Le vin, c'est aussi un métier…
Vous vous souvenez de ce concept fumeux, "la fin de l'Histoire"? C'est un universitaire américain, Fukuyama qui, dans sa grande clairvoyance, nous l'avait vendu il y a vingt-cinq ans*, après la chute du Mur de Berlin. Un de ceux d'ailleurs qui nous expliquaient la nécessité d'aller foutre le souk au Moyen-Orient, de renverser Saddam Hussein, de violenter ce que l'on ne maîtrise pas. "La fin de l'Histoire", triomphe universel de la démocratie libérale, sorte de paix éternelle débarrassée de tous les conflits. Dans d'autres circonstances, ce serait à mourir de rire…
Dans le même registre, à peu près à la même époque, des énarques et des managers nous vendait aussi "la fin des métiers", genre on est polyvalent, flexible, etc. Et, de fait, le quincailler dans sa blouse bleu-gris, qui quand vous lui demandiez tel ou tel clou vous répondait d'abord par la question rituelle "pour quoi faire?" a été remplacé par le vendeur de Leroy-Merlin qui la semaine précédente travaillait au "rayon frais" de Leclerc, un mois plus tard fourguera des livres "chez"** Cultura. J'exagère? Pas tant que ça. Je pourrais, par exemple, vous parler du plâtrier, expert en stuc et gypses, remplacé par le "plaquiste" et son maudit Placo®, du cordonnier qui colle au lieu de coudre, du cuisinier troquant sa cuillère en bois contre une paire de ciseau et un micro-ondes.
Le Mondovino a évidemment connu la même glissade. Pour des "bonnes" raisons parfois, un côté fashion, dans les grandes villes en tout cas; il vaut mieux faire envie que pitié… La raison moins avouable, c'est que le vin qui ne coûtait rien il y a une trentaine d'années, quand on en buvait encore statistiquement beaucoup, est devenu un plaisir de riches. Je parle évidemment du vin qui brille, celui des magazines, de la télé, pas le honteux, le prolétaire, qui remplit les cubis des caddies à un euro le litron. A donc débarqué, tel Maître Renard par l'odeur alléché, une faune dont l'amour du produit est inversement proportionnel à l'appât du gain.
On a ainsi vu l'ancien vendeur de pizzas, de fringues, l'ex-agent immobilier, le prof en disponibilité, le technico-commercial, inaugurer une cave-à-manger ostentatoirement ornée des quelques signes de reconnaissance (étiquettes, affiches, tics culinaires), soigneusement calculés, qui forcément lui ouvriront les portes du Fooding. Et rassureront le couillon de passage tout heureux de passer au terroir-caisse.
Dans le "vin 2.0", ce sont les élèves d'écoles de Commerce qui nous ont abreuvés de leur concepts en wine, winetruc, machinwine, dont le but plus que de vénérer Bacchus est évidemment de "lever" un ou deux millions à un gogo qui aurait mieux fait d'aller les dépenser au bistrot. Le tout noyé dans une logorrhée journalistico-publicitaire (le fameux "sujet-verbe-compliment") où cent fois la langue passe et repasse.
Dans le "vin 2.0", ce sont les élèves d'écoles de Commerce qui nous ont abreuvés de leur concepts en wine, winetruc, machinwine, dont le but plus que de vénérer Bacchus est évidemment de "lever" un ou deux millions à un gogo qui aurait mieux fait d'aller les dépenser au bistrot. Le tout noyé dans une logorrhée journalistico-publicitaire (le fameux "sujet-verbe-compliment") où cent fois la langue passe et repasse.
Éric Cuestas (ci-dessus), lui, n'est pas très flexible, ni très polyvalent. Multi-tâches éventuellement, mais ne lui demandez pas trop d'allumer un ordinateur, de jouer du clavier. Même son téléphone est un ennemi. La seule technologie qu'il tolère, c'est le tire-bouchon.
