certains de ces jus bizarres, à cette idée aussi de crus moins sophistiqués qui tombe au bon moment après vingt ans de parkerisation à outrance du vignoble français. Une mode est née, entre situationnisme et opportunisme commercial.
Eh bien, cette époque épique, avec ses bonnes et ses mauvaises surprises, ses archanges et ses tartuffes, il me semble presque la revivre, ces derniers mois en Espagne. Presque. Ceux qui y vivent me comprendront, mais, sans ironie, un des charmes de ce pays, c'est que, à part pour les navets hollywoodiens et la corruption sud-américaine, on a très souvent l'impression d'y arracher les pages d'un calendrier vintage, vieux de dix ans au moins. Et quand je dis que ça a du charme, outre le fait de rajeunir, c'est aussi l'occasion de revivre, avec ou sans nostalgie, des temps révolus, celui du petit commerce, par exemple (même si la Crise agit avec efficacité pour la modernisation…) et des évènements du Passé.


Là, en l'occurrence, c'est donc l'arrivée du vin "nature" que je revis. Plus possible de rencontrer un acteur du Mondovino local sans entendre parler de ça. Il y a quelques mois, je m'étais gentiment moqué de Pépé, José Peñin, critique, éditeur et consultant œnologique, qui après avoir fait durant vingt ans le lit des soupes de chênes glycérinées se rachetait une conduite en pleurant l'absence de vins plus spontanés. Là, l'autre jour, c'est Joan Valencia, un des gros distributeurs de vins barcelonais que je croise à La Dive, dont j'entends qu'il va ouvrir un bistrot "nature" et prépare un salon du même tonneau. Et à propos de salon, on m'avertit dans le même temps de l'imminence de VN-BCN, un évènement qui doit, sans qu'on en connaisse les participants, devenir au moins de mai la foire "de référence" des vinos naturales en Espagne. Le plus drôle d'ailleurs, à propos de cette dernière fiesta, c'est qu'on me dit que figure en bonne place parmi ses organisateurs un sommelier qui, il y a quelques mois encore, faisait figure de démonstrateur d'alcools industriels. Enfin, bon, au pays de Don Juan, on sait que toute rédemption est envisageable…


Comme je m'interrogeais sur le soudain triomphe du "nature" en Espagne, je suis donc allé voir le seul marchand de vin espagnol qui possède une légitimité pour parler de ça, à savoir Benoît Valée qui depuis 2006, après avoir travaillé en Languedoc chez Barral, avait ouvert sa boutique à Barcelone. Vous dire qu'il est pour le moins circonspect vis-à-vis de tous ces nouveaux convertis, relève de l'euphémisme. Il est vrai qu'il se souvient de l'époque (récente!) où la plupart des cavistes, sommeliers, restaurateurs du coin "se foutaient de sa gueule". "J'ai bien essayé de trouver quelques résistants, explique-t-il, mais dans ce pays où les palais sont formatés au goût américain et où l'on ne demande que le vin marqué dans le livre, personne n'achetait. D'une façon générale, les gens ne boivent pas, ils dégustent".
Benoît Valée a ainsi organisé cinq salons consacrés à sa passion, faisant venir à Barcelone les plus célèbres vignerons de la mouvance naturiste. "En 2009, je n'ai reçu que deux visiteurs professionnels sur quatre cents! Pareil dans sa boutique de Gracia (aujourd'hui remplacée par son bistrot d'El Born), quand l'Américaine Alice Feiring est venu célébrer la sortie nationale de son livre. Ça a un tout petit peu changé en 2011 avec la venue dans un de mes salons de Josep Roca" (le sommelier du Celler de Can Roca). Depuis, quelques "clowns tristes" du vin espagnol, les rois des masterclasses et des colloques, lui ont rendu visite, confondant dans d'improbables galimatias, culture bio, biodynamie et vin "nature". C'est dire même les journalistes et blogueurs locaux en parlent!
Inutile que préciser que Benoît Valée ne perçoit "aucune sincérité" dans le brutal engouement du Mondovino espagnol. "Des moutons de Panurge, des suiveurs, parfois même des parasites. Ce sont simplement des gens qui n'ont rien à dire et qui face à un échec, le leur et celui du vin dans ce pays, tentent de rebondir, en jouant sur la confusion et l'esbroufe." Reste à savoir si cet ultime "gadget" parviendra à leur sauver la mise, et, surtout, à relancer la consommation de vin en Espagne. Rien n'est moins sûr.


Commentaires

  1. Mauvaise expérience récente, Vincent, avec Els Jelipins 2006, nature daubé/vinaigré, parfaitement grotesque.
    (sumoll + grenache, Glòria Garriga et Oriol Illa)
    Autour de la table, quelques palais (cerveaux ?) ont aimé (et j'ai lu sur le net un avis parlant de chef d'oeuvre ... alors il existe peut-être dans le lot quelques bouteilles qui feront l'affaire).

    Entre cela et un tempranillo moderne imbuvable, j'ai bien aimé Vina Real Gran Reserva 2005 de CVNE, encore jeune.
    Bien aimé aussi les derniers vins d'Allende.

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