L'affaire du vrai-faux sancerre.


Voir "les choses qui sont cachées derrière les choses" comme dit Jean, le déserteur de Quai des brumes*, c'est une tâche à laquelle on doit s'atteler quand on choisit d'informer. Ainsi cette nouvelle tombée avant hier: "plus de cinq mille pieds de vigne arrachés à Sancerre". On ne parle pas de rien! Un plantier réduit à néant, au petit matin, sur la commune de Saint-Satur, une des quatorze qui composent la prestigieuse appellation du Cher.
Le Journal du Centre qui sort l'information nous apprend au passage qu'il ne s'agit pas de la première opération de ce type, même si celle-ci frappe par son ampleur. "Ce ne sont pas n’importe quels pieds de vigne qui subissent les assauts d’arracheurs que la brigade de gendarmerie de Sancerre doit maintenant identifier. Ils sont issus d’une parcelle destinée à la production de vins d’identification géographique protégée (IGP), c’est-à-dire l’antithèse de l’AOC Sancerre, garant de sa qualité depuis exactement quatre-vingts ans cette année en ce qui concerne le blanc et depuis 1959 pour le rouge. La tension est palpable, à flanc de coteau, entre les anti et les pro-IGP, qui ne font que mettre en œuvre le résultat d’une loi européenne entrée en vigueur, en France, le 1er janvier dernier."


Alors, la première réaction, sous le coup de la colère, à chaud, en découvrant pareil vandalisme, c'est évidemment l'indignation. Au-delà de l'acte délictueux, on pense au respect du travail, à la sueur de ceux qui avaient planté ces pieds de sauvignon. Car quelles que soient les motivations, la méthode est condamnable. On se dit que ceux qui se plaignent de la "concurrence déloyale" du roturier vin de pays au noble sancerre n'ont qu'à le faire meilleur, leur sancerre, plus authentique, plus "terroir" afin qu'on le distingue aisément d'un gentil IGP Val de Loire.


Et puis, donc, on essaye de voir "les choses qui sont cachées derrière les choses", ce qui a bien pu se passer derrière les volets clos des vieilles maisons de Sancerre. Et l'on comprend que ce n'est pas si simple.
Parce que vraiment, il y a un truc bizarre dans cette affaire. Pourquoi, quand on est vigneron de Sancerre, aller s'embêter à planter une parcelle à vin de pays dans une appellation si rémunératrice? "Peut-être, m'explique-t-on à l'oreille, parce que celui qui la plante sera dégagé des contraintes de taille, de rendements d'une l'AOC très contrôlée. Ainsi, il pourra, en faisant pisser la vigne, produire en quantité un jus de sauvignon qui ensuite, dans sa cave, par mégarde, se mélangera et (miracle de la "cuve à roulettes"…) deviendra du coûteux sancerre." Mon interlocuteur, forcément anonyme, me précise bien qu'il n'accuse personne, et surtout pas, évidemment, "le pauvre vigneron" dont on a arraché le plantier.


Toujours est-il que cette explication permet de comprendre davantage la "tension qui est palpable, à flanc de coteau" évoquée par Le Journal du Centre. On comprend également la position très ferme de l’Union viticole sancerroise "qui ne veut pas voir cohabiter sur son territoire les vins d’AOC avec ceux d'IGP issus des deux cépages sauvignon et pinot noir (ceux de l'AOC). Son président, Gilles Guillerault met en cause les pouvoirs publics qui, dit-il, n’ont “pas pris les mesures adéquates. Ce qui devait arriver, est malheureusement arrivé”.


On comprend, donc, les raisins de la colère mais, en même temps, pour conclure, on a envie de faire quelques petites remarques aux responsables viticoles sancerrois: ne faudrait-il pas être plus stricts? Contrôler davantage? Sans demander qu'ils atteignent le niveau d'expression des meilleurs, des Vacheron, des Vatan, des Cotat, tous les vins qui portent sur l'étiquette cette prestigieuse appellation sont-ils au niveau requis? Ne faudrait-il pas dégager ceux qui ne la méritent pas, trop faibles, trop dilués, trop insipides? Ne devrait-on pas revenir à l'esprit de 1936**, à l'esprit des fondateurs qui justement voulait lutter contre la fraude?




* C'est très exactement Jacques Prévert qui met ses mots dans la bouche de Jean Gabin.
** Date de la création de l'AOC Sancerre (blanc), au tout début de l'INAO.


Commentaires

  1. Triste méthode, certes, mais les règles sont les mêmes pour tout l'monde, non ?

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    1. C'est compliqué, puisque le viticulteur concerné a respecté les (nouvelles) règles. Mais visiblement, ces règles créent des inégalités de traitement. Dossier complexe.

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    2. Le plantier concerné était-il vraiment sur la zone classée Sancerre ? Cela semble être le cas mais en est-on vraiment sûr ? Quoiqu'il en soit, le syndicat des vignerons est parfaitement dans son rôle qui consiste à protéger l'intégrité de son appellation. Mais de là à saccager le travail d'un collègue...

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    3. Il faudrait imposer la plantation en IGP , des cépages autres que ceux de l'AOP.

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    4. pourriez vous m'expliquer la question des IGP svp.

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    5. On accuse certains de planter en IGP pour faire du "faux-sancerre" avec des rendements bien plus importants.

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  2. n'est on pas là dans une action de lutte contre les fraudes qui se profilent dans le sillage de la libéralisation des plantations ?
    on a longtemps discuté des moyens utilisés par la Résistance ,mais c'est la Résistance qui a eu raison ...
    Si l'abandon par l'Etat de toute forme de régulation des plantations avec les professionnels continue ,la situation va se détériorer!
    ce n'est pas suffisant de voir la crise généralisée de l'agriculture au bout de vingt cinq ans de dérégulation des marchés???

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