Boire, chanter, pleurer comme un bougnoule.


Barcelone ne s'est jamais autant identifiée au Camp Nou. Comme dans les tribunes du stade emblématique, la foule, la masse, éructe, braille, agite des drapeaux. Faute de Messi, Lionel, les messies de pacotille font ventre. Le touriste qui trouvait joliment colorés les bruyants défilés de ceux qu'il identifiait comme des fans du Barça commence à prendre peur. Le supporter n'a pas que de bons côtés. Le punk-à-chien non plus, puisque ce sont ces deux populations, étudiants et marginaux, purs produits de la "pure", de la "libre" Éducation nationale catalane, qui ont pris le pouvoir dans la rue. Difficile en tout cas de trouver le moindre romantisme à ce Mai 68 de l'égoïsme et du suprématisme.


Portés par la pression "populaire", momifiés, protégés par un sarcophage policier dans un parlement tellement vintage (le vintage en Espagne n'est pas nécessairement un bon souvenir), les clowns tristes du national-populisme surjouent leur dernier numéro, entre dramaturgie ukrainienne et coups de menton inspirés du général Alcazar*. Franco est bien évidemment de la fête. Comment envisager un débat réussi sur le siècle à venir sans penser comme au dernier?


Le peuple, le poble dont les politiciens repus ont la bouche pleine, essaye, lui, de travailler, de sauver ce qui peut l'être, parce qu'il faudra bien payer les salaires de ces señoritos qui mènent grand train et continuer de faire croire au reste du Monde (qui commence à se lasser) que les Catalans sont les plus riches du village. Il attend, donc, le peuple, avec de plus en plus d'impatience, que s'achève ce pitoyable, de ce grotesque vaudeville dont n'aurait pas voulu le pire théâtre de Paral∙lel**.


Sauf à devenir fou, à mettre sa santé en danger***, il faut s'échapper. Le national-populisme est un Minotaure. Pire, Saturne dévorant ses enfants, en commençant par la tête. Mercredi soir, pendant que les épiciers de la conspiration mettaient la dernière main à leur république d'un jour, je suis allé écouter du flamenco et boire du jerez. Une provocation, s'indigneraient les tenants de la "pureté" culturelle catalane qui joue du flaviol et de la tible**** plaça Sant Jaume.


Flamenco, jerez… symboles de cet "Homme andalou" dépeint au mieux tel un bougnoule, au pire comme un sous-homme par le père-fondateur de l'identité catalane moderne, L'Honorable Jordi Pujol, ancien président de la Generalitat que seule l'indépendance peut sauver de la prison pour corruption*****. Et, au bénéfice (maléfice?) du doute, je vous épargne les douteuses, les approximatives considérations génétiques d'Oriol Junqueras, n°2 de l'actuel gouvernement catalan, prétendument de Gauche républicaine, qui permettent de catégoriser Espagnols et Catalans******.


Malheureusement, loin de ces rats, de leur dialectique qui pue l'égout, je ne peux pas vous faire revivre la soirée de mercredi. Les mots d'Álvaro Girón, musicien du jerez, les notes de Juan Gómez "Chicuelo", vinificateur d'accords, la voix déchirante (et encore plus dans l'époque!) de Joaquin "El Duende", les percussions d'Isaac Vigueras "El Rubio", la danse endiablée d'Iván Alcalá Castellano… Je ne vais pas non plus vous faire des commentaires de dégustation, je n'ai pas le cœur à ça. En plus, ça m'emmerde autant que vous.


Je pense simplement au génie de l'instant, à la puissance du message, à ce souffle que même la mort ne peut éteindre. Je pense à ces arômes, à la joie, au plaisir, au partage. Aux larmes aussi que beaucoup ont versées dans l'incandescente obscurité de la salle.
Et je repense aux incantations jamais démenties du maitre-à-penser du catalanisme "moderne", de Jordi Pujol. À ces phrases immondes, publiées et re-publiées sans que personne ne s'offusque chez les beaux esprits de la "pensée pacifique et démocratique, si prompts pourtant à en appeler aux grands principes:
"L'Andalou n'est pas un homme cohérent, c'est un homme anarchique. C'est un homme détruit [...], c'est généralement un homme peu construit, un homme qui depuis des centaines d'années meurt de faim et vit dans un état d'ignorance et de misère culturelle, mentale et spirituelle. C'est un homme déraciné, incapable d'éprouver un sentiment un tant soit peu développé de communauté. Souvent, il donne des preuves d’une certaine humanité, mais d’entrée il représente ce qui possède le moins de valeur sociale et spirituelle en Espagne. Je l’ai dit plus haut: c’est un homme détruit et anarchique. Si par la force du nombre il venait à la dominer, sans avoir supassé sa propre perplexité, il détruirait la Catalogne. Il introduirait en elle sa mentalité anarchique plus que pauvre, c’est-à-dire son manque de force de caractère."
Jordi Pujol, vieille ordure! Pour ça aussi on devrait te mettre en prison! Plus encore que pour les milliards que tu as volé aux Catalans.


