Pour changer de La Boquería…
Voici un itinéraire bis, histoire d'éviter les troupeaux de touristes qui bouchonnent à l'entrée du Mercat de Sant Josep, cette fameuse Boquería des ramblas de Barcelone. Ça se passe en banlieue, au nord, à Badalone. On se gare facilement, en quelques pas, on hume cette collante odeur de misère qui n'épargne pas, loin s'en faut, la Catalogne, ni même cette ville qui est loin d'être la plus déshéritée du coin. Sur les murs, les affiches parlent de révolution, de corruption, de familles expulsées de leur appartement, d'avortement. L'agence de la CaixaCatalunya est taguée jusqu'à devenir méconnaissable: "banquiers voleurs!" Décor ordinaire d'une Espagne qui se réveille pauvre de quelques années de richesse à crédit.
Nous sommes au Mercat, au Marché de Torner, une halle Eiffel édifiée en 1926 à laquelle on donnerait volontiers quarante ans de plus. La bâtiment est superbe, presque intact. Ici, pour accueillir, pas d'odieux stands de jus de fruits en plastique sponsorisés par Del Monte et Monsanto comme à la Boquería, Torner, c'est le royaume de la ménagère de plus de cinquante ans. Certaines loges ont tiré le rideau mais il reste ce qu'il faut de vacarme pour bien sentir qu'on est en Espagne.
Miracle! À l'intérieur, un cultivateur du Maresme, de Cabrera de Mar vend sa production. Pas d'asperges en bois comme chez les primeurs de Barcelone, juste des fèves, de l'aillet, des côtes de bettes, des épinards, des patates terreuses, des betteraves. En France, vous trouveriez ça normal, au pays de l'agriculture yankee, c'est une aubaine. Comme il se doit, les tarifs sont bas. Grosso modo, faire ses courses ici, de l'autre côté de la Ronda litoral coûte 50% de moins.
Les boucheries sont, comment dire? Catalanes? En revanche, la tripière me fait de l'œil qui fourgue des pieds et de la panse d'agneau. Au passage, je lui embarque une rareté, un onglet que j'évite surtout de lui faire trancher; je le démonterai moi-même, à la française. En prime, elle m'offre des tripes de veau. Un cadeau dans la région, c'est assez rare pour être signalé!
Un peu de poissons qui sentent le bateau, des sourires, quelques bricoles, ce n'est pas le marché du siècle, mais on se sent un peu moins en Amérique que dans les marchés de la "Capitale". J'avais déjà ressenti ça dans une autre halle de Badalone, La Salut, un grand bâtiment de béton un peu moche, moins charmant mais plus complet que ce Mercat de Torner.
Encore une fois, faire ses courses à Badalone, ce n'est pas la panacée, mais, notamment au niveau des légumes, il y a des coups à faire. J'y ai même rencontré une crémière obsédée par les fromages artisanaux au lait cru: de quoi faire cauchemarder les petits bourgeois proprets de l'Eixample!
Tout ça pour dire qu'il n'y a pas que la Boquería et les (nombreuses) halles de Barcelone dans la vie. Une plongée dans la vraie vie, dans la vraie Espagne, parfois, ça dépayse*. Et, au bout du compte, ça fait du bien.
* C'est ainsi que j'ai découvert juste de l'autre côté du périph' barcelonais un immense Chinatown composé de hangars et de grossistes. Ici sont rassemblés les fournisseurs du nécessaire de base pour touriste cheap des ramblas ainsi que des drapeaux "identitaires" qu'aiment tant brandir les Catalans.
Merci Vincent de continuer à nous faire découvrir l'autre versant de Barcelone ! Un régal que de te lire !
RépondreSupprimerTres bonne promenade a badalona, mais il faut aller a Sant Ildefons a Cornella pour trouver cette espagne dans la catalogne.
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