Si j'avais un marteau…


Les verres Riedel, pour les (déjà) vieux œnophiles, c'est toute une époque. Révolue? Oui, je crois. Je me souviens en tout cas de ces verres qui, dans les années 80, avaient "changé notre goût", de cette finesse, de cette exagération du nez du vin aussi qui devenait prépondérant. Parce que les années Riedel, ça rimait aussi avec les années "bois neuf", les années "vas-y-que-je-te-fais-mûrir-les-raisins-comme-des-papayes-et-que-j'extrais-toujours-plus", l'orée, la préfiguration du bling-bling, du pif qui saute au pif*…
Mais ne brûlons pas, avec la hargne des nouveaux convertis, ce que nous avons adoré. Ces verres Riedel, nous en rêvions. Quelque temps plus tard, nous nous en étions mis à plusieurs et j'avais pu en acheter une soixantaine d'unités, des Vinum surtout, "pour pas trop cher", alors que le cristallier autrichien, tyrolien très exactement, changeait d'importateur en France. J'ai même le souvenir d'un grand plateau de modèles Bourgogne (mes préférés pour les vins méditerranéens) qu'une maladroite avait promptement envoyé au recyclage; elle était ravissante…


Ce cristal autrichien, c'était le luxe des jeunes buveurs que nous étions, tellement plus trendy que les verres soufflés de maman XVIIIe pur jus, "juste bon à mettre des fleurs" disais-je à l'époque. Les Riedel, nous y avons même, en leur temps, siroté des jus de planche parkérisés qui nous semblent aujourd'hui aussi démodés que les pin's soviétiques de Mikhaïl Gorbatchev. Si, si, j'ai les noms des coupables (vous seriez étonnés…), nous étions nombreux à le faire, c'était tellement plus "moderne" que les vins "d'avant", tellement vieillots, sans couleur, fadasses.
Le Riedel de la maison, c'était aussi ce qui mettait en exergue la piètre qualité de la verrerie de tant de restaurants, singulièrement en France. Il n'était pas rare de tomber, dans un étoilé du Guide des Pneus, sur des godets dignes d'un routier de Haute-Saône, épais, opacifiés par le frottement**. Les verres, on les voulait toujours plus gros, toujours plus haut.


Et puis, peu à peu, on s'est rendu compte qu'il n'y avait pas que les Riedel sur Terre. Le cristallier de Kufstein nous a lui-même ouvert la voie, avec des sous-marques comme Spiegelau. De son côté, les Bavarois de Schott Zwiesel comprenaient qu'il n'y avait pas que la chope à bière dans le vie.
Pour ma part, en verre de tous les jours, j'ai un faible pour la gamme Arom'Up de Chef & Sommelier, dans les tailles moyennes, pas trop hautes sur pattes. Leur gros avantage, réside dans le fait qu'ils sont fabriqués avec un matériau dont le nom commercial est Kwarx, vendu quand il fut mis au point par Cristal d'Arques comme incassable, très très résistant en tout cas. Il supportent le lave-verres, et même le lave-vaisselle. En plus de leur solidité, leur prix assez compétitif en fait un excellent modèle pour la restauration ou les salles de dégustation; j'ai testé, ça tient la distance!


Et le haut-de-gamme, alors? Parce que même si je ne vous en ai pas encore expliqué la raison, vous l'avez compris, depuis le début de cette chronique, c'est de ça dont il s'agit: quoi pour remplacer Riedel? Certains comme Nicolas de Rouyn clament haut et fort leur tendresse pour une presque nouveauté de la vieille maison Lalique, le 100 points. Un verre inventé par le hennissant James Suckling, critique américain plus servile que critique, et destiné à boire des pinards notés 100/100 par lui ou ses amis amateurs de pipes à Pinocchio. Est-il besoin de vous préciser que cet intitulé a lui seul me donne envie de prendre mes jambes à mon cou. Sans compter que je suis un rien dérangé par le virage pris par Lalique, qui ne doit pas déplaire aux princes arabes ou nouveaux Russes. Mais bon, promis, Nicolas, j'essayerai. Enfin, la prochaine fois qu'un Angélus ou qu'un Pavillon de Chapoutier me tombe dans le verre…
Car moi, le parfait remplaçant de feu les Riedel, je l'ai déjà trouvé. Je vous en ai touché un mot ici et . C'est le merveilleux, l'aérien, l'éthéré Zalto. Le Zalto, verre "transparent", dont j'utilise l'Universal mais qui est aussi formidable en modèle Burgundy, c'est l'Autriche, également, mais l'Autriche de Mozart, à côté de laquelle leurs ancêtres, les Riedel, font un peu figure de gros lourdauds en culotte de peau.


Oui, de gros lourdauds en culotte de peau, c'est très exactement ce que je pense depuis quelque temps des tenanciers de la maison Riedel. Leur gros coup marketing du verre à gin-tonic, porté aux nues en Espagne il y a quelques mois, aurait du me mettre la puce à l'oreille; visiblement, les cristalliers amoureux du vin avaient décidé de vendre leur âme au Diable, pardon, de se "diversifier". Mais, désormais, les choses sont claires. Après le verre à gin-tonic qui sent bon la cocaïne, voici celui qui pue le Coke. Vous ne rêvez pas, le texte ci-dessus n'est pas un fake, beaucoup d'entre nous l'ont reçu dans notre boîte à lettres, pour fêter la nouvelle année et sa version anglaise se trouve ici sur leur site. Ce texte, je ne m'en lasse pas, donc le voici, tel quel, au naturel…
"Inspiré des courbes de la fameuse bouteille, ce verre a été conçu pour vous donner une expérience unique de dégustation. Nos experts en dégustation ainsi que les producteurs de Caca-Cola ont définis sa forme pour vous offrir toutes les subtilités et la complexité des arôme de cette boisson.
Un verre unique pour une boisson extraordinaire, une boisson incontournable, un verre optimisé:
goûtez la vie côté Caca-Cola"
Rien à ajouter, si, juste qu'à mon sens, Riedel, c'est (ce n'était) pas fait pour ça. Pour cette trahison, pour célébrer cette boisson d'hilotes.
Alors, je ne sais pas, comme l'indique la photo du début, si je passerai au marteau la collection, l'importante collection de Riedel qui encombre l'armoire à verres, mais ce qui est sûr, c'est que je n'achèterai plus jamais aucun godet à cette bande de gros lourdauds en culotte de peau.





* Il m'arrive désormais, pour certains vins un peu déviants (boisé excessif ou côté "nature" gênant) de choisir des verres, presque genre gobelets, qui justement minimisent l'impact du nez sur la dégustation, afin de profiter de leur bouche si elle a un intérêt.
** d'autant plus choquant qu'on connait les marges exorbitantes faites sur le vin, dans la restauration française.



Commentaires

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés