Sergi Arola: soupe à la grimace.


À la place des clients, ce sont des huissiers qui se sont présentés avant-hier à la porte du restaurant Gastro, au n°31 de la calle Zurbano, à Madrid. C'est l'Hacienda, le Trésor public, qui les avaient été dépêchés dans cet établissement reconnu, couronné de deux macarons par le Guide des Pneus; leur mission, récupérer une dette fiscale de cent quarante huit mille euros*. Faute de paiement, Gastro a fermé.
Tous les ingrédients se mélangent dans cette drôle d'histoire. La Crise, évidemment, difficile de l'ignorer. Une cuisine qui n'a peut-être pas toujours convaincu les Madrilènes, plus classiques que d'autres. Et la personnalité du chef, Sergi Arola, dont les manières méditerranéennes (il est Barcelonais ce qu'on peut comprendre ici comme Marseillais), la démonstrativité tapageuse, le côté flying cooker, le bling-bling médiatique, séduisent moins à la capitale que sur la côte.


Sergi Arola n'était pas là, d'ailleurs, quand les huissiers sont venus, occupé à Paris, au W-Paris-Opéra où il dirige le pica-pica. Et ce n'est qu'hier soir qu'il a réagi, entre colère et abattement. Sa colère, on peut la comprendre dans ce pays où le vol, la corruption, le détournement sont un sport national au moins aussi pratiqué que le football. C'est justement de ballon rond dont il parle ce matin, se demandant pourquoi on ne va pas plutôt saisir les clubs de la Liga qui, eux, doivent des millions à l'État. Sauf qu'on peut tout imaginer en Espagne, fermer les hôpitaux et les écoles, mais toucher à l'opium du peuple…
"J'ai plus de six cents réservations que je ne pourrai pas honorer" explique le chef catalan, disciple d'Adrià et de Gagnaire, qui reconnait que son restaurant est déficitaire. "Comme tous les autres, ajoute-t-il, comme tous les étoilés. Là, je vends ma maison pour payer, explique-t-il." Avant de reprendre l'avion pour une des nombreuses destinations où son métier de cuisinier-volant l'appelle. Partir, faire sa valise, il y a pensé. Comme tant d'Espagnols.



* en saisissant la cave du restaurant.

Commentaires

  1. Voilà bien le drame et le dilemme de la haute gastronomie, Vincent.
    J’adore bien manger et je cuisine moi-même un peu, modestement, en amateur. Souvent, je sors d’un restaurant lors de mes déplacements en ayant fait moins bonne chère que chez moi. And this pisses me off ! Par contre, quand je m’assieds chez un « vrai », je sens tout de suite le fossé qui sépare un professionnel ayant passé des années à apprendre son métier et se remettant sans cesse en question et un amateur sans prétention, même soigneux et appliqué.
    Mais cela se paie cher, très cher. Quand on voit le personnel employé (nombre mais aussi qualification), le prix des denrées de base, les frais engagés et le capital immobilisé, on en arrive à se demander comment il se fait que les cartes proposent des prix aussi ... bas. Mais en même temps, comment peut-on justifier de payer 100 euros ou même bien plus pour un « simple » repas - je ne parle même pas du vin ? Je pense que c’est socialement INDEFENDABLE, comme d’ailleurs avoir au poignet une montre à 100.000 € ou bien rouler en Aston Martin etc ... Mais, en ce qui concerne l’alimentation, le problème est rendu d’autant plus sensible que beaucoup de gens ne mangent pas à leur faim, hic et nunc, sans parler du tiers monde et autres utopies. En fait, il me semble que seul un miracle pourra réconcilier les bonnes tables, dont je suis un ardent défenseur, et l’éthique, qui me tient tout autant à coeur.

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    1. Cela s'appel la complexité. De nos jours, si nous analysons un tant soi peu nos activités et nos passions, nous sommes systématiquement pris en défaut. Vaste débat auquel il est difficile de répondre sincèrement. La solution de l’autruche peut rendre service sur quelques digressions occasionnelles.
      Denis

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