20 sur Vin !


Tous les amateurs de vin un rien chevronnés le savent: les bouteilles, quelles qu'elles soient, offrent souvent de grands plaisirs mais parfois d'immenses déceptions. Quand (c'est le pire!), elles ne suscitent pas l'indifférence. Le vin n'est pas une science exacte. Cela vaut pour les "petits vins" (qui est la dénomination académico-commerciale du vin pas cher) mais aussi et surtout pour les grands crus et assimilés où la déception œnologique se mêle, vue la hausse de la bourse pinardière depuis vingt ans, à la désagréable sensation d'avoir jeté son argent par les fenêtres et de s'être fait rouler dans la farine.


Dans ces mauvais moments, répétons-le, le vin n'est toujours pas le seul en cause. Certes, il peut pâtir de la lune, du vent, de la pression atmosphérique, du transport, de sa conservation, de sa température de service… mais nous aussi pouvons nous trouver dans un mauvais jour. Là encore, à cause du vent, de la pression atmosphérique, de la lune, etc ou tout simplement parce que la conversation de notre voisin(e) de table nous les brise menues, où qu'il(elle) pue le sent-bon de synthèse.


La déception peut naître aussi du fait que l'on avait par rapport à tel ou tel vin une attente démesurée. C'est le double-tranchant du marketing, actif ou passif, celui de la pub ou du publi-reportage, qui fait rêver le néophyte mais qui souvent tente de faire passer des vessies pour des lanternes. Malheureusement, ça ne marche que jusqu'au moment où l'on se retrouve face à la réalité, bien après l'acte d'achat, au moment de consommer le produit.


Demeurent à l'abri (heureux les pauvres en esprit…), les buveurs d'étiquettes. Pour eux, évidemment, c'est forcément bon: il ne lampent pas du vin mais dégustent des noms, des images, un statut. Leur snobisme leur interdit donc de remettre en cause "l'Ordre établi"*. Pour les autres qui, comme mes amis ou moi, préfèrent découvrir les crus à l'aveugle, c'est un poil différent. Quand le Roi est nu, il est nu. Vraiment.


Et puis, heureusement, il y a les instants de grâce. Les amateurs de tauromachie ou de flamenco connaissent ça. El duende. Tout s'emboîte parfaitement? la mer s'ouvre devant Moïse, des pétales de roses tombent du ciel: non seulement ce que vous avez dans le verre est superbe, mais en plus ça vous procure une jouissance inouïe, phénomène encore plus rare, une jouissance partagée par les autres convives. Bref, 20 sur Vin au tableau noir!


Cet instant de grâce autour du vin, il m'a semblé en vivre un le week-end dernier, autour d'un repas (vous aurez un aperçu du menu en bas de la page) et des deux qui ont suivi. L'ambiance était là bien sûr, pour fêter la rentrée, les amis aussi, mais pas seulement. Nous avons eu droit à une étonnante série de grandes bouteilles, très différentes les une des autres, mais qui chacune à leur façon nous a délivré un message pur et clair.


En attendant que l'avion des derniers convives se pose au Prat (le ciel de la mer des Baléares était orageux), nous nous sommes juste agacés avec un rassérénant mauzac vert 2012 de Plageoles et un mousseux espagnol, Tres Lustros de la maison Gramona,  une grosse fabrique dont je ne suis pas fan, mais ce 2005 était très correct, pas lourd, un peu moins intéressant cependant que le Celler Battle GR 2001 goûté une semaine plus tôt.


Pour ce qui est de cette étonnante série, la voici, dans le désordre.
Jacques Selosse, Blanc de Blancs, champagne (dégorgé le 19 septembre 2003): ah, cette pointe élégamment oxydative, rassie, qui m'évoque irrésistiblement la chère et tendre Joséphine limouxine. Un mariage de rêve avec l'Ibérico de bellota lustré aux œufs de caille. Selosse sera toujours Selosse, ce n'est qu'une confirmation, nous nous en étions déjà rendu compte dix jours auparavant à Roquetaillade alors qu'un autre vieux vin de cette belle maison avait étrillé un frétillant Fidèle de Vouette & Sorbée et sérieusement bougé une DeMarne-Frison dont les amers rêches sentaient la sous-maturité.
Jo Landron, Le Fief du Breil, muscadet-de-sèvre-et-maine 2006: qu'il est agréable de boire de grands bourgognes blancs alors que s'approche avec majesté leur apogée… "Ah, quoi? Ce n'est pas du chardonnay? Quoi? C'est un melon de Bourgogne? Du Muscadet? Non…"
Equipo Navazos N°20 Bota Punta, manzanilla pasada: oui, c'est immense, à la fois tendu et ample, d'une incroyable richesse et tellement facile à boire. De la noisette, de la figue, du cèdre, tout est là, de façon majuscule. Époustouflant! Eh, les Andalous, vous le faites en magnum plutôt qu'en mignonnettes?


Jose Luis Mateo, prueba de variedades ancestrales 2010, vin de Galice non agréé (échantillon): un OVNI, issu de très vieilles vignes, parfois non répertoriées, des montagnes pentues qui entourent Verín (j'avais évoqué ce travail ici et ). Difficile de ne pas penser à l'équilibre d'un grand bourgogne en buvant ce trésor dont on espère qu'il sera un jour disponible dans le commerce. Il faut continuer d'explorer cette voie, Jose Luis! Merci et bravo!
Jean-Louis Chave, L'Hermitage 2010, hermitage: nez solaire, pas vraiment marqué syrah, infiniment moins variétal par exemple qu'une Chapelle de Jaboulet. C'est évidemment un infanticide, mais aussi charmant que celui d'un agneau de lait de Castille: délicatesse et profondeur. Aurait du être carafé la veille pour le lendemain (heureusement, on en a conservé une goutte pour le lendemain…).


Wildcroft Estate, Wild One 2008, Mornington Penninsula: "une grande côte-rôtie s'interroge un des convives?" Non, ce n'est pas français, je vous promets, pas suisse non plus, mais australien. De l'extrême sud du continent, Mornington Penninsula, sur des terroirs assez humides, battus par les vents glacés de l'Antarctique. Derrière cette syrah déliée, on trouve Philip Jones, le sorcier du pinot noir des antipodes et sa fidèle œnologue Shashi Singh (qui désormais vinifie elle aussi ses propres vins).
Élian Da Ros, Chantecoucou 2010 côtes-du-marmandais: Là encore, comme avec Chave, c'est un crime de boire ce vin aussi jeune. Mais c'est tellement bon, bon comme un bordeaux solaire. Rendez-vous dans dix ans? Bien sûr!


Salvo Foti, Vinupetra I Vigneri 2008: je ne vais pas vous embêter encore avec ce vin, je vous en ai parlé ici, ici aussi et , je vais juste le résumer en un mot: tellurique! (merci encore Jacques et Clio)
La Croix des Marchands, 2011, gaillac: quoi, un vin à 5,20€ TTC (c'est le prix que je l'ai payé chez un caviste albigeois) au milieu de cet aréopage? Oui. Si je veux. Et je veux, parce que je trouve que ce vin possède un charme fou, une élégance rare. Vous en doutez? Trouvez une bouteille de ce 2011, décantez la deux heures et servez-là à 13°C, à l'aveugle. On en reparle?


Famille Plageoles, Ondenc 2012, gaillac doux: douceur et fraîcheur, quel bon contrepoint des figues au Pedro Ximénez (je pense que le PX aurait lui été trop lourd sur ce dessert). Comme souvent chez Plageoles, la bouteille est finie avant qu'on ait eu le temps d'en parler…
Chambers Rosewood vineyards, Rare Tokay, Rutherglen: l'Australie à nouveau*, Victoria. Ça aussi, c'est un OVNI. De la muscadelle qui ressemble à du PX ou à une liqueur de moka. Moi, je l'aimais bien avec les figues, d'autres ont estimé que ça manquait de "contraste" et que ce jus noir était un dessert en soi. Pourquoi pas?





* Encore un vin étranger qui me confirme dans ce que j'écrivais récemment sur le manque de curiosité des cavistes et donc des œnophiles français. Et donc sur la nécessité de regarder ailleurs.


* Des couillons de ce genre, tendance mouton de Panurge, on en trouve malheureusement dans tous les compartiments du jeu, aussi bien dans le monde du grand cru que dans celui du vin nature. "Génial, forcément génial" puisque c'est marqué sur la bouteille. Surtout, jamais de remise en cause, laquelle impliquerait une introspection malvenue. Et, éventuellement, quelques embarras commerciaux…

Commentaires

  1. Aïe, aïe, Caramba: 3 fois en une semaine! Chez Smith - passe encore - quand il n'est plus allé en Casamance depuis quelque temps, son cerveau se ramollit. Chez Van Helmont ensuite: pourtant, il manie un peu l'espagnol. Mais pas chez vpo! On dit, et on écrit, manzanilla pasada avec un seul "s"! Même dans le paso doble, il n'y a pas redoublement du "s"! A part cela, bien d'accord avec toi en ce qui concerne el duende, sauf pour la boucherie taurine, que je ne goûte guère, à l'inverse de la boucherie hippophagique, qui me plaît.

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  2. Quel établissement a produit le menu du 5 septembre en bas de l'article ?

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