Je l'ai d'ailleurs connu sommelier, dans ce qui fut au début des années quatre-vingt-dix, à l'époque de "la fin de l'Histoire", le meilleur restaurant de Toulouse, au Pastel, chez Gérard Garrigues***. Un drôle de mélange, une allure parfois renfrognée, un cœur d'or. Dans mon parcours du vin, il fait partie de ceux auxquels je dois beaucoup. Je ne suis pas le seul d'ailleurs. Avant le troisième millénaire, il a initié les Toulousains, amateurs ou professionnels, à ces vins naturels qui font désormais les délices bavards, clinquants, des petits commerçants déguisés en militants évoqués plus haut.
Je l'ai d'ailleurs connu sommelier, dans ce qui fut au début des années quatre-vingt-dix, à l'époque de "la fin de l'Histoire", le meilleur restaurant de Toulouse, au Pastel, chez Gérard Garrigues***. Un drôle de mélange, une allure parfois renfrognée, un cœur d'or. Dans mon parcours du vin, il fait partie de ceux auxquels je dois beaucoup. Je ne suis pas le seul d'ailleurs. Avant le troisième millénaire, il a initié les Toulousains, amateurs ou professionnels, à ces vins naturels qui font désormais les délices bavards, clinquants, des petits commerçants déguisés en militants évoqués plus haut.
Et c'est ainsi que, tout naturellement, en 2002, Éric Cuestas a ouvert Le Temps des Vendanges. Sur "l'autre" rive de Garonne, à Saint-Cyprien, sur cette place de l'Estrapade où sévissait encore un hussard bleu, dans ce quartier qui sans se forcer poussait encore sa corne d'Espagne.
On y a mangé, bu, vécu, on s'y est cogné aux voûtes de l'escalier le plus casse-gueule du Monde (surtout après cinq bouteilles). Et vendredi dernier, avec mon docteur, on y est revenu. Comme pour échapper au Toulouse factice des faiseurs et des fourreurs, des diseurs de mauvaises aventures. Comme on revient aux sources. Et Éric a fait son métier, tout simplement, sans surjouer, sans gimmicks de garçon-coiffeur ou de vendeur de blue-jeans, sans se regarder pédaler sur Facebook, en nous nourrissant et en nous abreuvant. Avec l'humilité qui le caractérise.
Alors évidemment, si vous avez le complexe du petit Toulousain (les grands sont au-dessus de ça…), si vous voulez qu'à coup de fleurettes et autres mensonges, on vous la fasse comme à Paris, qu'on vous la joue "piche", passez votre chemin, Le Temps des Vendanges n'est pas fait pour vous! On y mange de la magnifique charcuterie, du tartare, de la blanquette, du canard, du fromage (demandez-lui du cantal, c'est l'amour de sa vie!). La cuisine n'y parle pas pointu et ne se prend pas pour une autre, à coup de noms imaginaires.
Pour les vins, c'est pareil. Bien sûr, on y trouve des marques à la mode, à la différence près qu'elles étaient là bien avant la mode. On y trouve de tout d'ailleurs, à condition que ça provienne d'une agriculture respectueuse de la Terre et de l'Homme.
L'autre jour, on a lampé du gaillac (Plageoles mais pas que) et du bordeaux (Garonne est si proche…): au tirage au sort, c'est le gentil médoc un rien margalien des Closeries des Moussis qui a gagné contre l'excellent Tour-Haut-Caussan des amis Courrian**** qu'on boira la prochaine fois.
Je vais vous dire, ce déjeuner, je l'ai trouvé reposant, rassérénant aussi. Éclairé de cette tranquille assurance des gens qui ne font pas semblant, qui ne posent pas, qui connaissent leur affaire sur le bout des doigts.
Alors, comme je l'ai écrit par ailleurs, il ne s'agit pas seulement d'opposer, à la façon d'Humphrey Bogart, les professionnels et les cons (c'est ce qu'il disait pour le cinéma). C'est pas grave de se tromper, il faut bien débuter un jour, apprendre*****, et on aime bien parfois ces tâtonnements. Il ne s'agit pas non plus d'allumer des guerres de religions, il y en a assez comme ça au vaste pays des cons. L'intérêt est davantage de saluer ceux qui ont du background, ceux qui ont de la bouteille donc et qui du coup vous donnent envie d'en boire, ceux qui n'ont pas le vin bling-bling, le vin "vendeur de bagnole", arrogant et vulgaire.
