Caricatures.


Je ne sais pas pourquoi (sûrement l'esprit mal placé), en voyant la photo ci-dessus, prise la veille de Noël autour du marché des Grands-Hommes*, j'ai pensé à Lucky Luke. Très précisément à la soixante-dixième aventure de "l'homme qui tire plus vite que son ombre", L'empereur Smith. Vous ne connaissez pas? Voici la notice qu'en fait Wikipedia:
"Dans la petite ville de Grass Town, Lucky Luke fait la rencontre de Dean Smith, un riche éleveur de la région qui a perdu la tête et s’imagine être l’empereur des États-Unis. Grâce à sa fortune, Smith a pu se permettre d’engager une petite armée, équipée de canons, et de se revêtir de tout un apparat. Amusés par ce personnage qu’ils jugent inoffensifs, les habitants de Grass Town se prêtent au jeu et font semblant de prendre Smith au sérieux."


En ces temps de StarsWarmania, on va appeler ça le côté sombre de la Force. Ce mélange de concupiscence, de nombrilisme et de pétage de plombs qui s'est emparé de certains acteurs du vin bordelais. Très loin d'ailleurs de la belle éducation qui fut longtemps l'apanage des Chartrons. Nous voilà exactement dans la caricature de ce qu'est réellement le vignoble girondin, un grotesque qui alimente à merveille ce "Bordeaux bashing" dont la première victime est le bordeaux lui-même.
Car il est évidemment facile de jeter le bébé avec l'eau du bain, de mettre dans le même sac, avec ce qu'il faut de populisme branché, tous les consultants, tous les vignerons, toute une région viticole. D'oublier avec dédain (et finalement avec cette même morgue que ceux que l'on dénonce opportunément) ce qu'il y a dans les bouteilles aujourd'hui. De rentrer à son tour dans la caricature et le grotesque, à l'image de ce reportage d'une journaliste engagey** tendance Ici Paris qui avait fait les délices du service public de la boîte-à-cons, lequel n'aime rien tant que de se cogner du vigneron, forcément un châtelain et un sale riche de Droite…


Car, franchement, il ne faut vraiment goûter que le papier des étiquettes, être organoleptiquement handicapé ou atteint de snobisme aigu, pour ne pas se rendre compte à quel point on peut boire bon aujourd'hui à Bordeaux! Et sans tomber dans le bling-bling tendance nouveaux Russes évoqué plus haut.
J'en veux pour preuve Tour-Perey 2014, ce petit bordeaux arrivé, grâce à un méchant œnologue (les œnologues sont tous des diables) dans une "caisse de Noël" qui n'a pas survécu à la Nativité. Voilà l'archétype du vin "juteux". Vous savez, ce nouveau mot-tiroir qui a supplanté dans les commentaires de dégustation français le minéral, le salin, le salivant (et le désopilant "sapide"). En fait une traduction littérale du fameux "juicy" qu'adorait en son temps Uncle Bob. Peu importe les adjectifs d'ailleurs, ce joli merlot**** planté à Saint-Sulpice-de-Faleyrens, en "Sables-Saint-Émilion", vendangé à la main, vinifié par Jean-Luc Marteau (le maître de chai de Rollan-de-By) et sa femme, est un concentré de fruit, charnu et croquant à la fois, une douce drogue. Tout ça pour une petite dizaine d'euros, un prix de corbières de coopé!


Puisqu'on parle du Médoc (Rollan-de-By…), comment ne pas aller chercher là-bas, sur cette presqu'île, toute la "fraîcheur" que les dégustateurs modernes s'acharnent à débusquer d'épaisses macération carboniques à la finale de Nutella? La "fraîcheur", quand le travail est bien fait, y demeure consubstantielle de ce terroir atlantique; on leur a suffisamment reproché aux médocs, fut un temps, alors que la mode était encore au body-building, de manquer de gonflette!
Cap sur Macau, au sud de Margaux, entre les bourgs de Macau et Arsac exactement, où le Château Mille Roses possède une bonne partie de ses vignes. Mais là, c'est le haut-médoc qu'on boit, bon et bio (n'en déplaise à Bernard Magrez…*****), un vin plein de "tension" auquel j'ai offert un risotto aux cèpes qui a mis en exergue sa grâce naturelle, quasi margalienne. Bu en moins d'une demi-heure, à l'opposé des caricatures à mobylette électrique.


