La couleur du sang du muscadet.


Quel magistral contrepied ! Alors que c'est en Catalogne que tout le monde attendait en ces heures inquiètes une tentative d'insurrection, voilà que le putsch s'est produit en France, à l'intérieur même de la tranquille ville de Tours. Des communiqués guerriers le confirment, l'opération "Yec’hed d’ar c’hilhog*" s'est bel et bien déroulée en cet après-midi du vendredi 13 octobre 2017 (vendredi 13, les voyantes nous avaient pourtant prévenus…).
Assez de blabla, l'heure est grave, voici le bulletin émis par le commando qui a victorieusement atteint son objectif, le valeureux Groupe Frelons des Bonnets Rouges (désolé, camarades, je me suis permis de corriger les fautes d'orthographe, ça devait être traduit du breton par Google translate…).

"Le pays Nantais fait partie de la Bretagne depuis plus de dix siècles et aucun découpage administratif ne peut faire disparaître cette vérité. Nier l’appartenance de la Loire-Atlantique à la Bretagne est une pourriture grise, une combinaison d’arrogance bureaucratique et d’inculture.
Muscadet, gros-plant, coteaux-d’ancenis… ce sont nos vins bretons.  InterLoire, l’interprofession des vins du Val de Loire les a annexés. Elle cultive la confusion et le mensonge dans l’esprit des Français et des consommateurs étrangers, au détriment de nos vins traditionnels.
Un fleuve ne crée ni un pays, ni un terroir, ni une identité.
Depuis le 1er Août 2017, les nouveaux statuts d'InterLoire oblige les appellations des vins nantais à indiquer leur appartenance au Val de Loire. Les récents accords interprofessionnels indiquent qu'il est obligatoire de mentionner  "Val de Loire" sur les bouteilles. Tout ceci est absurde et inacceptable.
Les vins bretons n’ont rien à faire avec les vins du Val de Loire.
Le pays nantais n’a rien à faire avec la région des Pays de Loire.
À partir d’aujourd’hui, vendredi 13 octobre 2017, nous occupons les locaux d’InterLoire pour dénoncer ce double scandale.
Ce que nous voulons dans l'immédiat : la modification des statuts d'InterLoire.

                                         signé Groupe Frelons des Bonnets Rouges"


Bon, retour au réel, une poignée de zigotos (dont on ne sait même pas s'ils sont vignerons)est donc venu foutre le souk cet après-midi à Interloire, tout le monde a bien rigolé, fin de l'histoire, la Fédération des Vins de Nantes s'est d'ailleurs clairement désolidarisée de ce coup d'éclat.
Le problème, c'est qu'à force, je n'ai plus aucun humour avec tout ce folklore d'un autre temps. Je serais presque à deux doigts d'adhérer aux idées de Mélenchon quand il estimait (lire ci-dessous)que la promotion des langues régionales (des patois comme on a presque l'impression de l'entendre penser) avait été un facteur de division dans certains pays comme l'Espagne. Je n'irais pas jusque là, en revanche, j'ai envie de vous raconter une petite histoire où le muscadet, breton ou pas, tient sa place.


L'histoire, donc, c'est que dans quinze jours, à Barcelone, avec plein d'amis venus de partout et auxquels on ne demandera pas où ils sont nés, on organise une grande fête dont on espère qu'elle ne sera pas annulée pour cause de guerre civile. Nous serons donc dans cette Catalogne qui est en train de se déchirer, de se ruiner** et de se faire détester par l'Europe entière, à cause de son égoïsme certes, mais aussi et surtout parce qu'en des temps où plus que jamais nous avons besoin nous de unir, elle sème le trouble pour des vieilleries régionalistes qui ont viré au national-populisme. Et, à l'occasion de cette fête, nous ouvrirons cinq cents huîtres qui (c'est une honte!) seront "étrangères", il faudra leur demander un visa puisqu'elles débarqueront du Languedoc (là où est née une langue qui a ensuite engendré le catalan), du grau Leucate***. On les servira avec du beurre du Poitou, et des échalotes d'Aquitaine. Pour le vinaigre, mea culpa, il viendra de chez les sous-hommes****, d'Andalousie. Les citrons, on essayera de se rattraper avec un jardin local, en revanche, la farine du (délicieux) pain du Forn de Sant Josep, bien que pétrie (on l'espère…) par un vrai Catalan, un Catalan "de sang" comme on l'entend si souvent ici, proviendra de Lozère, de Chirac très exactement.