Éric Cuestas n'a pas besoin d'en faire des tonnes. Parce qu'à l'image du cabaretier de Nicolas de Larmessin qui ouvre cette chronique, il est au dessus de ça: le vin, c'est son métier.
Alors, comme je l'ai écrit par ailleurs, il ne s'agit pas seulement d'opposer, à la façon d'Humphrey Bogart, les professionnels et les cons (c'est ce qu'il disait pour le cinéma). C'est pas grave de se tromper, il faut bien débuter un jour, apprendre*****, et on aime bien parfois ces tâtonnements. Il ne s'agit pas non plus d'allumer des guerres de religions, il y en a assez comme ça au vaste pays des cons. L'intérêt est davantage de saluer ceux qui ont du background, ceux qui ont de la bouteille donc et qui du coup vous donnent envie d'en boire, ceux qui n'ont pas le vin bling-bling, le vin "vendeur de bagnole", arrogant et vulgaire.
Éric Cuestas n'a pas besoin d'en faire des tonnes. Parce qu'à l'image du cabaretier de Nicolas de Larmessin qui ouvre cette chronique, il est au dessus de ça: le vin, c'est son métier.
* Francis Fukuyama avait d'abord publié un article en 1989, The End of History? puis ce livre, en 1992, La fin de l'Histoire et le dernier Homme.
** Ce "chez" mal à propos est évidemment utilisé à dessein. On ne va pas "chez" Leroy-Merlin, "chez" Leclerc ou "chez" Cultura, symboles de l'impersonnel, du standard, dévoreur d'Humanité.
*** Gérard, ce cher Gérard que nous devons tous aller visiter dans le merveilleux village de Castelnau-de-Montmiral, au sommet du vignoble gaillacois, où il a ouvert Le Ménagier. Par parenthèse, avec lui évidemment, contrairement à l'exemple des monstres ci-dessus, on dit "chez" Gérard Garrigues!
**** Lisez justement cette chronique, intitulée comme par hasard Vigneron de métier…
***** À condition bien sûr de vouloir apprendre, de ne pas croire qu'on a la science infuse, de réfuter aussi "la belle ignorance", celle que je raillais ici.
**** Lisez justement cette chronique, intitulée comme par hasard Vigneron de métier…
***** À condition bien sûr de vouloir apprendre, de ne pas croire qu'on a la science infuse, de réfuter aussi "la belle ignorance", celle que je raillais ici.
La Closerie des Moussis ! Laurence et Pascale ! Nos copines et adhérentes ! Bravo ! Youpi ! Si ce n'est déjà fait, essaie les bulles de Spoum ! Et avec Tour-Haut-Caussan, tu fais du 100% Oenocentre de Pauillac. Quelle belle vitrine que ton blog. Et une fois de plus, avec tes photo., j'ai faim. La blanquette a l'air appétissante.
RépondreSupprimerAh bon? Tu as décidément une belle "écurie" !
SupprimerEt après ça, les gens diront qu'on ne pas de médocs…
Du Sommelier Pur comme nous les aimons !
RépondreSupprimerPur et dur. Forgé à l'humilité contrairement aux débutants arrogants.
SupprimerLe ménagier qui fut un temps tout près de chez moi, à Vacquiers (le village du Fronton château de Plaisance).
RépondreSupprimerMerci merci ça fait plaisir d'avoir des nouvelles de cet endroit que j'avais visité il y a bien longtemps déjà pour le guide des Zinzins du zinc...Et vous savez si le Nabuchodonosor de Roland Castagné existe toujours ? Merci, à une prochaine :-) Egmont Labadie
RépondreSupprimerOn me dit que oui, mais à chaque fois que je passe rue du Coq-d'Inde, c'est fermé !
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