Attendre les OVNIs.

Pas de doute, ce qu'on nous a servi est un OVNI. Objet Vineux Non Identifié. Je vous rassure tout de suite, nous ne sommes pas en Californie, et il ne s'agit pas du Cigare Volant du génialement excentrique Randall Grahm. Ce type, un roi du marketing (mais pas que…) mérite un livre à lui tout seul, ne serait-ce que parce que lui, il a le marketing rigolo. Il n'a pas le vin triste en tout cas, et il le rend drôle à ses clients.

Le cigare volant, pour ceux qui ne voyagent pas sur la planète liquide, c'est un énorme clin d'œil à Châteauneuf-du-pape. Par l'assemblage sud-rhodanien d'abord (mourvèdre, grenache, syrah, cinsault), et par une référence à un arrêté comico-farfelu pris dans les années cinquante par la municipalité castelnovienne d'interdire le survol, l'atterrissage et le décollage des soucoupes et autres cigares volants sur tout le (précieux) territoire communal. Ce n'est pas un gag, l'arrêté en question, en date du vingt-cinq octobre 1954 est téléchargeable sur le site de la mairie de Châteauneuf. Et pour ce qui est de Bonny Doon Vineyards, tenez, régalez-vous les yeux, c'est ici.

Lancé en rouge, Le Cigare volant existe aussi désormais en blanc (comme la plupart des châteauneufs-du-pape…), pour autant, ce n'est pas ce que nous avons dans le verre. Bien malin d'ailleurs celui qui pourra nous le dire sans lire l'étiquette. Ce vin à la robe jaune dorée se présente comme un "millefeuilles" d'arômes et de goût. Il y a de la noix bien sûr, des fruits secs, quelque chose qui pourrait nous faire irrésistiblement penser au Jura. Irrésistiblement, jusqu'à l'instant où s'impose un fruit exubérant, dense mais sec, ces intenses arômes d'ananas et de papaye. Et puis cette longueur…

En fait, cet OVNI possède bien un (petit) versant jurassien: le savagnin qui participe à hauteur de 13% à l'assemblage. Mais il ne renie pas non plus ses racines gasconnes puisque le gros manseng (lui-même frère du savagnin*) entre principalement dans sa composition; il y a fort à parier qu'on lui doive (à lui et un peu aussi au sauvignon gris, 37%), ce fruit volumineux. À moins que la rarissime** et savoyarde mondeuse blanche (8,5%) n'y mette son grain de sel…

Racines gasconnes? Oui, car derrière ce Vin de France qui appelle fortement la table (ou, sans plaisanter, le cigare), se cache une propriété bordelaise, le Château du Retout (ci-dessus) établi à Cussac, entre Margaux et Saint-Julien. Tous ces cépages, pour le moins inattendus dans ce Médoc rouge, ont été surgreffés en 2009 sur une parcelle de merlot située à Lamarque.

Le truc, c'est que ce vin, je l'ai déjà goûté. Et franchement, je ne l'avais pas compris. Trop straight, et même un peu creux, comme absent. À des années-lumière du 2013 que nous avons aujourd'hui dans le verre. Je précise d'ailleurs, pour être complet, que cette bouteille a plutôt été mal conservée. Pas façon pousse-caddie, mais genre caviste sans cave, en dehors de l'armoire climatisée, ce qui à Barcelone n'est pas forcément un cadeau. Toujours est-il que cette maturation accélérée lui a pleinement réussi.

Peut-être ne faut-il pas, comme Lucien Jeune le maire de Châteauneuf-du-Pape, s'interdire les OVNI,  ni même comme il le préconisait, les mettre en fourrière, mais au contraire les attendre, savoir les boire moins jeunes justement, un peu plus vieux. Le temps qu'ils se posent…

* Lire cette passionnante étude que j'avais déjà évoquée à propos de la transversalité des cépages, notamment entre Sud-Ouest, Jura et ponant ibérique.

** Malgré sa renommée, cette maman de la syrah (le papa est la dureza ardéchois, ou tarnaise, descendante du pinot noir et du tressot), qui n'est pas la forme blanche de la mondeuse noire, a failli disparaître. On en compterait aujourd'hui moins de dix hectares en production dans le Monde.