Contre le conformisme bêlant.


Donc, on fait le point des bouquins de bouffe et de pinard qui sortent à Paris à l'approche de Noël. Cinq sur le vin nature, et trois sur les recettes de burger à base de protéines de soja texturées. Ou le contraire. "Ben oui, cocotte, si tu veux qu'on parle de ton grand œuvre dans le poste, faut qu'tu sois dans l'coup. Justement, tu pourrais pas nous pondre vite fait un truc sur les accords entre les pinards nature et la bouffe Vegan®*? Avec ça, t'es sûre de passer au vingt-heures, j'te garantis, cocotte, j'l'ai appris à HEC!"  


Et puis, en marge de cet univers d'épiciers speedés où le libraire, condamné à "l'office"**, ne vaut guère mieux qu'un dépositaire de Presse, vous tombe dans la boîte-à-lettres une bouffée d'air frais. Une bouchée de viande fraîche aussi. Enfin, fraîche, pas trop, juste ce qu'il faut. Arthur Le Caisne nous offre un livre qui ne s'étale pas comme une bouse de vache devant le maudit "air du temps" médiatique, Le manuel du garçon-boucher.


Oui, vous avez bien lu, c'est de bidoche qu'il s'agit! Quelle horreur! Ce n'est même plus du politiquement incorrect, on flirte avec le délit éditorial. Parler de ces monstres de carnivores qui ne respectent même pas la noble philosophie patiemment enseignée par Walt Disney aux gamins obèses des pays riches. Quel anachronisme aussi alors que nos amis de McDonalds (qui eux vivent avec leur temps) lancent à leur tour un hamburger végétarien. Arthur, mon pauvre ami, l'originalité n'est plus une vertu, si tu crois que c'est en écrivant des monstruosités pareilles que tu auras des papiers dans Elle et Les Inrocks…


Plus sérieusement, c'est donc de viande qu'on parle dans ce manuel. La matière première, donc, les races, l'élevage, les découpes… mais aussi toute la technique qui entoure la préparation et la cuisson, du couteau jusqu'au salage en passant par les façon de mariner ou de griller. L'ensemble est traité de façon très didactique, en images, et convient parfaitement à ceux, débutants ou pas, qui ont décidé d'arrêter de massacrer, sur le grill ou au four, les morceaux de choix que leur vend leur boucher.


Fidèle à ce qui avait fait le succès de son premier livre La cuisine, c'est aussi de la chimie, Arthur Le Caisne va plus loin en expliquant notre rapport physiologique au goût, de la viande notamment. Et offre au lecteur une série de recettes pratiques, de bases ai-je envie de dire, à l'image des fonds sans lesquels on ne peut pas cuisiner.


Alors bien sûr, on ne peut pas être d'accord sur tout. Le panégyrique de la "Rouge" de Galice (rubia, Arthur, en espagnol, ça veut dire blonde***) m'a fait sourire. Mais vous savez ce que je pense de l'usage ultra-industriel fait de cette appellation dans tout le nord-ouest de la péninsule grâce auquel on arrive à rendre des Blondes d'Aquitaine aussi performantes que des cyclistes ibériques. J'ai regretté, l'oubli, entre autres, de la Parthenaise dans les grandes races bovines, celui des merveilleux agneaux de Castille et d'Aragon au chapitre ovin, j'aurais en revanche aimé un poil moins d'espagnolades dans le jambon… 
Tout ça, ce ne sont que des détails, et des avis, des goûts personnels. L'essentiel, en cette époque de conformisme éditorial bêlant, c'est le bonheur de partager la passion de quelqu'un qui n'a pas honte d'afficher ses opinions, fussent-elles alimentaires. Donc, si vous avez un cadeau de Noël à faire à un gourmand, prenez votre élan! Et si vous préférez suivre les moutons, votre bonheur est ci-dessous…



* J'en parlais ici, je vous promets, dans cette rentrée litt(ré)raire, on n'en est pas loin.
** "L'office" est un système marketing vicieux mis en place par les gros distributeurs de livre. Le libraire reçoit une rafale d'ouvrages "sensés l'intéresser". En l'acceptant, il bénéficie de remises et de retours facilités pour les invendus. L'office accroît l'inflation et le gâchis éditoriaux.
*** J'en parlais ici et .


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