Harry, arrête avec tes gros calibres!


Oui, en voyant cette image culte de Dirty Harry, on pourrait parler des armes aux États-Unis. De ces types qui partent au supermarché ou à l'école enfouraillés comme des porte-avions, des drames qui s'ensuivent. Une vraie dinguerie américaine, un reliquat de l'époque du Far West, une maladie incurable?
L'obsession du flingue, voilà heureusement un pan de la culture US qui n'a pas fait de petits en Espagne. L'Espagne, sûrement un des pays européens les plus touchés par l'américolâtrie, les racines de cette affection sont anciennes; outre les liens historiques qui unissent intiment le royaume au nouveau Monde, on peut considérer qu'elle remontent au franquisme, quand il s'est agi de faire sortir le pays de la misère dans laquelle l'avaient plongé la Guerre civile puis la dictature et l'isolement. Cette admiration béate, qui confine souvent à la soumission culturelle, on l'observe dans de nombreux domaines; ça va de l'organisation agricole, productiviste, industrielle et monsantiste au simple fait d'allumer un téléviseur et de constater la suffocante omniprésence des productions hollywoodiennes bas-de-gamme, en passant par le record d'Europe de consommation de Caca-Cola. Jusque dans les provinces où le régionalisme fait rage, comme en Catalogne, on parle beaucoup de langue, mais peu d'une identité fortement rongée par le culte de l'American Way of Life.


Dans le vin, évidemment, cette américanisation des pensées a fait des ravages. Plus qu'ailleurs, la parkérisation a frappé, donnant naissance à des caricatures dont on allait jusqu'à afficher les notes sur l'étiquette. Culte de la lourdeur, de l'imbuvable, de la pipe-à-Pinocchio, de la gomme arabique. Dans le genre, le rioja ci-dessus, quintessence de la confiture boisée, demeure un must. Mais outre ses 100/100, son propriétaire, Benjamín Romeo, dispose désormais d'un nouveau motif de fierté qui fait la Une des journaux locaux, l'inspecteur Harry est fan de son jus de planche. ¡Mira! ¡Mira! Il a même la photo qui fait se pâmer les apôtres du canon ibérique…


Malgré tout le respect que j'ai pour le grand âge de Clint Eastwood, je me permets pourtant de lui indiquer que le monde a changé. L'Amérique bien sûr, ce qu'en bon républicain, il feint d'ignorer*, l'Espagne aussi: on n'y produit plus seulement des vins de cow-boy comme ce Predicador. Même Parker a un peu changé son fusil d'épaule, c'est dire…
Les riojas, à l'image de ceux d'Olivier Rivière, ont renoué avec l'élégance d'antan et dans pas mal de régions, on se régale depuis quelques années de vins de viñerons, qui ne ressentent plus le besoin de maquiller leurs jus comme des voitures de gitans**. Tenez, pas plus tard qu'hier soir, cette rencontre avec Juan González Arjones, autour d'une joyeuse tablée de boit-sans-soifs, dans ce Gresca barcelonais où, une fois de plus, Rafa Peña et son boy's band, encastrés (0,70 m2/personne…) dans leur cuisine de poche, nous ont donné du bonheur à l'assiette.


En face de moi, donc, à table, Juan González Arjones. Ce gamin turbulent, vivant, est installé en Galice, au bord du Miño, ce fleuve qui dans ces soixante-seize derniers kilomètres marque la frontière entre l'Espagne et le Portugal. Ses vignes, plantées à hors appellation, à Crecente sont donc plus que soumises à l'influence océanique (elles se trouvent à une quarantaine de kilomètres de l'Atlantique). Nous sommes en fait en Condado de Tea, une zone traditionnelle de blancs, là où l'on produit la boisson favorite des marisquerías espagnoles, le rías-baixas, un truc généralement techno, exubérant que j'ai plus tendance à fuir qu'autre chose***. Regardez, je vous ai photographié la carte, que vous compreniez où l'on est exactement. C'est vers là, à la pointe du crayon.


