Le vin "nature", pire ennemi de la Nature?


Là, dans la ville où j'habite, le réchauffement climatique n'est pas une notion abstraite. Regardez la carte ci-dessus*, avec une augmentation de 4°C des températures moyennes de la planète, Barcelone serait amputée de tout son front de mer, de ses plages, de son port, et la Barceloneta, encerclée par les eaux, deviendrait un île probablement inhabitable. De nombreuses autres cités connaîtraient des sorts encore moins enviables. Pour rester près de chez nous, je pense à Bordeaux, Londres, Narbonne où des quartiers entiers seraient engloutis. Plus loin, il y a aussi New-York, Bombay, Shanghaï, Hong-Kong… Et encore, comme le rappelle Le Monde, ce ne sont que des "soucis de riches", dans les pays pauvres, les conséquences seraient encore plus dramatiques. Sans compter que les dérèglements n'affecteront pas que la montée des eaux.


Alors que l'ONU a annoncé aujourd'hui que nous avions battu un nouveau record d'émission de gaz à effet de serre en 2014, changer les choses reste possible. Impossible d'incriminer le voisin ou se réfugier derrière la responsabilité des hommes politiques. Les décisions appartiennent à chacun d'entre nous. Le problème, c'est qu'il va falloir toucher à notre confort, et donc surpasser nos égoïsmes. On parle de gestes de tous les jours: moins appuyer sur le champignon, éviter les déplacement inutiles, le billet d'avion de trop, consommer local, baisser le chauffage l'hiver (respectons enfin les 19°C!) et bien davantage la climatisation l'été.

La climatisation, fléau moderne, auquel nous sacrifions de plus en plus. Je suis moi-même en train d'achever des plans où quelques panneaux solaires n'effacent pas la honte de dessiner l'installation d'un conditionneur d'air. Un fléau vorace en énergie, rendu parfois indispensable à cause de choix architecturaux désastreux. Tenez, par exemple, quand vous voyez un maestro du bâtiment construire une tour de verre sous les tropiques ou au bord de la Méditerranée, ça ne vous fait pas mal à la planète? Savez vous que dans une ville comme Hong-Kong, l'air conditionné représente le tiers de la facture électrique globale?

Ça m'amène à un problème qui concerne nombre d'entre nous, chers lecteurs, la conservation de nos chères bouteilles. C'est bien connu, elles n'aiment pas la chaleur, et plus on vit au Sud (dans l'hémisphère Nord), plus il faut les protéger. Du coup, le vin, de victime des changements climatiques en cours**, en devient partiellement responsable. Pour lui, pour son "confort", on utilise de plus en plus d'armoires de stockage ou de conservation à la consommation importante.


On arrive même à un surprenant paradoxe: plus le vin se veut "propre", "nature", plus il est "sale". Uniquement bien sûr si l'on se place du point de vue de son empreinte CO2, et de l'émission de gaz à effet de serre.
Pas à la vigne où, malgré une légende tenace, on a bien du mal à prouver que l'agriculture bio, à cause d'une productivité plus faible, émet davantage de gaz à effet de serre que l'agriculture conventionnelle***, certaines études vont plutôt désormais dans le sens contraire. Il va de toute façon de soi qu'un éventuel surcoût écologique du bio serait à mon sens contre-balancé par d'autres bienfaits pour la Terre. Je pense en priorité à la baisse considérable de la pollution de l'eau.


