Le vade mecum de l'acheteur de picrate.


Ça y est, les cartables invendus sont envoyés à la casse ou chez les soldeurs. Les fournitures scolaires, c'est plié! Il faut faire de la place dans les rayons, et comme les vendanges approchent*, collons à l'actu, coco, on va vendre du pinard. Vous l'avez compris, c'est de ces fameux vins foireux dont je parle, des vins de foire, de ceux qu'on achète au pousse-caddie. Les boîtes-à-lettres (pas ici en Espagne, ouf…) vont se remplir d'épais catalogues en quadrichromie qui permettront de poursuivre l'éducation esthétique des masses tandis qu'à la télé, à la radio, dans la Presse, en photocopiant plus qu'en enquêtant, on va assister à un véritable bombardement informatif, une escadrille d'experts** va nous expliquer comment réaliser l'affaire du siècle, comment dégoter sous les néons la bouteille qui va faire de vous le Bébert Parker Sr des prochains repas de famille***. Du coup, marronnier pour marronnier, m'est venue l'idée de torcher vite fait bien fait un petit vade mecum de l'acheteur de picrate.


Comme le veut la "déontologie journalistique", commençons par le pousse-caddie. Puisque, soyons francs, c'est là que ça se passe: 85% du vin vendu en France, pays de la Pieuvre de la distribution, grâce notamment à des putains politiques qui se feraient gerber, pour amoralité, de n'importe quel bordel.
Si vous supportez cette ambiance (qui personnellement me donne des spasmes), vous y trouverez des bordeaux de grande série, généralement vendus moins chers que deux plus tôt, au moment de la mascarade des primeurs, mais conservés on ne sait où. Attention, là, je parle de quelques crus classés et assimilés, pour les bons petits bordeaux, ceux dont on se régale, il faudra voir ailleurs; en GD, dans cette catégorie-là, on se concentre sur le six au prix de cinq. La règle s'applique également aux champagnes industriels, vous savez, ceux que boivent les Russes sur la Côte.


Pour le reste du Monde, passez votre chemin. Sachez que si d'aventure, vous trouviez au pousse-caddie un vin artisanal, il sera forcément plus cher qu'au domaine ou que chez un caviste. Pourquoi? Tout simplement parce que ces vins-là ne sont sur les catalogues (et éventuellement en rayon) que pour servir d'attrape-couillons. Le distributeur se l'est en général procuré en seconde main, par des moyens détournés, via des intermédiaires filous, donc, sauf à être vendu à la limite de la perte, vous devrez payer le prix de cette double transaction. Pour ne rien vous cacher, je suis allé faire l'espion il y a quelques jours à Carcassonne, dans un entrepôt Leclerc, s'y trouvaient bien en évidencequelques bouteilles de mon copain Michel Escande de Borie de Maurel: il y en avait peu mais elles étaient vendues entre 25 et 35% plus cher que dans le réseau normal. En revanche, si j'étais cruel, je vous donnerais le nom d'un gros faiseur des environs, "grand ami des cavistes", dont les nombreuses bouteilles présentes juste à côté étaient affichées pile-poil au tarif-caveau…
Bref, sachez-le, en GD, le vin de vigneron, le vin haute-couture, le vrai, pas celui des tricheurs, vous le payerez toujours plus cher que chez le caviste.


Si l'on est citadin et si l'on excepte la visite au domaine ou la VPC****, l'autre façon d'acheter du vin de vigneron coule de source: il suffit d'aller pousser la porte d'un caviste, voire même d'aller lui serrer la main. Entre ça et le pousse-caddie, vous savez où mon cœur balance. Même, soyons lucides, si les cavistes ne sont pas exempts de reproches.
Laissons de côté la catégorie des imposteurs; il y a six mois, ils bricolaient dans l'immobilier, dans un an, ils vendront des pizzas surgelées; le vin, ils ont lu quelque part que c'était un bon créneau mais s'en tapent comme de leur premier bilan. Oublions-les…
Je suis moins indulgent en revanche avec les directeurs de conscience, les commissaires politiques, bref, ceux qui jugent et méprisent la façon de boire du client à l'aune de leur idéologie pinardière, idéologie souvent aussi succincte que brouillonne. S'ajoute en général chez ces oiseaux-là un petit côté "marchand de fringues" qui leur fait conspuer avec véhémence ce qu'il adoraient deux vendanges auparavant. Une version liquide de l'obsolescence programmée…


À l'opposé de ces demi-mondainvineux (qui à mon sens précipitent la jeunesse dans les bras des brasseurs et des alcooliers), l'archétype du caviste que je vous conseille saura faire preuve d'ouverture d'esprit. Ne serait-ce parce que lui, de l'esprit, il en a. Cette qualité majeure se manifestera bien évidemment par la diversité des crus qu'il vous proposera de rapporter à la maison. Chez lui, pas de total-look, (il laisse ça aux fashionistas excités sus-cité), mais souvent des bouteilles qu'on ne voit pas ailleurs, vieilleries ou trouvailles qui prouvent juste qu'il est curieux, qu'il fait son métier au lieu de suivre comme un mouton les diktats de la mode.
De cette catégorie de cavistes, je vous donne deux exemples, dans la Capitale, histoire de faire plaisir à mes amis parisiens qui en ont marre de servir de têtes-de-Turcs. Deux cavistes, deux types de Gauche, peut-être parce que la Gauche, ça devient aussi rare que le caviar sauvage, surtout en ce jour où l'on a eu la confirmation que le gros mou était surtout un petit enculé.
Le premier, c'est un Aveyronnais, ce qui dans le pinard ne fait pas tache. Philippe Cuq (ci-dessus photographié par l'angevin Jérôme Paressant) que j'ai croisé avant qu'il n'embrasse cette noble carrière. Il a ouvert Le Lieu du Vin, à deux pas du Père Lachaise et n'est pas responsable des tags qui ornent son rideau de fer. Par rapport à ce que j'écrivais plus haut, je me contenterai d'ajouter qu'il est capable de prendre autant de plaisir à goûter l'étoffe du fronsac de Dany Rolland (il a bien raison!) que de se régaler des jus frétillants de Jeff Coutelou (bis!). En plus, il aime le braucol, pardon, le mansoi…