Et, comble du comble, sur ces huîtres, parce qu'on en a envie et que c'est exquis, on boira principalement des muscadets de vignerons qu'on aime bien. Oui, vous savez, chers benêts rouges, le muscadet, ce vin intégralement issu de cépage melon de Bourgogne (forcément métèque) complanté au (presque) bout du plus long fleuve de France. Eh bien, vous savez quoi, Bretons bretonnants? On ne va sûrement pas perdre une milli-seconde et risquer de déclencher une seconde guerre civile à discuter de savoir s'il vient de Bretagne ou des Pays de Loire. Je vais vous dire, on s'en tape! Mais à un point que du fin fond de votre magnifique province, vous ne pouvez même pas commencer d'imaginer! Votre régionalisme, folklorique les bons jours, rance d'autres qu'on préfère oublier, vos binious, vous pouvez vous les mettre où je pense! Le muscadet, ce jour-là, comme tous les autres d'ailleurs, il sera d'abord un enfant de la France, de l'Europe et de l'envie de boire (une religion qui pour le coup pourrait nous rassembler). Le muscadet de Jo, de Fred, de Jérémie, on ne va pas lui demander ses papiers, on va lui faire sa fête!
Alors, je sais bien que pour ces quelques lignes politiquement très incorrectes, qui stigmatisent, etc, en France, je vais me faire traiter par certains de jacobin ou d'ultra-libéral bruxellois. De ce côté des Pyrénées, en Catalogne en tout cas, les plus énervés (ils sont nombreux) hurleront au fascisme et au franquisme*****. Tant pis pour eux, ça ne m'ôtera pas de l'idée que j'en ai strictement rien à foutre de la couleur du sang du muscadet. Même si je sais qu'il sent bon la Loire.



* Désolé, mais je ne pipe pas un mot de ce dialecte, s'il y a un Breton dans la salle…
** Sans parler de la catastrophe touristique, au moins 531 entreprises ont quitté la Catalogne depuis le début du mois, dont la plupart des poids-lourds de son économie.
*** Il y a très peu d'huîtres en Catalogne, elles coûtent une fortune et surtout poussent dans le delta de l'Èbre à l'embouchure d'une rivière transformée poubelle industrialo-agriculturo-nucléaires, donc…
**** Faut-il rappeler l'odieux texte, quasiment nazi, du maître-à-penser du nationalisme catalan, "L'Honorable" Jordi Pujol, sur les Andalous?
"L'Andalou n'est pas un homme cohérent, c'est un homme anarchique. C'est un homme détruit [...], c'est généralement un homme peu construit, un homme qui depuis des centaines d'années meurt de faim et vit dans un état d'ignorance et de misère culturelle, mentale et spirituelle. C'est un homme déraciné, incapable d'éprouver un sentiment un tant soit peu développé de communauté. Souvent, il donne des preuves d’une certaine humanité, mais d’entrée il représente ce qui possède le moins de valeur sociale et spirituelle en Espagne. Je l’ai dit plus haut: c’est un homme détruit et anarchique. Si par la force du nombre il venait à la dominer, sans avoir supassé sa propre perplexité, il détruirait la Catalogne. Il introduirait en elle sa mentalité anarchique plus que pauvre, c’est-à-dire son manque de force de caractère."
***** À propos des tristes débats actuels en Catalogne, lire cette belle lettre ouverte du chanteur franco-espagnol Nilda Fernandez à son collègue Lluís Llach, le vigneron qui ne boit pas de vin mais qui fait de la politique.


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