On avait dit suggestif, Herr Riedel, pas trash…


Comme beaucoup d'entre vous, je ne m'en remets pas. La "transgression de Riedel" avec son verre à Caca-Cola fait parler dans le Mondovino, jusqu'en Asie où, au delà du problème éthique, on s'inquiète de la détérioration de l'image de produit de luxe qu'avait cette marque. Vous vous voyez, vous, servir un vin à quelques dizaines de milliers de yuans dans un godet qui vu de loin sert aussi à ingurgiter un breuvage industriel bas-de-gamme, dans ce qui devient d'une certaine façon un verre à moutarde?
Parce beaucoup de ceux qui sont choqués, en France notamment, le sont d'abord par le côté "éthique" de ce truc vu, pour reprendre le mot d'Alexis Goujard de la Revue du Vin de France, comme un "dérapage", tellement à l'opposé des "valeurs" défendues par Riedel depuis des décennies. Parce qu'il y a le produit, Caca-Cola, une merde industrielle qui empoisonne le Monde, et pas seulement ceux qui en boivent. Vanter ses mérites comme on peut le lire dans le mail de promotion que je publiais hier est une honte, un reniement. Comment ne pas douter dans ces conditions de la "passion du vin" affichée par Riedel en découvrant cette subite déclaration enflammée à une boisson qui symbolise des "valeurs" inverses? Le tout, circonstance aggravante, sous la profession de foi de la marque, autoproclamée "The wine glass company": "grape varietal specific®". Vous les connaissez, vous, les cépages spécifiques du Caca-Cola?


Vous me direz qu'il existe déjà des verres à alcool ou à eau chez Riedel. Certes, mais l'entreprise a fondé sa réputation sur l'expertise du vin: ses gammes ne s'appellent-elles pas Sommelier (depuis 1973) ou Vinum? À propos de l'eau, un sommelier international me disait hier soir qu'à son sens, le commencement de la fin pour l'image de la marque a été la mise sur le marché du gobelet à eau. Même si l'histoire new-yorkaise qui l'accompagnait (l'étagère trop basse et tutti quanti) était bien torchée… 
Alors, puis qu'avec insistance, avec zèle, un de mes interlocuteurs m'accusait hier de me "mêler du marketing de Riedel", j'ai décidé de le faire, pour de vrai. Et de m'adresser, comme me le demandait son attachée de Presse, à Maximilian Riedel, le fils, désormais aux commandes de la fabrique tyrolienne.


"Cher Maximilian,
on me l'a répété (en insistant bien), dans votre entreprise, vous ne faites pas de marketing. Je sais… La création des verres repose sur un processus axé sur le besoin œnologique, l'amour de la technique, des dégustations, les workshops, etc…
N'empêche, que même si, officiellement, on met sur le dos de votre père l'idée de ce godet à Caca-Cola, il est difficile pour un observateur extérieur de ne pas voir dans cette affaire une tentative de diversification, et surtout un gros coup marketing, alors que vous venez de prendre les rênes. La concurrence est là, et bien là, il était important pour Riedel de montrer son "avant-gardisme", pour reprendre ce mot qui visiblement fait partie des "éléments de langage" qui étaient sensés, dans les jours à venir, faire passer la pilule du verre à soda, dans les communiqués de Presse, en France notamment. Bref, en parlant comme vous qui êtes fou de grosses voitures et de courses de F1, de prouver que votre entreprise était toujours en pole-position.


Donc, puisque je me "mêle du marketing de Riedel", j'ai réfléchi à la façon dont vous auriez pu gérer autrement le problème plutôt que de vendre votre âme au Diable. Ce problème "d'avant-garde", de développement: comment relancer la machine et s'inscrire dans la tendance?
Eh bien peut-être, tout simplement, en vous intéressant au vin. En constatant, du haut de vos 36 ans, que les choses du vin ont bien changé depuis l'époque que j'évoquais dans ma chronique d'hier, cette époque bénie pour votre famille où des milliers d'œnophiles comme moi s'extasièrent devant les Sommelier, Vinum et Ouverture de papa. En prenant en compte une mode ou un mouvement, selon les opinions, celui du "vin naturel".
Oui, vous voyez où je veux en venir. Surfer sur la vague, parler à des œnophiles plus jeunes, différents, inventer une gamme qui permette de "révéler" ces vins que (je vous rassure), on ne trouve plus seulement dans des bistroquets à la clientèle hirsute mais aussi dans des restaurants multi-étoilés, mondialement célébrés, à la clientèle parfaitement épilée. Vous imaginez? Soyons fous! Cette gamme, vous l'auriez peut-être baptisée Natur?


Un vrai défi! Un vrai travail technique pour vos workshops! Car nous le savons tous ces vins ont des profils œnologiques très différents de ceux à partir desquels votre père a construit ses modèles. Et vos créateurs, vos testeurs, vos verriers auraient peut-être, sûrement, trouvé des réponses sinon techniques, au moins commerciales, pour "changer le goût" de ces crus imparfaits dont le charme tient parfois plus à la bouche qu'au nez. Vous les auriez "réinventés" sous les applaudissements de la foule.
Car évidemment, la
critique vous aurait encensé. Quel sens de l'innovation! Quel à-propos! Vous auriez vraisemblablement fait un tabac, un gros coup de com! À Paris, au Salon de Rue89, dans les hauts lieux de la bistronomie et même chez l'anticapitaliste de BFMTV, Guillaume Nicolas-Brion. Puis ensuite à Copenhague, Londres et Singapour… Votre marque aurait retrouvé une seconde jeunesse. En Espagne, Josep Roca se serait fait photographier partout un Natur en main. Jusqu'aux États-Unis où, dans le New-York Times, Eric Asimov se serait extasié, tandis qu'Alice Feiring aurait chanté la révolutionnaire naturalité de ce verre nu. Et c'était reparti pour un tour!
Vous auriez pu faire dans le
soft, le suggestif, mais vous, cher Maximilian, vous avez pensé à d'autres jeunes, à vos années américaines, et vous avez pondu une besogneuse copie en cristal autrichien du gobelet à Caca-Cola. Et vous avez préféré faire dans le hard, dans le gore, dans le trash. No future! Peut-être votre côté punk?"




Commentaires

  1. Deux choses.
    1. Le gobelet à eau que tu qualifies de new-yorkais était simplement un verre à vin, pas à eau, mais sans pied pour prendre moins de place dans le lave-vaisselle ou le placard du bobo new-yorkais. Moi, ça ne ma plaisait pas trop, j'ai horreur de la simplification qui tue tout.
    2. T'as bien fait de ne pas tenter une carrière dans le marketing. Quand on voit le nombre de vignerons naturistes qui, avec une discrétion inhabituelle, revient à des pratiques plus raisonnables, la gamme Natur que tu préconises (ou affecte de) aurait connu un développement comment dire… cahotique.

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    1. Qu'est-ce que j'apprends? Gérard Bertrand et Henri Marionnet ont arrêté de faire du vin naturel? Toujours au top de l'info naturiste, le bon vivant! Deux choses: un nombre et des noms. Si jamais c'est possible, bien entendu.

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  2. En tous les cas, on est content de vous retrouver Vincent et en pleine bourre. J'ai horreur des "indignés" mais avec vous ça passe ! Merci d'un fidèle lecteur

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