Si j'écrivais quand j'étais saoul.
Point, fermez les guillemettes. Je replie l'opuscule de papier glacé avec lequel Le Monde fait le jeune*, et me dis que vraiment, en terme de marxisme, seul Groucho avait raison. Parce que finalement, quand tu n'as ni la raison, ni le talent, le mieux, c'est de faire le clown.
Aigreur, bien sûr. Zéro talent journalistique (je parle pour moi). Aucune envie en tout cas de produire un numéro de plus sous un chapiteau désert. "L'église était bien trop grande", etc…
"Si j'écrivais quant j'étais saoul", c'est le thème. Avec encore plus de si, ça ferait le titre du livre non scolaire qu'on me réclame parfois. Celui, me disent les convicts d'École de Commerce, qui serait "différent". Ou je laisserais libre cours.
Si j'écrivais quant j'étais saoul. Comme quand je sortais de la soirée avec ces Australiens. Écrire quand on est saoul, il n'y a rien de pire que ça. En tout cas pour ceux qui ont la folie de se relire le lendemain.
En même temps, avec certains, on trouverait l'alcool généreux de prendre ça sous ses larges épaules.
Incidemment, je pense à des procès d'Assises. Aux paris sublimes et dérisoires, aux clins d'œil de prétoire d'après-repas, avec Alain Furbury, "le cancérologue" comme on l'appelait dans les Quartiers de Haute Sécurité. Il ne pouvait plus rien pour toi, mais te tenait la main jusqu'au dernier moment. Il a défendu l'indéfendable. C'était non seulement son honneur (qui lui a parfois valu des crachats), mais c'était celui de ce principe d'Humanité pour lequel les plus valeureux de nos ancêtres se sont battus. Je me souviens de ce crépuscule à Montauban, à l'orée du Désert, "viens avec moi, je vais lui foutre sur la gueule". La littérature ne retranscrit pas cet inoubliable zézément, "tititi & tatata". Encore moins l'éternelle , l'inconsolable tristesse de ne pas avoir accepté, au sortir de Chez Marraine, ivres de rosbif et de bordeaux mourousien, de monter dans sa Venturi de playboy fraîchement volée pour partir boire le penultimo à Ronda.
Incidemment, je pense à des procès d'Assises. Aux paris sublimes et dérisoires, aux clins d'œil de prétoire d'après-repas, avec Alain Furbury, "le cancérologue" comme on l'appelait dans les Quartiers de Haute Sécurité. Il ne pouvait plus rien pour toi, mais te tenait la main jusqu'au dernier moment. Il a défendu l'indéfendable. C'était non seulement son honneur (qui lui a parfois valu des crachats), mais c'était celui de ce principe d'Humanité pour lequel les plus valeureux de nos ancêtres se sont battus. Je me souviens de ce crépuscule à Montauban, à l'orée du Désert, "viens avec moi, je vais lui foutre sur la gueule". La littérature ne retranscrit pas cet inoubliable zézément, "tititi & tatata". Encore moins l'éternelle , l'inconsolable tristesse de ne pas avoir accepté, au sortir de Chez Marraine, ivres de rosbif et de bordeaux mourousien, de monter dans sa Venturi de playboy fraîchement volée pour partir boire le penultimo à Ronda.
Si j'écrivais quant j'étais saoul, je dirais que cet après-midi-là, j'ai raté ma vie. Qui n'a été ensuite été que regrets et plaisirs. Et recherche des principes de ce volatile et vrombissant Maître mort. J'ai raté ma vie. Il m'aurait engueulé d'écrire ça, comme il trouvait le service désinvolte, la nappe trop fine, sur la fin, à La Caravelle.
Je ne vais en faire des tonnes sur cet être lumineux, imperméable (en apparence) au malheur, avec lequel j'ai eu la chance de goûter à la délicatesse. De choisir, à La Bascule aux hanches larges et aux cheveux de vieille espagnole, des vins (cet incroyable Haut-Marbuzet) pour des bandits corses miraculeusement acquittés, de me fracasser avec mon premier vénérable pour une histoire de position de tir à la bécasse. Avec, tutélaire, l'ombre terrible du beau-père (les rugbymen comprendront), le tumultueux, ombrageux, barbu, tarnais, qui n'avait jamais peur parce qu'il avait dormi les fenêtres ouvertes. Qui a vu l'hiver arriver en mettant un peu plus de bois face nord à Salvagnac, en m'emmenant en Fiat Uno pourrie chez cette vieille dont le feu avait creusé le sol de la cheminée.
Si j'écrivais quant j'étais saoul, il me semblerait évident que les crachats, évoqués plus hauts, sur Alain le Magnifique, défenseur du pédophile parfait et de l'instituteur d'Auriol, je les ai revus, pas ressentis. Sur un type que je ne connais pas. Me Dupond-Moretti. J'ai lu sur lui des tombereaux d'injures, parce qu'il a défendu un type qu'on avait (légitiment?) envie d'exécuter d'une balle dans la tête. J'ai vu de parfaits défenseurs des Droits de l'Homme, de grands gauchistes de salon (les mêmes qui ont baissé culotte devant le nazislamisme que je combattais), me tomber dessus parce que je respectais la logique de ce grand avocat. Parce que sa logique était humaniste.
"Être humaniste ou pas" leur ai-je rappelé. Et tout en l’étant, combattre la bête. Sans s’abaisser, sans sombrer. C’est tout le pari, toute la dignité de l’humaniste. Et évidemment ce qui le sépare du monstre. Nietzsche l’a écrit bien mieux que moi dans un livre que m’avait offert, jeune adolescent, une vieille dame, sûrement cousine, en tout cas amie des tantes, à la poussiéreuse kermesse protestante qui dérangeait le début du terrain de boules de Lourmarin. “Quiconque lutte contre des monstres devrait prendre garde, dans le combat, à ne pas devenir monstre lui-même. Et quant à celui qui scrute le fond de l'abysse, l'abysse le scrute à son tour.”
Si j'écrivais quant j'étais saoul, je dirais à ces vociférants de l'être autant que moi au moment où j'écris ces lignes après avoir écouté vingt-cinq ou trente fois Göttingen. Il faut que je vous la raconte? Je leur parlerais de cette porte d'église où il y a cinq-cents ans Martin Luther a placardé sa révolte, ouvrant certes la voie à d'autres façons de penser la religion, mais aussi à des manières de vivre sans elle. À imaginer que finalement le voyage puisse s'achever dans un bolide de garçon-coiffeur.
D'ailleurs si j'écrivais quant j'étais saoul, je dirais que le prochain vin que je dois boire quand j'aurai digéré tous ceux que j'ai bus aujourd'hui, c'est la cuvée que le vigneron Éric Dupond-Moretti a offert au "cancérologue".
D'ailleurs si j'écrivais quant j'étais saoul, je dirais que le prochain vin que je dois boire quand j'aurai digéré tous ceux que j'ai bus aujourd'hui, c'est la cuvée que le vigneron Éric Dupond-Moretti a offert au "cancérologue".
* Le magazine du Monde, souvent joli. Mais malheureusement ça reste trop souvent sa principale qualité journalistique.
Chapeau bas devant celui qui défend l'indéfendable, il représente la quintessence de la liberté, de la justice et de la démocratie.
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