Juan Gómez "Chicuelo" est né en 1968 à Cornella de Llobregat, dans la banlieue sud de Barcelone. Comme Camarón de La Isla est mort à Badalone, en 1992, dans la banlieue nord de Barcelone. Ils sont le témoignage (parmi tant d'autres) de la formidable vitalité du flamenco catalan, de cette musique de gitans, de "gens sans frontières" comme dit Álvaro Girón. Car, n'en déplaise aux vilains, on peut être catalan et vibrer pour ce canto métèque, anarchique, bougnoule. De la même façon qu'on peut par exemple être blanc et vibrer au son du rock, cette musique "congoïde" comme la décrivent poliment les néo-racistes occidentaux. C'est d'ailleurs dans le cadre du festival de Jazz de Barcelone qu'il jouait pour nous.
Avant la soirée de mercredi, j'ai d'ailleurs eu la chance d'écouter Chicuelo dans le décor psychédélique du Palau de la Musica catalana. Comme un merveilleux raccourci de cet enrichissement mutuel entre Espagnols, comme un signe de cette Catalogne plurielle que nous aimons.


Alors, je sais les insultes, les menaces, les appels à la haine que me vaudra ce texte chez les agitateurs de drapeaux, chez les hooligans de la pensée (qui plus que tout détestent l'indépendance… d'esprit). Mais je sais aussi qu'ils sont l'expression d'une minorité******* qu'on ne peut que combattre, comme dès l'œuf nos ancêtres ont combattu le serpent, tant ils représentent les démons qui, toujours, partout, ont criminellement détruit le principe d'Humanité.
Donc, au delà de tout ça, des guéguerres médiévales, du folklore poussiéreux, des nationalismes rances, je lève mon verre de jerez aux Andalous, et à tous les autres bougnoules, modestes soleils d'une Catalogne que, sans eux, on trouverait sûrement un poil grise, à défaut d'être grisante.




* Celui qu'inventa sans l'inventer Hergé pour Tintin bien sûr, opposé à son vieil ennemi le général Tapioca, dont on ne dit pas si dans la vraie vie il s'appelle Rajoy et gouverne à Madrid.
** Paral∙lel, ou Avinguda del Paral∙lel, le Broadway barcelonais, l'avenue des théâtres populaires. Comme son nom l'indique, elle est parallèle à l'Équateur, dans les 41°.
*** Ce n'est pas une phrase en l'air, on constate une recrudescence des pathologies ces temps-ci à Barcelone, à cause de l'ambiance pourrie qui y règne, de cette tension palpable et omniprésente.
**** Sorte de flûte médiévale à 7 ou 8 trous et de hautbois ancien à la sonorité volontiers stridente qu'on utilise dans les coblas, les groupes musicaux folkloriques qui accompagnent notamment la sardane, ou les corridas du Roussillon.
***** Il est accusé d'avoir mis en place en Catalogne un système de corruption dit des 3%, sorte de péage mafieux plus astucieux que les vieilles méthodes des partis traditionnels espagnols, pourtant fort expérimentés. Le fils de Jordi Pujol a d'ailleurs déjà pris ses aises en prison, victime bien évidemment du "franquisme espagnol", dans le même centre pénitenciaire que plusieurs dirigeants du Parti Populaire ainsi que l'ancien président du Barça.
****** Propos douteux publiés en 2008 par le quotidien catalaniste Avui.
******* Minorité au sein de laquelle on trouve aussi des descendants d'Andalous qui, appliquant le principe du dernier qui ferme la porte, gueulent encore plus fort pour faire vraiment Catalan…


Commentaires

  1. Eh bé... Je lève mon verre d'amontillado !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu peux, Michel. Cette chronique me vaut à l'instant d'être bloqué trente jours sur 'Facebook'.
      "Incitation à la haine raciale".

      Supprimer
  2. Bon M.Putin d'Ego (Puigdemont) semble vouloir faire tourner ça du côté de la farce triste. Soit, qu'il finisse triste et farci.

    On vous souhaite courage et noblesse d'esprit face à tout ça.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés