Pour ceux qui n'aiment pas les gens…
Ça sent évidemment un petit peu le marketing, mais l'idée est amusante (à défaut d'être originale): ouvre cette semaine à Barcelone un restaurant à table unique. Son nom, le Mercès One, il est situé sur la Diagonal, cette longue avenue (onze kilomètres) qui tranche la ville du nord-est au sud-ouest, à hauteur de calle de Entença.
Sans préjuger de la qualité de ce qu'on va y manger, il y a fort à parier que le Mercès One
ne va pas changer la face gastronomique du Monde; l'endroit est créé
par l'entreprise de Mercè Solernou, un traiteur installé depuis
longtemps sur la place. Là comme presque partout à Barcelone, on devrait
chichiter, faire de la déco d'assiette, ne pas parler de produit et tacher tranquillement les draps.
Ce qui pourrait faire la différence, c'est évidemment le "concept". Le rêve du misanthrope, le restaurant idéal de ceux qui n'aiment pas les gens. Fini le bruyant bavardage du VRP en chemisette de la table d'à côté, évaporé le nuage toxique de la radasse parfumée comme une cuvette de chiottes, maquillée comme une voiture volée, mis au dodo le gamin mal élevé qui donne des démangeaisons dans la main droite. Enfin, ça, c'est dans ma tête, car dans la réalité, le Mercès One risque plutôt d'accueillir des couples (riches et) illégitimes, des nouveaux Russes en quête d'exclusivité, voire des conciliabules politiciens. Pratiquement, le principe est simple, le lieu n'accepte qu'une seule réservation par service, qu'il s'agisse d'une table individuelle ou d'un groupe constitué.
Au delà de ce Mercès One qui pousse le principe à l'extrême, un restaurant "privatisable", ce n'est pas non plus une grande nouveauté. De petits salons en soirées entre amis, nombreux sont les établissements (y compris des paillotes de plage comme celle de mon copain Biquet) qui font cas des désirs de "solitude" de leurs clients les plus exigeants, les plus capricieux.
Je me souviens ainsi d'un mariage insolite chez Barbier, dans le Médoc ou de la cuisine de La Mirande à Avignon où l'on dévorait, dans les années 90, des plateaux d'huîtres et des gigots face au cuistot et à son commis. Manger avec le chef, André Daguin l'avait d'ailleurs inauguré dès les années 80 avec la "table d'hôtes" de l'Hôtel de France à Auch*.
Néanmoins, un des sommets du genre, pour moi, demeure le merveilleux Cartet, rue de Malte, à Paris, quintessence du cuisinier pour enfants gâtés, formidable restaurant au cœur de la gourmandise égotiste, lieu quasiment surréaliste comme je l'écrivais il y a un an.
Et puis, pour les égoïstes parfaits, pour les misanthropes inspirés, il y a la rock star, toujours escortée de ses deux roadies. Avec lui, comme avec les Clash et bien mieux qu'avec Starshooter, "Lyon's burning!" Lui, Georges Five, ou plus exactement Only Georges, du nom de son dernier groupe solitaire. Pendant que les autres parlent de vin et enculent les mouches, lui en boit et le chante. Georges Dos Santos, c'est l'Iggy Pop de la bouteille, le Joey Ramone de l'étiquette, le Little Bob de l'histoire pinardière, un amoureux fou, un romantique. Le seul type qui soit capable de jouer au baby-foot avec un godet de La Tâche 55 posé sur le cendrier.
Only Georges, son nouveau "concept" (pardon, Jojo, j'ai dit le mot pourri), c'est un tête-à-tête, avec un petit côté mot-de-passe, rendez-vous d'agents secrets, signes de pistes. Un univers mystérieux, très "haute-couture", sans carte ni menu, sans filet non plus, où un double magnum de beaujolais peut percuter un madère du XIXe siècle sous l'œil attendri par 36 heures de cuisson d'un paleron de Salers.
Vous voulez en savoir plus, comprendre? Posez-lui la question. Vous pouvez tenter le mail, Georges sait allumer un ordinateur depuis moins d'un an, parfois, il répond, mais c'est aussi fiable qu'une vieille Anglaise. Sinon, vous avez le bon vieux téléphone, par l'international, c'est le +33 (0)4 78 37 08 96. Tentez votre chance, partez à l'aventure, fuyez les grincheux, et vous verrez, vous allez de nouveau aimer les gens…
* Une pratique récemment ressuscitée en Espagne par les frères Roca qui ont accueilli dans leur laboratoire un des patrons de Google.
Vincent, tu ne devrais pas parler comme ça des vielles dames britanniques, tu vas t'attirer les colères des colèriques
RépondreSupprimerJ'ai trop de respect pour les vieilles Anglaises! Y compris pour leurs fragiles mécaniques pas toujours triomphantes.
SupprimerMais qui peut citer Little Bob aujourd'hui? Je ne le connais pas ce Georges, je n'ai plus les moyens de boire des blles de folie mais je l'aime bien rien que par la lecture de ce billet. Merci à vous Mister Pousson ( mais pas trop fort, cela pourrait reveiller les cons)
RépondreSupprimerAlain
ah au fait, j'adore les vieilles anglaises.
http://coumemajou.jimdo.com/2014/03/13/une-tournante-vincent/
RépondreSupprimerA LIRE