Tant qu'à faire dans l'étiquette kitch-médoquine, allons-y gaiement! Par parenthèse, je pense que l'emballage n'est pas pour rien dans le regard que la branchouillerie pinardière porte sur le bordeaux en général. Sans conseiller aux Girondins de se lancer dans le jeu de mots à deux balles et de mettre des nanas à poil sur leurs étiquettes, ou même d'adopter l'esthétique néo-stalinienne chère aux alterno-mélanchonistes, il me semble qu'on pourrait un peu dépoussiérer tout ça. Ou pas…
Mais revenons-en au contenu, au sublime contenu du Château La Bécasse 2011. Un pauillac de rêve, parfaitement équilibré, d'une extrême profondeur, sans le côté pouët-pouët des cuvées américano-boisées. Je déteste cette locution, "grand vin", qui généralement chez les serveurs de soupe du Mondovino se traduit simplement par "vin coûteux", mais il me semble que là, on n'en est pas loin, sans, je le répète, les désagréments contemporains du "grand vin".
Bon, La Bécasse, c'est vrai, je ne suis pas pleinement objectif, c'est aussi pour moi un vin de souvenirs, le vin d'un Médoc intime goûteux comme un repas de chasseurs du pays de Bob Denard******. Mais qu'est-ce que c'était bon! "C'était", parce que ce cru, sous sa forme de l'époque, n'existe plus: à la suite d'une succession, les vignes ont été absorbées par Latour. Mais l'esprit de La Bécasse perdure, Roland Fonteneau continue à le faire vivre dans un projet que j'ai effleuré qu'il me tarde de goûter vraiment. À l'image du charmant listrac que nous avons lampé comme des boit-sans-soifs concomitamment avec La Bécasse, en hommage à une vignoble girondin qui mérite vraiment mieux que ses caricatures.




* À Bordeaux évidemment…
** Isabelle Saporta en l'occurrence, qui, sur France 2, avec ce qu'il faut de gros plans d'éprouvettes avait osé notamment dénoncer l'odieuse pratique de l'assemblage à Bordeaux (j'en ris encore…). Elle vient d'ailleurs, dans la même veine, d'expliquer doctement à ceux qui perdent encore leur temps à regarder autre chose que les matches de rugby et Arte deux fois par mois à la boîte-à-cons que le "tous pourris" n'était pas une spécialité bordelaise. Son dernier exploit a pour cadre le Centre-Loire où, forte d'une ignorance dont on a du mal à croire qu'elle ne soit pas feinte tant elle semble abyssale, elle nous explique qu'il n'y avait rien avant l'arrivée de la casquette de poulbot d'Alexandre Bain. Caricature, encore une fois, populisme, brutalité. Les moutons ont bien sûr adoré, ça n'empêchera pas les autres de continuer de vénérer, tout en aimant ou pas ce que produit Alexandre Bain (c'est un peu lourd, empâté à mon goût), les grandes bouteilles de Dagueneau, Vatan, Vacheron, Cotat et autres grands vignerons de Pouilly et Sancerre.
*** Ben oui, parce que c'est bien le minimum syndical qu'un vin, n'importe lequel soit "sapide", qu'il ait un goût. Après la question est de savoir quel goût…
**** 70% merlot, 30% cabernet-sauvignon.
***** À réécouter ici.
****** Le célèbre mercenaire qui était originaire de ce Bas-Médoc que je connais bien, de Grayan-et-L'Hôpital précisément.




Commentaires

  1. Ce blog tourne décidément vraiment mal. Tu y fais la propagande du Diable en personne. Tu seras condamné à boire toutes tes bouteilles hérétiques. Et je vais de ce pas t'en constituer une réserve.

    Quant au côté feint de l'ignorance, vu ce que le terme de "journaliste" englobe de médiocrité à présent, pas si sûr...

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