Oui, j'ai envie de Béziers !
Le mot d'ordre circule. À la machine à café, sur les réseaux sociaux, dans les commentaires des journaux: "on va boycotter Béziers!" Ça ne mange pas de pain et puis ça fait son petit effet, ça vous offre une conscience toute neuve, toute belle, ça fait de vous un grand Résistant. Braillez un peu fort, gesticulez, qui sait, ça pourrait peut-être vous valoir une médaille en chocolat, vous savez celles qu'on donne aux stars de la télé ou au footballeurs.
Car Béziers a bien changé depuis qu'a été imprimée cette carte postale jaunie. Une majorité des électeurs de la sous-préfecture de l'Hérault s'est prononcée dimanche pour que la ville soit gouvernée par un maire soutenu par un parti nationaliste. Une majorité toute relative d'ailleurs, puisque si l'on fait les comptes, 14867 Biterrois (46,98% des suffrages exprimés) ont voté pour la liste de l'animateur radiophonique Robert Ménard, ce qui représente moins du tiers des inscrits, 31,36% exactement. Mais, c'est la Loi, la démocratie est ainsi, ce monsieur a toutes les chances d'être élu maire de l'acropole languedocienne. Quel chemin parcouru, par parenthèse, pour ce gamin débarqué d'Algérie à cinq ans dans les quartiers pauvres de la ville, dans une famille tiraillée, comme il le sera lui-même, entre les extrêmes politiques, à l'époque, le communisme et l'OAS.
"On va boycotter Béziers!", "je n'irai jamais dans cette ville" Je ne pense pas que ça change beaucoup la donne, d'autant que la plupart de ceux qui le proclament n'y ont jamais fichu les pieds (et n'avaient quoiqu'il en soit aucunement l'intention de s'y rendre dans les années à venir). À propos de découverte de cette ville, je repense d'ailleurs à la mine horrifiée d'une copine, tendance bobo, davantage lectrice de Libération que de Minute, alors que nous grimpions en voiture le boulevard de Verdun, entre tchadors et paraboles. Le "seuil de tolérance" auquel elle pensait se voulait sûrement plus mitterrandien que ménardien, mais je ne doute pas que, comme Michel Rocard, elle était sûre à cet instant-là que la France ne pouvait pas "héberger toute la misère du Monde".
Vous l'avez compris, moi, je continuerai d'aller à Béziers. Pas, vous vous en doutez, pour aller danser des valses viennoises avec l'étrange monsieur Ménard, sorte (toutes proportions gardées) de Doriot cathodique d'un début de siècle qui cafouille. J'irai à Béziers parce que si cette belle ville, munificente pinardière, est tombée aussi bas, ce n'est pas par hasard, c'est le fruit d'un long processus où une infime minorité des acteurs politiques n'a rien à se reprocher. Béziers, on l'a laissée tomber, l'intelligence l'a laissée tomber. Pudiquement, nous avons détourné le regard. Allons-nous une fois encore déserter? Et, en commettant ce crime, lui infliger une double peine?
Oui, je reviendrai à Béziers, pour toute une foule de raisons. Pour aller boire des coups chez mon copain Catusse, dans son Chameau ivre*, et après avoir bu nous verrons si les Poètes de son plateau tout proche ont disparu, et après avoir parlé les langues de tous les vins de la Terre, sangs mêlés, nous chanterons leurs mots entrelacés. Un peu plus bas, chez les mozabites, je descendrai acheter de la coriandre fraîche, du raz-el-hanout et de la graine à couscous. En haut, je tenterai le coup, pour voir ce qu'il reste des halles, et je filerai aux arènes, voir toréer les gitans andalous. Près du stade de la Méditerranée, après avoir arpenté la plus grande brocante du Sud, j'irai aussi emmerder mon imprimeur et vérifier (mais c'est rarement le cas…) qu'il ne me livre pas du "travail d'Arabe". Parce que c'est comme ça que certains diront désormais à Béziers, oubliant que ceux qui ont conduit la ville à la déchéance n'étaient ni des "bougnoules", ni des "melons" mais de bons Français "pur jus".
Oui, j'ai envie de Béziers! En ne lui passant pas tout, mais en espérant qu'elle s'ouvre plutôt que de se recroqueviller, qu'elle s'invente un avenir, un après. Et pour ça, elle a besoin de nous, pas de déserteurs. Car enfin, au nom de quelle morale, de quelle humanité pourrions-nous condamner d'un bloc, tous les habitants de cette cité? "Tuez-les tous, Dieu reconnaitra les siens"**, c'était à Béziers, certes, mais il y a huit cents ans!
* Hommage au chameau, l'animal totémique de Béziers, tout un symbole…
** Cet ordre, cette phrase terrible aurait été prononcée par Arnaud Amaury, abbé de Clairvaux, légat pontifical lors du Sac de Béziers, en 1209, véritable commencement de la Croisade des Albigeois. Dans la seule église Sainte-Madeleine, sept mille Biterrois ont été massacrés. La mémoire populaire a conservé cet effroyable souvenir sous le nom du grand masèl, la grande boucherie en occitan.
J'irai à Béziers avec toi…
RépondreSupprimerNulle question de laisser tomber cette cité pinardière !
RépondreSupprimerMerci, Merci mille fois . Un peu de soleil après ce week-end pourri ! Continuez à nous éclairer Vincent.
RépondreSupprimerje te suis chez Philippe ! ;)
RépondreSupprimerBravo pour ce texte. Dix huit ans de mauvaise gestion de Béziers vont être difficiles à rattraper....
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