Vive le mariage pour tous !


Allons, on ne va pas jouer les danseuses! Il nous arrive plus souvent qu'à notre tour de boire comme des reîtres. À grosses gorgées. Quand le sang de la terre, d'un flot épais, vient cogner des verres dont les parois s'entrechoquent. Sans la bacchanale, le vin n'existe pas. N'est-il que ça? Je ne crois pas.
Parfois, la délicatesse, la soif de découvrir… La sensation enivrante de cette immensité inconnue qui s'offre à nous alors que nous allons déboucher une bouteille; tant de continents à explorer, et nous si petits. Cet infini du vin, exaltant avec ses galaxies de parfums et de goûts, ses touchés, ses sensations, verse encore dans d'autres dimensions quand intervient le mariage liquide/solide.


Oui, les accords met/vin, je sais, c'est ringard. Plus encore si l'on cherche à comprendre, à apprendre, à vaincre l'ignorance*. Il est vrai qu'entre la planche de saucisse sèche**, celle de fromage, que les coûts de personnel ont imposées aux bistrots français et la cuisine techno-chimique de trop de cuistots astronomiques, les crus distingués ont parfois du mal à trouver leur place à table. C'est même plutôt la prime à la brutalité, parfois même à la caricature.
Pourtant, au-delà des ukases des marchands de fringues pinardiers et de leur cohorte de mondainvineux, et même s'il existe de gros ratés***, le mariage, ça marche. Très bien, même. Parfois, parce que l'un fait la courte échelle à l'autre, et que finalement la combinaison des deux devient enthousiasmante, c'est par exemple que ce que j'avais raconté à propos de ce rouge sud-africain un peu faiblard, un peu tordu, dopé par un poulet aux cèpes. Il y a également ces unions "contre-nature", fondées sur l'alchimie du contraste, où excellent les liquoreux et les oxydatifs. Et puis, magie de la sommellerie, intervient "l'accord parfait", entre deux caractères forts, celui qui tombe sous le sens, et qu'on ne songe qu'à recréer.


Samedi dernier, avant cette finale de rêve, nous en avons connu deux dans le même repas (ce qui frise le pot de cocu). 
D'abord sur un comparatif de crevettes, des rouges évidemment, pas des trucs de pisciculture industrielle du Tiers-Monde, façon Métro. Dans l'assiette, il y avait des gambas de Vilanova (entre gambitas et moyennes pour le calibre), des Palamós (énormes) et des carabineros de Dénia. Pour ceux qui n'auraient pas suivi les épisodes précédents sur ce produit parfois galvaudé mais qui demeure l'Everest de la gastronomie espagnole, vous trouvez une mise à niveau ici. Comme on n'est ni des touristes, ni au restaurant, on a évidemment droit à une certaine quantité, pas la gamba solitaire flottant au milieu d'une grande assiette vide, ça permet de confronter les vins. À priori, le cru choisi pour le plat, c'est le grand Blanc de blancs 1985 de Vaquer. Et c'est vrai, l'accord est beau, d'un classicisme parfait. Il se trouve en revanche qu'il nous reste de l'apéritif du jurançon sec. Sec, mais tendre, dans le "style Monein" évoqué ici, un 2012 Sec dé Prat du Domaine Guirardel. Eh bien, même si sur le papier je n'y croyais pas, avec les Palamós (les gagnantes du jour), c'est juste sublime. Encore au-dessus de ce que j'avais connu avec un vieux perrières de Roulot. Idéal.


Derrière les gambas, c'est un cerf qui sonne à la grille du parc. Viande noble, cuisson noble, en deux temps (on laisse le sous-vide à basse-température, avec sonde, aux cantiniers industriels). Le jus est juste agrémenté de quelques échalotes du jardin, d'un verre d'un mourvèdre des Albères trop piqué pour boire mais impeccable à la marmite et de généreux tours de moulin du remarquable poivre malgache de Sacré Français, la marque de Benoît Aube à Bordeaux. Beau coup de fusil (merci au frère du docteur), magnifique pièce, fondante. Une couronne de trompettes-de-la-mort du Montseny célèbre la mémoire du cerf.


L'idée, c'est d'envoyer par dessus un pinot noir. Risqué, parce que là, il faut du sérieux, pas de l'agace-cul pour buveurs d'infusions, le gibier, surtout maturé, ça demande en plus de l'agilité une certaine présence physique, une peu à l'image de ce que les Blacks nous montreront quelques heures plus tard. En Bourgogne, ce genre d'exercice est désormais réservé aux millionnaires, le vin nous éloigne d'ailleurs de la côte-de-nuits dont il aurait pu être un fleuron d'une grande année et nous ramène au rugby. Pinot wallaby. Une nouveauté venue du trou-du-cul-du-Monde. remarquez, en Australie, le trou-du-cul-du-Monde, c'est facile à trouver.
Hochkirch, Steinbruch 2010, non, non, contrairement à ce que laisse penser l'étiquette, ce n'est pas autrichien. Ce pinot à la robe un peu trouble, parfaitement mûr malgré ses douze degrés et demi, aux arômes et à la texture envoûtants, est né au pied des Grampians, entre Melbourne et Adélaïde, dans ce qu'on appelle le far south-west autralien****. Pour lui, la douce puissance du cerf est une partie de plaisir. Pour nous aussi. Vive le mariage pour tous! Pour le pinot, le cerf, la gamba et le jurançon. Tant que c'est par amour…



* Cet espèce de culte de l'ignorance, entre bling-bling et brutalités à la mode, je l'avais évoqué en début d'année dans cette chronique qui demeure une de mes préférées sur ce blog.
** De préférence d'une marque autorisée à Paris.
*** J'en avais raconté un extraordinaire ici, un divorce parfait.
**** Vinifié à Tarrington, par John Nagorcka, je ne pense pas qu'il soit très facile à trouver en France, bonnet d'âne historique de l'importation de bons vins étrangers. Cette bouteille venait de . Elle aurait aussi pu faire fureur sur les livres d'Aragon qui pullulent ces temps-ci à la Boqueria, et qui plaisaient tant au Docteur…




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