Non, c'est bien en cave que se pose le problème, et il ne concerne que les vins "nature", pas les vins bio qui, comme la plupart des autres vins, supportent des montées jusqu'à vingt, vingt-cinq degrés**** sans trop perdre de leurs qualités. Selon tous les spécialistes du genre, ces vins non stabilisés, éminemment fragiles, doivent impérativement être conservés à une température inférieure à 14°C (si l'on s'en tient au chiffre mis en avant par feu Marcel Lapierre) sous peine de partir en vrille.
Et c'est là que le bât blesse. Garder nos vins à 14°C, cela implique une multiplication des armoires de stockage réfrigérées mais aussi de système de conditionnement d'air de plus en plus massifs dans les chais, les restaurants et les boutiques. Tout cela est évidemment terriblement énergivore et donc terriblement polluant. Et aboutit donc à cet étonnant paradoxe qui fait du vin "nature" un des pires ennemis de la Nature. Cela doit-il nous empêcher d'en boire? Je ne crois pas, il y a d'autres "gisements d'économie", mais il est intéressant de mesurer de la conséquence de chacune de nos décisions quotidiennes.



* Des cartes ainsi que des simulations photographiques créées par l'institut de recherche américain Climate Central et consultables ici.
** Des grenaches à Bordeaux, des syrah en Bourgogne, des cabernets en Angleterre, des pinots en Belgique et des riesling en Suède, ce n'est plus tout à fait de l'œno-fiction. Lisez cet autre papier du Monde.
*** Cette légende rurale vient du fait qu'en années difficiles, il semble que les vignerons bio traitent parfois plus souvent que les conventionnels; cependant, ce présupposé n'est corroboré par aucune étude, aucun chiffre. N'oublions pas en revanche qu'au niveau mondial, l'agriculture pèse 24% des émission de gaz à effet de serre.
**** À condition qu'il ne s'agisse pas de montées brutales et que les variations ne soit pas quotidiennes, ce qui les use prématurément.





Commentaires

  1. Franchement, le raisonnement est un peu tiré par les cheveux... Le vin, soufré ou non, commence à souffrir passé une vingtaine de degrés, on ne me fera pas croire le contraire (expériences à l'appui). Et pour appréhender le coût écologique d'une filière donnée, il faudrait tout considérer, jusqu'au mode de production. Ce n'est pas dans les caves des vignerons affiliés 'naturels' que l'on croise les gros équipements de thermorégulation, lourdement énergivores. Et quid de l'impact énergétique de l'industrie de production d'anhydride sulfureux ? L'assertion, en bref, ne me semble guère pertinente..

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    1. Je veux bien tout entendre, Raphaël, mais j'ai un peu de mal à prendre Jules Chauvet ou Marcel Lapierre pour des idiots. Ces 14°C., ils ne sont pas sortis du chapeau, mais viennent d'eux. Pour info, le site actuel des héritiers de Marcel Lapierre continue de bien faire le distinguo entre les vins "nature" qu'ils réservent aux clients pouvant les conservant à moins de 14°C. et les autres qui ne disposent pas de cave auxquels ils vendent un vin sulfité: http://www.marcel-lapierre.com/#/vin_naturel
      Pour ce qui est de l'impact de la production des quelques milligrammes par litre de SO2 que contiennent les vins sulfités, je pense que là, pour le coup, on peut parler d'incidence quasi-nulle. La thermorégulation, il y en a aussi chez des vignerons "nature" (souvent les meilleurs), mais rappelons que ça ne concerne qu'un court moment de la vie du vin, pas son long stockage.

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    2. On ne s'est pas compris Vincent... Je voulais dire : le vin en général, même cadré par une large portion de sulfites, peine passé une vingtaine de degrés. Et bien heureusement, on n'a pas attendu le sur-engouement actuel pour le vin naturel pour équiper particuliers et professionnels avec des solutions ad hoc de conservation (à défaut de cave naturelle chez soi, ce qui est plutôt fréquent). Eurocave se targue sur son site d'une quarantaine d'années d'expérience, je ne crois pas que le succès de l'entreprise procède strictement des aficionados du naturel.... Pour le reste, bien évidemment que l'argument de la thermo est trivial, je force volontairement le trait, comme vous l'avez fait sur ce billet ! Bref, bien le bonjour des alpes et au plaisir de vous voir autour d'un verre

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