Le second, c'est un Républicain espagnol. Dans ses veines coule un peu du sang du Levante. Paco Mora, le tenancier de la Cave d'Ivry, dans la cité éponyme, cité que je ne pense pas avoir visitée depuis une courte nuit d'amour sur canapé consécutive à France-Écosse 1987. Je connais donc pas son bouclard, mais je sais ce qu'il boit. Et ce qu'il vend. Pas que des macérations carboniques simplettes, "pas que des vins de bobo" serais-je tenté d'écrire si je ne craignais les foudres de la police de la pensée pinardière, foudres au moins aussi ravageuses (en apparence) que la grêle qui a fait pleurer tant d'amis vignerons cet été.
Alors, chez ces deux-là, et pas mal d'autres, bonnes foires aux vins. Et tenez-vous à l'abri des caddies…







* En fait, je viens d'apprendre que les vendanges 2015 étaient déjà terminées dans certains endroits, comme à Calce, en Pyrénées-Orientales. Les rouges, hein?…
** Je ne vais pas me moquer, il m'arrive d'en être mais pour dire de ne pas aller au pousse-caddie, ce qui fait toujours son effet…
*** Je vous recommande, à propos des Français et du vin, le sondage que le magazine Terre de Vins s'est offert pour le cinquième anniversaire de sa renaissance et où l'on apprend que, désormais, nos compatriotes avouent qu'il n'y connaissent plus rien. Tenez, c'est ici.
**** Il existe, en dehors des escroqueries connues, style 1855.com, et de trop nombreux guignols amateurs, de sérieux vendeurs par correspondance. Un exemple: vins-étonnants.com, allez y sans crainte pour votre foire aux vins pas foireux!




Commentaires

  1. Parmi les cavistes merdiques, tu oublies les cavistes snobs qui ne vendent pas de vins issus de coops parce que ça sent un peu trop le pauvre. C'est une réalité assez odieuse.

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    1. Dans certains cas, j'arrive à les comprendre. Ce que j'ai vu de l'amour du vin et de la terre dans une coopérative m'a donné envie de ne plus en boire.

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    2. Tu bois de la terre, Vincent? Ses damnés, alors.

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    3. Bien sûr que j'en bois, Luc, au travers du vin! Et, malheureusement, je sais quelle terre je n'ai plus envie de boire, celle, polluée, viciée, cadavérique, de ceux qui refusent de voir le sens de l'Histoire et, au contraire, se font une gloire de filer à contre-courant.
      Cela étant, de la terre, j'en ai déjà mangé. Je ne parle pas de celle que l'on avale, gamin, en jouant au ballon; c'était au nord du Médoc, il y a longtemps; un vieil homme un peu simple mais prénommé Virgile m'avait fait comprendre que ce terre terre de Queyrac, noire, il fallait que je la goûte afin de mieux comprendre le vin qu'elle produisait. Je l'ai fait, sur le coup, je n'ai rien compris de plus si ce n'est que cette terre lui était précieuse.

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    4. Ouaip, et je parie même que tu étais couché sous un arbre, du genre: "Tityre tu patulae, recubans sub tegmine fagi ...". Qui était ta douce Amaryllis?
      Sans déconner, j'avais été invité chez les frères Roca en 2007 par un ami qui y fêtait ses 50 ans. On avait formidablement bien mangé (si si) et encore mieux bu. Mais, un entremets ne m'avait pas convaincu: il s'agissait d'une huître de Méditerranée (assez salée donc) montée en gelée avec sa propre eau (erreur) à laquelle on avait ajouté de la ... poussière de schiste (xisto). Pour rayer l'émail des dents ou niquer la céramique des prothèses, je suppose. Moi, quand je prépare les pectens pour Christine, qui en raffole, j'essaie qu'ils ne contiennent plus de sable!

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  2. Fronton s'anime un peu sur les blancs secs et moelleux. Cela part encore un peu dans tous les sens et ce Roc blanc 2013 (chardonnay, sémillon, muscadelle, viognier) est savoureux, marqué par l'acidité du millésime.

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  3. A propos de "Roc Blanc", le mien (première sortie de cette cuvée initiée en 2011 sur le lieu-dit du même nom) provient d'un schiste implacable sur la hauteur entre Estagel et Montner (une tonne de raisins par ha, impossible d'en obtenir plus !!!!). Il associe 70 % de grenache (et lladoner pelut) à 30 % de carignan, le tout planté en 1987. Il faut que tu le dégustes, Vincent. Ah oui, Madame Hachette l'a retenu dans son guide cette année. Voir http://coumemajou.jimdo.com/2014/09/04/hachette-2015-c-est-le-roc-blanc/.

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