Pour autant, dans ce creuset de la viticulture occidentale de la péninsule qu'est la vallée du Miño, ce n'est pas du rías-baixas que produit Juan González Arjones (ci-dessous). Certes, l'appellation comporte quelques rouges, mais la bureaucratie pinardière ne me semble pas vraiment la tasse de thé de ce vigneron Dj qui a une vision plus paysanne du vin.  Son As Furnias, il le fait comme il l'entend, sa façon de vinifier a d'ailleurs évolué depuis 2010 et les premiers jus que nous avons goûté de lui (grâce à Fredi Torres).


As Furnias 2014, mis en bouteille fin septembre, est encore dans sa jeunesse****, avec quelques angles qui le rapprochent davantage d'un beau cabernet de Loire, ou d'un braucol, que d'une carbo mollassonne pour garçon-coiffeur. C'est un rouge avec tanins, un vrai rouge, pas une tisane, un rouge pour manger dont la longue finale, pour le coup, m'évoque cette "minéralité" dont je riais hier, celle de la mine de crayon, du graphite, voire de l'encre. "Atramentaire", vous savez comme j'aime ce mot.
Pour ce qui est de l'encépagement, les ampélographes et les amateurs de variétés autochtones, galiciennes ou portugaises, vont se régaler: dans la bouteille, il y a du brancellao (ou albarello), du caiño longo, du caiño da terra (inconnu au bataillon, même Galet est muet), du sousón, de l'espadeiro, du carabuñeira (là aussi, Galet fait l'impasse…) et une pointe de touriga nacional, tous ou presque (une parcelle de graves) plantés sur granite. L'ensemble est vinifié simplement, en levures autochtones, élevé douze mois sans bois, peu sulfité, mais suffisamment pour que ça reste du vin.


L'idée a pris à quelqu'un, Rafa, je crois, d'ouvrir en même temps un trousseau du Jura. Pourquoi pas d'ailleurs, dans cette Galice fortement marquée dans son ADN ampélographique par ce cousinage (lire ici, ici ou ici). Le pauvre rouge du Domaine Pignier (pauvre je crois aussi à cause d'un millésime pas drôle) a explosé en vol, tant il semblait court, absent, aqueux face à l'As Furnias. Difficile de croire que le Franc-Comtois coûtait deux fois plus cher (sur les traces de la Bourgogne, le rapport plaisir/prix du Jura de toute façon décroît de jour en jour) que le Galicien.
Parce que ça aussi, il faut en parler. As Furnias, c'est pas cher. Malgré l'énorme travail viticole qu'impose la région, faire des vins que "ses copains peuvent se payer", "pour boire", ça fait partie de la philosophie de Juan González Arjones. "No hay que ser rico para ser feliz" m'a-t-il lancé en trinquant, "pas besoin d'être riche pour être heureux", ce qui nous éloigne convenez-en, de l'American Way of Life évoquée plus haut, et de ceux qui comme les copains d'Harry flinguent le raisin au 44 magnum.
Pour résumer, ce qu'il y a dans le verre ressemble au type: sincère. Je crois en fait que Juan fait le vin qu'il rêvait de boire sur les soupes de sa mère. Nous, il nous a fait le repas, à la régalade. Y compris sur le poisson où il triomphait. J'ai vraiment envie de revenir en Galice, sur ces côtes qui font face à l'Amérique dans chercher à la singer.




* On se souvient de sa désastreuse intrusion dans la politique américaine, avec son calamiteux discours à une chaise vide lors de la convention républicaine.
** De ce côté-ci des Pyrénées, on dit comme une présentatrice de Salvame
*** Notamment ceux issus d'albariño, cépage qui tariquète souvent et avec lequel j'ai beaucoup de mal.
**** En plus, ça vieillit superbement, comme ce 2010 bu hier soir qui faisait penser aux saumurs de Foucault.







Commentaires

  1. Bonjour Vincent,
    Un grand merci pour cette découverte, on essaiera de goûter ça bientôt, si on arrive à en trouver quelque part !
    Et encore une fois vive la Galice,
    Allez-y, c'est beau et c'est bon !

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    1. Oui, je crains qu'en France, comme toujours, ce soit compliqué. Il faudra passer les Pyrénées. Ou la Manche.

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    2. Hé bien tant pis, nous y retournerons.
      Ça n'est pas la pire des punition, loin de la.

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